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Brexit : et si la Grande-Bretagne attendait de sortir de l’Europe pour mettre en place une politique agricole digne de ce nom ?

Vous trouverez ci-dessous un article paru sur le site de Momagri le 03/04/2017


Ceci n’est pas un poisson d’avril ! Auditionné par la Chambre des Lords le 8 mars dernier, le ministre britannique de l’Agriculture, des Pêches et de l’Alimentation, George Eustice, a explicité certaines orientations quant aux conséquences du Brexit sur l’agriculture du Royaume Uni1. Si, à ce stade, « aucune décision n’a été encore arrêtée quant à la structure du future cadre », le ministre veut voir dans le Brexit « une opportunité en or pour faire une meilleure politique agricole ».

La nouvelle politique agricole britannique qu’il appelle de ses vœux s’organiserait autour de « deux plans » : un pour l’environnement et un pour l’alimentation et l’agriculture. N’hésitant pas à critiquer l’orientation actuelle de la politique agri-environnementale qu’il trouve trop centralisée et trop prescriptive, il plaide au contraire pour des approches plus cohérentes (holistiques) et davantage basées sur les dynamiques et les enjeux locaux (protection des nappes phréatiques ou du paysage).

Sur le volet agricole, sa démarche se veut clairement pragmatique et basée sur ce qui fonctionne en termes de politique de soutien. Rappelant que le secteur agricole est « exposé à des risques, comme le climat, la très forte volatilité des marchés, ou les crises sanitaires animales, et tant d’autres problèmes », il en appelle à prendre exemple sur les Etats-Unis et le Canada pour considérer « des politiques basés sur des systèmes assurantiels reposant sur le gouvernement, des paiements contracycliques et des incitations pour aider les agriculteurs à mettre de l’argent de côté pour les jours de pluie ».

Forcément, et ceci dit, les aides découplées ne trouvent pas grâce à ses yeux. Pour lui, une grande part du soutien à la surface disparait dans l’accroissement du prix des fermages et des consommations intermédiaires mais aussi dans la sous-valorisation des produits agricoles. Encore plus catégorique, il annonce ainsi vouloir clairement rompre avec la logique du « level playing » qui consiste à justifier des soutiens à ses producteurs en compensation des soutiens perçus par les autres producteurs. La politique agricole doit être, selon lui, le moyen « de donner aux agriculteurs un avantage concurrentiel dans le monde parce que nous aurons des bonnes politiques qui les aideront à devenir rentable, compétitif, productif et durable ».

La traduction concrète de ce que l’on peut considérer comme une rupture idéologique avec le libre-échange va donc s’objectiver dans la négociation autour du partage des références de soutien distorsif, la boite orange de l’OMC, entre le Royaume-Uni et l’UE-27. Pour Georges Eustice, il est en effet crucial de récupérer une part de la référence communautaire à cause de « certains défauts des règles de l’OMC » car « les types d’instruments qui seraient plus modernes, plus progressifs, relevant de la gestion des risques au sens large seraient, à ce stade, classés en boite orange. » Et de conclure « à plus long terme, dès que nous parlerons en notre nom à nouveau à l’OMC, il se pourrait que l’OMC doive revisiter certaines de ces règles […] mais cela ne sera pas une procédure rapide ».

Si l’on pouvait s’en douter, avec la sortie de l’Union européenne, les britanniques n’ont pas l’intention de sacrifier leur agriculture, bien au contraire. Le ministre rappelle ainsi, que mis à part pour la viande de mouton largement exportée vers la France, leur statut d’importateur net devrait se traduire par des prix plus élevés à la production s’il en reste aux règles de base de l’OMC. Pour Georges Eustice, il s’agit en effet de ne pas écouter les économistes « qui diront que nous pourrions juste arrêter l’agriculture et acheter toute notre alimentation bon marché au prix mondial ». Prenant exemple sur le pain et les viandes aux hormones, il évoque l’importance de disposer d’une production locale pour bénéficier de prix abordables et de niveau de normes en lien avec les attentes des consommateurs. Et de finir par un véritable plaidoyer pro souveraineté alimentaire : « Il y a des pays, dans le Golfe par exemple, qui n’ont pas vraiment leur propre production du tout ou leur propre agriculture et qui achète leur alimentation aux prix mondiaux, et en général la gamme de choix est beaucoup plus réduite et le prix plus élevé. Cela semble être le résultat pour les pays qui compte seulement sur les marchés mondiaux pour leur approvisionnement alimentaire. » En conséquence, les négociateurs européens devraient s’attendre à ce que le Royaume-Uni ne fasse pas le forcing pour récupérer un maximum de quotas d’importation !

Pour l’heure il est difficile de jouer les pythies quant à l’avenir de la politique agricole britannique, les discussions sont embryonnaires et les enjeux nombreux à démêler et d’autant plus grands en cas de désolidarisation de l’Ecosse. On peut toutefois présumer qu’il y aura bel et bien une politique agricole britannique comme c’était le cas avant leur entrée dans la CEE au début des années 1970 quand, rappelons-le, ils disposaient d’une politique forte structurée sur des aides contracycliques (« deficiency payment ») et des offices publics de commercialisation. Curieux retour de l’histoire, les discussions actuelles montrent que ce type d’instruments de soutien pourraient revenir d’actualité !

En définitive, la nature de la position britannique traditionnellement hostile vis-à-vis de la PAC prend un autre jour. Avant d’être anti-PAC, les britanniques étaient certainement d’abord anti-politique communautaire. Quels enseignements en tirer du côté de l’UE-27 et des responsables de la construction européenne ? En premier lieu que le camp du « nord-de-l’Europe-hostile-à-la-PAC » a perdu son principal poids lourd politique. En second lieu, que s’il s’agit de relancer la construction européenne et de stopper le vent d’euroscepticisme, il faut remettre la PAC sur de bons rails en tournant le dos de l’idéologie du découplage, pour en premier lieu doter la PAC d’aides contracycliques, comme Momagri le plaide.

Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies

 

1 Les minutes de l’audition sont disponibles en suivant ce lien
http://data.parliament.uk/(…)/committeeevidence.svc/evidencedocument/eu-energy-and-environment-(…).html

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