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Pas d’avenir pour l’Europe sans une PAC qui protège

Vous trouverez ci-dessous un article paru sur le site de Momagri le 06/11/2017


Dans son discours à la conférence des Ambassadeurs, Emmanuel Macron a clairement dessiné les contours d’un projet de refondation d’Europe où il s’agit « d’influencer le cours du monde au lieu d’en être l’otage » ou encore de « créer le cadre de régulation multilatéral de ce monde qui advient ».

 

La Commission européenne a également exprimé une perspective de changement de doctrine analogue dans la communication intitulée « Maitriser la mondialisation » où il s’agit d’en finir avec l’Europe « naïve », de résister « aux tentations de l’isolationnisme ou du laisser-faire », de promouvoir la « coopération multilatérale avec nos partenaires mondiaux » afin d’œuvrer pour un « ordre mondial équitable fondé sur des règles et sur des normes élevées ».

Et s’il y a bien un sujet sur lequel le leadership français est attendu pour sortir de l’ornière la construction européenne et mettre en pratique les principes qui permettraient à l’Union de quitter son statut de nain politique, c’est bien l’agriculture. Ce secteur est indéniablement au cœur des enjeux majeurs du XXIème siècle qu’il s’agisse de sécurité alimentaire mondiale, de lutte contre le changement climatique, de développement économique et de maitrise des flux migratoires. Rappelons-le, l’essentiel de la croissance démographique d’ici 2050 – plus de 2 milliards d’habitants – aura lieu dans une Afrique aujourd’hui à près de 60% rurale.

Malheureusement le constat lucide sur ce qu’est devenue la Politique Agricole Commune au terme de 25 ans de réformes est sévère tant sur le plan intérieur que sur la position de l’Europe dans le monde. Bon élève des théories de l’OCDE, l’Union Européenne est la seule à continuer à faire reposer sa politique agricole sur la doctrine du découplage des subventions.

Partant du principe que les marchés se stabilisaient d’eux-mêmes, on a ainsi réduit la politique agricole à sa seule dimension de soutien des revenus des agriculteurs. De la sorte, on verse des aides à des producteurs, indépendamment de leur production et indifféremment du niveau des prix et des revenus agricoles. Injustifiable en période de vaches grasses, l’essentiel des aides de la PAC n’en est pas moins inefficace pour soulager les revenus paysans au retour des vaches maigres car les aides découplées sont largement capturées par l’environnement économique des agriculteurs.

En outre, à l’heure où la prise de conscience d’une nécessaire transition des modes de production vers plus de durabilité est générale, le découplage des aides supprime le lien entre le soutien et la production ce qui annihile toute capacité significative d’orientation aux pouvoirs publics.

Sur le plan international, le bilan n’est pas meilleur.

La doctrine du découplage des aides sur laquelle continue de s’arcbouter l’Europe est également l’une des principales sources de blocage du multilatéralisme en matière agricole. Comment, depuis Dakar, New Delhi ou Pékin peut-on croire que les aides de la PAC n’ont pas d’effets sur la production et les échanges quand ces dernières constituent bien souvent l’essentiel voire la totalité du revenu des agriculteurs européens ? C’est pourtant l’entourloupe à laquelle sont parvenus Européens et Américains quand ils ont, entre eux, établi la discipline agricole de l’Organisation Mondiale du Commerce en 1994 qui par ailleurs proscrit les politiques de stabilisation des marchés. N’ayant les moyens budgétaires et administratifs suffisant pour soutenir leurs agricultures par des aides découplées, les pays en développement ou émergents se trouveraient ainsi coincés dans la tenaille des règles de l’OMC … mais par définition une discipline infondée et illégitime est rarement respectée.

Et l’on est proche du cynisme absolu quand on sait qu’Américains et Européens ne sont quasiment pas limités dans leurs prérogatives car les plafonds d’aides qu’ils ont établis entre eux sont les plus élevés ! Ainsi l’Union Européenne croit disposer d’une monnaie d’échange dans les négociations internationales en ayant blanchi ses budgets agricoles à la lessive de l’OMC, monnaie d’échange qui n’intéresse personne. Cet antagonisme est à la base du blocage du cycle de Doha. Les enjeux de sécurité alimentaire sont tellement prégnants pour des pays comme la Chine ou l’Inde qu’on ne voit pas comment ces géants démographiques pourraient se soumettre à une discipline absurde qui repose sur le présupposé infondé des vertus stabilisatrices des marchés agricoles laissés à eux-mêmes.

Quelle nouvelle orientation doit prendre l’Union Européenne en matière agricole ?

La logique actuelle doit être dépassée : on ne peut réduire la PAC à une distribution d’enveloppes entre Etats-membres, et en renvoyant à ceux-ci le développement d’hypothétiques « nouveaux outils privés de gestion des risques » qui ne sont dans tous les cas d’aucun recours face aux bas de cycle des prix agricoles. Si la gestion des risques de faible impact doit revenir aux agriculteurs et à leur meilleure organisation économique, la prévention et la gestion des crises ne peuvent relever du seul ressort du niveau européen garant du bon fonctionnement du marché commun.

L’action décisive de la Commission européenne, fin 2016, pour trouver une porte de sortie à la crise du lait en mettant en œuvre un programme d’aides à la réduction volontaire de la production laitière constitue un précédent fondateur. Surtout, les instruments de la PAC doivent devenir contracycliques, et en premier lieu les aides directes.

