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Dans quelle mesure les politiques foncières agricoles peuvent-elles être euro-compatibles ?

Vous trouverez ci-dessous un article paru sur le site de Momagri le 20/11/2017


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Les débats au sein de l’Union européenne sur les politiques agricoles se limitent de moins en moins à la seule Politique Agricole Commune pour laisser une place croissante aux politiques foncières agricoles. La multiplication de rapports du Parlement européen sur le sujet ces dernières années en atteste1. Baisse du nombre d’agriculteurs, vieillissement de la population agricole, concentration parfois excessive des exploitations semblent en effet être des préoccupations communes à la plupart des territoires ruraux européens.

Ces enjeux prennent néanmoins une acuité particulière chez les Etats membres intégrés dans les années 2000. Une série de contentieux entre l’Union et plusieurs pays (Bulgarie, Hongrie, Lituanie, Lettonie et Slovaquie) a en effet été déclenchée suite à la mise en place de restrictions à l’accès de la propriété foncière considérées comme non-euro-compatibles. Clarifier les marges de manœuvre du législateur pour faire évoluer le régime de propriété de la terre agricole tout en restant conforme aux traités européens est en effet d’autant plus essentiel pour des pays qui, avec la collectivisation des terres puis la décollectivisation, ont connu une rupture majeure dans la consolidation progressive de règles de propriété adaptées à l’agriculture. C’est aussi un sujet important pour les pays de l’ouest de l’Europe où les politiques foncières agricoles connaissent des évolutions diverses et sont également interrogées par des formes d’investissement qui, même si elles en diffèrent pour une bonne part, peuvent entrer en résonnance avec la thématique des « accaparements fonciers » observés surtout dans les pays en développement.

Afin d’opérer cette clarification, et sur demande du Parlement européen, la Commission vient de publier une communication sur l’acquisition de terres agricoles et le droit de l’Union européenne2 dont nous proposons ici une synthèse.

En premier lieu, la Commission fait valoir que si les traités européens n’ont pas à préjuger du régime de la propriété dans les Etats-membres , cette disposition ne peut empêcher « les libertés fondamentales ou les autres principes fondamentaux du traité de s’appliquer ». En particulier, la libre circulation des capitaux, la liberté d’établissement et la sécurité juridique ne peuvent être entravées sans être justifiées par un intérêt public supérieur, via des mesures non discriminatoires, adaptées et proportionnelles à l’objectif recherché.

Les objectifs légitimes de politique agricole

 

Sur la base de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) dont il est dit qu’elle reconnait « la nature spécifique des terres agricoles », cette communication énumère les « objectifs légitimes de politique agricole qui peuvent justifier des restrictions des libertés fondamentales ». On y retrouve l’ensemble des objectifs de politiques des structures agricoles classiquement rencontré : consolider les exploitations, empêcher la spéculation foncière, maintenir la population agricole, favoriser l’exploitation traditionnelle des terres agricoles en faire-valoir direct. A cette liste s’ajoutent deux objectifs non propres à l’agriculture, à savoir protéger une population permanente et une activité économique autonome par rapport au secteur du tourisme et préserver les zones d’importance militaire.

En passant en revue les différents types de restrictions au marché du foncier et en indiquant dans quelle mesure chacune d’elles peut, ou non, être considérée comme acceptable, la Commission dessine les contours d’une politique foncière idéal-type euro-compatible.

Les restrictions à prohiber

 

Parmi les restrictions prohibées, on retrouve celles relatives à la nationalité de l’acheteur, à sa domiciliation ou à sa connaissance de la langue locale. On relève toutefois qu’une distinction existe entre européens et ressortissants d’un pays tiers, les restrictions vis-à-vis de ces derniers sont considérées comme pouvant être acceptables.

Restreindre l’accès aux personnes morales est également jugé contraire notamment au principe de liberté d’établissement. La communication met néanmoins en avant les évolutions réglementaires récentes qui visent à accroitre la transparence sur les véritables propriétaires des sociétés et des fiducies/trusts4.

