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Les enseignements de la politique laitière américaine en matière de partage de la valeur ajoutée

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Agriculture Stratégies publie une étude dont nous avons reproduit le résumé ci-dessous. Cette étude s’est intéressée à la politique laitière américaine, et en particulier aux offices fédéraux de commercialisation du lait. Les caractéristiques du lait empêchent une formation spontanée des prix et induisent une dépendance économique entre les maillons de la production et de la transformation. En transposant les formules de prix américaines, le prix du lait en France aurait été de 13% supérieur sur les 10 dernières années. La prochaine réforme de la PAC devrait être l’occasion pour les pouvoirs publics d’accompagner une réorganisation des producteurs laitiers français.


Améliorer les mécanismes de partage de la valeur au sein des filières et renforcer l’organisation des producteurs constituent deux sujets au cœur des débats de politiques agricoles tant au niveau français qu’européen. En France, le secteur laitier est particulièrement concerné par ces problématiques depuis la fin des quotas laitiers et la « contractualisation » mise en place depuis 2010 ne semble pas avoir apporté les réponses suffisantes.

Également très connecté aux échanges internationaux, le secteur laitier américain a été moins impacté par la crise de surproduction mondiale intervenue à partir de 2014 : le différentiel de prix du lait a été nettement à l’avantage des producteurs américains et la production ainsi que les exportations ont continué à croître.

Depuis les années 1930, la commercialisation du lait s’effectue aux Etats-Unis via des offices fédéraux (Federal Milk Marketing Order) qui sont constitués dès lors que deux tiers des producteurs d’une région donnée en décident. On compte à ce jour 10 offices fédéraux de commercialisation et les producteurs californiens viennent de voter la création du 11ème. De la sorte, 80% de la production américaine sont concernés par cette mesure de régulation.

La fonction principale des offices est de réaliser un juste partage de la valeur entre producteurs et transformateurs sur la base de formules de prix. Chaque mois est ainsi défini un prix minimum identique pour tous les producteurs. Il est établi en fonction de l’évolution des marchés des produits laitiers transformés. Les formules de prix sont modifiables mais elles sont maintenant identiques pour chacun des 10 offices et stables depuis au moins 10 ans. Le fonctionnement du dispositif repose sur une transparence importante des acteurs de la transformation qui doivent notifier les volumes et les prix de vente des produits finis.

Si le prix minimum mensuel est identique pour tous les producteurs d’un même office, le prix auquel s’approvisionnent les transformateurs diffère en fonction du type de valorisation qu’ils réalisent. Une péréquation est ainsi directement opérée entre les entreprises positionnées sur les segments à forte valeur ajoutée qui cèdent une partie de la valeur ainsi créée aux entreprises aux moins bons « mix-produit ». C’est l’équivalent de 10 à 15% du chiffre d’affaires des producteurs de lait qui transitent via les offices pour opérer cette péréquation.

La politique de partage de la valeur du lait à l’œuvre aux Etats-Unis témoigne du pragmatisme américain en matière économique. La périssabilité du lait induit une situation de dépendance économique entre producteur et transformateur : on ne verra jamais 3 camions citernes se suivre dans les routes de campagne pour aller, tous les 2 ou 3 jours, démarcher les producteurs et leurs proposer un prix différent. Ainsi, puisque la formation spontanée d’un prix de marché n’est pas possible, les Américains ont choisi d’institutionaliser la formation des prix du lait tout en laissant opérer les marchés pour les autres produits laitiers.

A partir des données françaises relatives aux prix et aux volumes des produits transformés, nous avons transposé les formules de prix des FMMO à la ferme laitière française. En comparant avec le prix perçu par les producteurs français sur la période 2007-2016, la transposition de la politique américaine de partage de la valeur ajoutée aurait générée – toutes choses égales par ailleurs – une hausse du prix du lait de 13% soit 43€/1000 litres. Ce résultat s’explique en particulier par le poids important du fromage dans les formules de prix des FMMO.

Outre les Etats-Unis, le Canada dispose également d’un dispositif de commercialisation collective qui permet d’opérer une péréquation entre les différentes valorisations. Les coopératives géantes présentes aux Pays-Bas, au Danemark ou encore en Nouvelle-Zélande disposent d’une situation de quasi-monopole à l’échelle nationale qui leur permet de réaliser la péréquation en interne. Face à ces concurrents, les producteurs français souffrent d’un désavantage compétitif d’ordre organisationnel : les coopératives collectent environ 55% et transforment 45% de la production laitière française.

Le niveau de valorisation des produits industriels semble avoir un poids excessif dans la fixation des prix en France dont le niveau serait en grande partie déterminé par le mix-produit des principales coopératives. La valorisation moyenne de ces dernières est moins bonne car elles ont dû récupérer des volumes au cours de la restructuration de la transformation afin d’éviter des arrêts de collecte sur certains territoires, là où les industriels privés ont pu développer des stratégies de valorisation centrées sur les segments de consommation les plus profitables.

Compte tenu des tensions régulièrement observées dans la filière et de pratiques commerciales parfois archaïques – dénonciation unilatérale d’accords, fixation des prix après enlèvement, etc. -, il semble nécessaire de réorganiser les producteurs pour les sortir d’une dépendance économique excessive. A défaut le déclin de la filière laitière française qui commence à se manifester par la non reprise des volumes de production des sortants, pourrait conduire à une baisse de production d’au moins 30% à l’horizon 2030.

La « contractualisation » engagée en France pour anticiper la fin des quotas laitiers n’a pas produit les résultats escomptés. Un contrat ne peut à lui seul rééquilibrer une relation commerciale. A l’approche de la fin des quotas, la formation d’Organisations de Producteurs (OP) suffisamment fortes n’a pas été accompagnée par les pouvoirs publics (retard du décret sur la reconnaissance des OP, non utilisation du 2nd pilier de la PAC). Et les coopératives laitières ont visiblement souhaité rester en marge de la « contractualisation ».

L’extension de la logique des « interventions sectorielles » annoncée pour la PAC post 2020 pourrait permettre d’accélérer la réorganisation du secteur laitier en France. Déjà à l’œuvre pour le secteur des fruits et légumes, les « interventions sectorielles » permettent d’inciter la constitution et de financer des OP (le plus souvent des coopératives) pour leurs actions de R&D, de prévention des risques et surtout de planification de la production et d’ajustement de la production à la demande. Conditionnaliser les aides couplées à la participation à une OP serait également une incitation intéressante.

Les coopératives laitières françaises vont donc se retrouver devant un choix crucial. Soit, elles décident de prendre le taureau par les cornes et organisent, par entité territoriale homogène, leur rapprochement avec les OP existantes de manière à intégrer progressivement les producteurs de ces dernières comme coopérateurs. Soit, des OP se constitueront au sein des coopératives et ces OP se structureront en Association d’Organisation de Producteurs (AOP) à l’échelle de bassin et les coopératives se spécialiseront alors dans leurs activités de transformation, comme aux Etats-Unis.

On sortirait alors de la situation paradoxale de le ferme laitière française où, d’un côté, une moitié de producteurs est bien organisée dans des coopératives dont les valorisations du lait sont moyennes, et de l’autre, une moitié de producteurs à peine organisés dans des OP sans véritable pouvoir de négociation face à des transformateurs très bien placés sur les segments à meilleur valeur ajoutée.

Il est donc crucial que les producteurs laitiers se mobilisent dès maintenant pour anticiper la prochaine réforme de la PAC et œuvrent à la réorganisation de la production afin d’être au cœur du pilotage de la gestion des volumes et du partage de la valeur ajoutée au sein de la filière.