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« Une société qui ne valorise pas le travail de la terre, qui ne veille pas sur celles et ceux qui cultivent, qui élèvent, c’est une société en danger de mort »

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En ouverture du salon de l’agriculture, le Président Macron a prononcé un discours programmatique dense où, à quelques semaines des élections européennes, il appelle à réinventer la PAC et à renouveler le multilatéralisme. Articulé autour de trois « promesses », à savoir une promesse de protection des agriculteurs et des consommateurs, une promesse de transformation « de notre modèle vers plus de valeur et toujours plus d’écologie » et une promesse d’anticipation « en misant sur la recherche et en assurant le renouvellement des générations », ce discours annonce également une nouvelle loi sur le foncier agricole à brève échéance. 

Alors que le début de mandat a été marqué par des Etats Généraux de l’Alimentation, et une loi attenante, qui se sont essentiellement focalisés sur des sujets nationaux, ce discours marque la première déclinaison de l’ambition européenne du Président Macron en matière agricole. Se positionnant en « patriote de notre agriculture », il en appelle à une « politique agricole européenne protectrice, pragmatique, ambitieuse », en plaidant l’unité européenne, à rebours donc des propositions visant une renationalisation de la PAC.

Prenant le contrepied du discours jusqu’alors dominant sur la PAC où il s’agit d’être les bons élèves des règles de l’OMC et de réduire la PAC à sa seule dimension environnementale, il identifie les principaux dangers de la PAC : la menace extérieure d’« un ordre international qui, à force de considérer la nourriture comme une marchandise parmi d’autres, a fini par perdre son âme » et la menace intérieure d’ « une PAC réduite aux acquêts ».

Faisant échos à ses précédents discours sur l’Europe, l’impératif de la souveraineté alimentaire est décliné par différents exemples, notamment pour plaider un « plan protéines ambitieux à l’échelle du continent ». Il s’agit donc pour le Président Macron que la « politique commerciale européenne [soit] cohérente » en refusant que les accords commerciaux permettent d’importer « des produits ne respectant pas les standards européens […] environnementaux, sanitaires et sociaux ».

La PAC qui protège

Les termes « protéger » et « protection » reviennent 28 fois tout au long du discours. Le besoin de protection s’exprime également s’agissant du budget de la PAC qui « doit traduire les conséquences du Brexit mais pas plus et pas pour un euro de plus ». Toutefois, il n’est pas précisé s’il s’agit d’euros courant ou d’euro constants. Avoir un budget à la hauteur pour une « PAC qui protège » nécessite d’avoir un budget stable en euro constants, mais également de privilégier les outils les plus efficaces, ceux qui donnent à la PAC une véritable valeur ajoutée communautaire. C’est ce que le Président de la République prône en appelant de ses vœux « une véritable stratégie de gestion des risques » reposant sur trois niveaux.

La première relève du niveau communautaire via « une réserve de crise, pluriannuelle, réactive pour protéger l’ensemble des Etats membres de l’impact des crises de marché ». L’exemple de l’aide à la réduction volontaire de la production laitière mise en œuvre en 2016 est cité, tout en soulignant que son recours aurait pu être plus précoce afin d’éviter la constitution de stocks de poudre que la Commission a eu tant de mal à se défaire. Le deuxième niveau renvoie aux filières et à la responsabilisation des acteurs où il est évoqué « des mécanismes de régulation des filières » et une meilleure articulation entre les « dispositifs privés […] et les outils publics de gestion des risques ». Enfin, le troisième niveau est celui de l’exploitation où la diversification des cultures et un accompagnement au changement des pratiques doivent permettre « de mieux s’adapter au changement climatique » dans une logique de prévention.

Si le Président trace la voie d’un véritable pilotage des marchés par une meilleure coordination entre mesures de régulation et responsabilisation des acteurs privés face aux risques, il n’appelle pas pour autant à lâcher la proie pour l’ombre et indique que des aides à l’hectare resteront nécessaire car elles « constituent un filet de sécurité pour les agriculteurs ».  Nous comprenons que le Président sur ce point reste prudent, mais à l’heure où les Etats-Unis s’attaquent frontalement aux aides découplées dans l’affaire des olives espagnoles, nul doute que d’autres outils comme les aides contracycliques, qui sont elles aussi des aides à l’hectare, doivent émerger au sein de la PAC.