De surcroit, les critères relatifs à l’activité de l’acheteur apparaissent disproportionnés : la réglementation ne peut ni restreindre l’achat de terres aux seuls agriculteurs, ni obliger l’acheteur à exploiter lui-même la terre qu’il vient d’acquérir.

Les restrictions acceptables

 

En revanche, la Commission met en avant l’intérêt du droit de préemption qui donne la priorité au locataire. D’autres droits d’attribution préférentielle en faveur d’acquéreur locaux peuvent également être justifiés s’ils permettent d’atteindre les objectifs de la politique foncière explicités ci-dessus.

On comprend ainsi que la Commission préconise une approche qui donne des droits pour des acheteurs potentiels à cibler, plutôt qu’une logique d’interdiction et d’exclusion selon la qualité des personnes. Par conséquent, les systèmes d’autorisation préalable par l’administration sont considérés comme valables dans la mesure où ils permettent de faire valoir ces droits et dès lors qu’ils sont fondés sur des critères objectifs, non discriminatoires et connus à l’avance. La sécurité juridique est ainsi bien meilleure car une procédure d’autorisation préalable permet d’éviter d’avoir à recourir à des annulations de transaction à posteriori.

De plus, deux autres types d’encadrements peuvent être justifiés : le contrôle des prix et les plafonds d’acquisition. Dans le premier cas, une restriction de la liberté des prix peut être justifiée si leur niveau est déraisonnable, spéculatif ou qu’ils compromettent la rentabilité de l’exploitation. Dans le cas de la privatisation de terres agricoles, le rapport précise que la méthode de détermination du prix du vente doit être cependant suffisamment robuste pour que le rabais consenti ne soit pas considéré comme une aide d’Etat.

Enfin, la communication précise que le plafonnement de la taille de la propriété foncière acquise ou détenue, même s’il constitue une restriction à la libre circulation des capitaux, peut-être une mesure adaptée pour « empêcher une concentration excessive de la propriété foncière et soutenir l’agriculture familiale et le développement des exploitations de taille moyenne ».

En guise de conclusion

 

Cette communication de la Commission apporte une clarification sur l’euro-compatibilité des politiques foncières utiles pour les nouveaux membres, comme pour les plus anciens qui disposent de corpus réglementaires et d’institutions encadrant les marchés fonciers plus aboutis. La voie dessinée par la Commission par la création de droits pour des publics cibles, la possibilité d’agir sur le niveau des prix et la prise en compte du niveau de concentration des terres correspond à la logique prévalant dans différents pays de l’ouest européen comme la France. Cette communication reconnait explicitement la spécificité du facteur de production qu’est le foncier agricole ce qui nécessite la définition d’un régime de propriété adapté. En ouverture, on ne pourra que conseiller aux nouveaux Etats-membres de s’inspirer directement des politiques foncières à l’œuvre plus à l’ouest en portant également l’attention sur les restrictions au marché de la location, sujet à peine évoqué dans cette communication. En définitive, les restrictions apportées au marché des droits de propriété ou au marché de la location constituent une manière pertinente de caractériser les régimes et politiques foncières5.

Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies

 

1 Voir notamment, Parlement européen, « Rapport sur l’état des lieux de la concentration agricole dans l’Union européenne : comment faciliter l’accès des agriculteurs ? », 2016/2141 (INI), ou Parlement européen, direction générale des politiques internes, Extent of Farmland Grabbing in the EU, étude, 2015.
2 http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52017XC1018(01)&from=EN
3 Cf. Article 345 du TFUE
4 Il est fait référence à la directive 2015/849 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme.
5 Pour un développement de cette idée voir :
http://www.pole-foncier.fr/(…)/de-la-tenure-hereditaire-a-la-protection-du-fermier-analyse-historique-comparee-(…).html

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