Il faut redonner une dimension économique à la PAC en offrant de véritables filets de sécurité pour les productions directement connectées aux marchés internationaux, comme le font les autres puissances agricoles. Les aides contracycliques, assisses sur le niveau des coûts de production, présentent l’avantage d’être ajustées en fonction des prix : à la clé une plus grande efficacité dans la stabilisation des revenus, une plus grande efficience budgétaire et une véritable plus-value communautaire.

C’est sur cette base qu’un nouveau pacte entre le monde agricole et la société doit être reformulé. On ne peut plus davantage écarteler les agriculteurs entre, d’un côté, la course au dumping des marchés internationaux et, de l’autre, le renforcement des exigences européennes en matière sanitaire et environnementale. Au contraire, c’est en sécurisant économiquement les agriculteurs qu’ils seront véritablement en condition pour adopter des pratiques plus favorables à l’environnement et en lien avec les attentes des consommateurs, dans une logique de montée en gamme de l’offre alimentaire européenne.

Sur le plan international, l’Union européenne doit redevenir actrice d’une nouvelle ambition multilatérale en matière agricole et alimentaire pour la sécurité alimentaire mondiale. La crise alimentaire de 2007/08 et ses répliques ont profondément remis en cause la confiance dans la capacité des échanges internationaux à assurer la sécurité des approvisionnements. De plus, cette période a fait réémerger l’intérêt des stratégies de croissance basées sur le développement agricole dans de nombreux pays. Parmi les nombreux exemples, évoquons l’agriculture russe dont le développement fulgurant, toutes productions confondues ou presque, réduit à peau de chagrin ce débouché pour les productions animales européennes quand bien même serait levé l’embargo actuellement en vigueur.

Bien sûr, tout n’est pas à jeter dans le cadre multilatéral actuel. Discipliner les politiques non-coopératives où l’on exporte ses propres déséquilibres sur les marchés internationaux est nécessaire mais insuffisant. Rappelons-nous que la discipline actuelle a été établie suite à la mise en échec des Etats-Unis qui régulaient à eux seuls les marchés internationaux de céréales des années 1930 aux années 1980 par les subventions à l’exportation européennes. On ne peut plus faire semblant de croire que les marchés agricoles se stabilisent d’eux-mêmes. Dès lors un cadre multilatéral renouvelé doit permettre et valoriser les coopérations entre grands pays producteurs et consommateurs pour stabiliser les marchés internationaux. Car la stabilité des marchés internationaux est un bien public insuffisamment valorisé : chacun en bénéficie, mais il faut une discipline commune pour que ceux qui y contribuent ne soient pas lésés par les opportunistes.

Deux exemples peuvent être cités pour nous convaincre que ce nouvel horizon est accessible. Tout d’abord le Brésil. Le premier producteur et exportateur mondial de sucre a la faculté d’ajuster sa production de sucre, et donc ses exportations, en augmentant ou réduisant la part d’éthanol (produit à partir de canne à sucre) dans les carburants. La flexibilisation des politiques de biocarburants est, en effet, un des leviers d’avenir pour prioriser les usages alimentaires et stabiliser les marchés internationaux non seulement du sucre mais aussi des céréales et des huiles végétales. Ensuite, la « diplomatie du riz » à l’œuvre dans le sud-est asiatique. Echaudés par la panique alimentaire de 2008, les pays de l’ASEAN+3 ont décidé de mutualiser une partie de leurs stocks stratégiques de riz. Parmi eux les deux premiers producteurs, stockeurs et consommateurs de riz : la Chine et la Thaïlande. Au final, le riz n’a pas connu les répliques des crises alimentaires de 2010 et 2012 qui ont surtout touché les pays dépendants des autres céréales.

Relancer un nouveau cadre multilatéral

Ainsi, s’il advient, le nouveau cadre multilatéral reposera sur la coordination des politiques agricoles stabilisatrices et durables. Constituer un unique marché mondial par l’effacement de toutes les barrières douanières est inatteignable car les marchés agricoles sont structurellement instables et que la sécurité alimentaire est à la base de la stabilité politique de tous les régimes politiques.

Les échanges internationaux sont nécessaires mais le marché international restera étroit et donc plus volatil. A ce jour, le marché international des céréales est plus petit que le marché intérieur chinois, et la Chine est le stockeur en dernier ressort de toute la planète ! La montée en puissance progressive de la Chine sur la scène politique internationale est en train de reconfigurer complètement l’ordre économique également sur les sujets agricoles et alimentaires.

L’Europe dont la Politique Agricole Commune constitue l’un des ciments doit prendre la mesure de ces enjeux, renouer avec l’esprit de ses pères fondateurs et voir à nouveau dans l’agriculture et l’alimentation un moyen de se construire autant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Pour la France, prendre à bras le corps les sujets agricoles, c’est aussi l’occasion de mettre en cohérence les axes forts de sa diplomatie : la PAC d’une Europe qui protège, l’agriculture comme dossier opérationnel de la lutte contre le changement climatique et enfin l’agriculture vecteur de la construction de l’ensemble Europe-Méditerranée-Afrique.

Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies
Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies

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