La transformation vers la qualité et l’écologie au cœur d’un nouveau pacte entre les agriculteurs et la société

Prenant exemple sur le blé, où les exportations européennes sont de plus en plus concurrencées par la Russie et l’Ukraine, Emmanuel Macron appelle à construire des stratégies de différentiation car « ni notre géographie, ni notre modèle social, ni notre ambition environnementale » ne nous permettent de participer à la « compétition mortifère du prix le plus bas ». Le « combat pour la valeur » va donc de pair avec la protection de l’environnement.

Convaincu que « les agriculteurs sont, plus que personne, attachés à la protection de la planète », le Président appelle à dépasser l’image de l’agriculteur réfractaire au changement, et souligne que ceux-ci sont les premiers concernés par ces problématiques. Néanmoins la transition ne sera possible que si les agriculteurs « peuvent vivre dignement en conduisant ces changements pour notre environnement ». Aussi il convient là aussi que « les pouvoirs publics créent les conditions de cette transition », ce qui implique notamment qu’une « part significative de la prochaine PAC soit consacrée à l’environnement ». Ces fonds pourront notamment être mobilisés afin de « rémunérer les services environnementaux rendus par les agriculteurs ».

En résumé, il estime que « c’est l’identité même de l’Europe que de concilier l’économie et l’écologie dans un projet progressiste, pragmatique et réaliste« .

Anticiper : recherche et renouvellement des générations

La troisième promesse, anticiper, concerne directement la recherche et l’expertise publique dont les missions sont clairement réaffirmées. Au niveau européen, le Président Macron souhaite voir le renforcement des moyens de contrôle en matière de sécurité sanitaire. Ces enjeux se déclinent également au niveau français où il « souhaite que l’INRA, premier institut de recherche agronomique européen et deuxième dans le monde, investisse davantage le champ économique en travaillant avec les instituts techniques des filières, les chambres d’agriculture » pour mieux accompagner les changements de pratiques.

Dans un discours où le Président s’adresse à plusieurs reprises à la jeunesse et aux futurs agriculteurs, l’enjeu du renouvellement des générations prend une place importante. Compte tenu d’une pyramide des âges des agriculteurs très inquiétantes, il s’agit de « susciter de nouvelles vocations« , car « une société qui ne valorise pas le travail de la terre qui ne veille pas sur celles et ceux qui cultivent, qui élèvent, c’est une société en danger de mort, c’est une société qui construit les conditions pour ne pas pouvoir se nourrir elle-même dans un monde de plus en plus incertain« .

Le levier de l’accès à la terre agricole est clairement identifié. L’artificialisation des terres nécessite « un vrai changement de l’organisation de notre urbanisme et de nos pratiques ». Et face au phénomène de la concentration des terres, une loi foncière est annoncée ainsi que des dispositions spécifiques dans le cadre des négociations de la PAC pour faciliter l’accès au foncier pour les jeunes agriculteurs.

Inventer un nouveau contrat mondial

Après avoir articulé sous la forme de trois « promesses » les priorités de la France dans les négociations, le Président Macron conclut son propos en resituant l’enjeu majeur sous-jacent pour la construction européenne : réinventer la PAC c’est le moyen pour l’Europe de retrouver une plus grande crédibilité sur la scène internationale pour être « à l’offensive, en portant une refonte profonde des règles commerciales […] conçues il y a près de 30 ans et devenues obsolètes ».

La sécurité alimentaire mondiale « est un défi qui ne se relèvera pas par la seule main invisible du marché, ni par la loi du plus fort, mais par le dialogue, par un multilatéralisme renouvelé, par la conscience lucide que nous avons en partage la même planète, la responsabilité de son destin et celui de l’humanité ». Il s’agit donc d’ « inventer un nouveau contrat mondial » et non de nous « accommoder dans une forme d’immobilisme coupable », c’est l’agenda qu’Emmanuel Macron souhaite porter dans la cadre de la présidence française du G7.

Agriculture Stratégies ne peut que soutenir la vision politique du Président dans la mesure où les réformes qu’il appelle de ses vœux sont dans la ligne de ses préconisations exprimées dans les deux notes de référence stratégique : « Pour une réforme en profondeur de la PAC dans un cadre multilatéral à renouveler » et « Pour une réforme en profondeur du multilatéralisme ». Il reste à enclencher un processus de réformes dont on sait qu’il aura à affronter de nombreux obstacles, tant la PAC et la doctrine multilatérale de l’Union européenne sont bloquées par des idéologies qui ont empêché jusqu’à maintenant toute évolution.

 

Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies

Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies

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