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Pas d’alimentation durable sans hommes ni vaches

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L’agriculture et en particulier l’élevage sont souvent pointés du doigt pour leur rôle dans la dégradation de l’environnement et le réchauffement climatique. Pourtant, nous allons continuer à devoir nous nourrir. Comment définir alors les compromis nécessaires ? Deux études récentes, l’une conduite par des chercheurs de l’INRA, l’autre par l’IDDRI apportent des contributions importantes aux débats. 

Dans un article publié sur The Conversation, Cecile Détang-Dessendre et Xavier Reboud, chercheurs à l’INRA, dressent un tableau des enjeux liant l’emploi agricole et la durabilité des systèmes de production agricole. S’intéressant particulièrement à l’usage des pesticides, les auteurs reviennent sur l’évolution du travail agricole comme variable explicative de l’utilisation de la chimie en agriculture. En effet, « la population active agricole est passée de 8% à 2,8% de la population active totale » en France, et le nombre d’exploitations diminue « à un rythme de 2,5 à 3% par an ». Or la surface exploitée quant à elle varie peu, signifiant que les agriculteurs cultivent des surfaces de plus en plus grandes et éloignées de leurs fermes.

Cela a été possible grâce à d’importants gains de productivité du travail, « les heures de travail mobilisées pour exploiter un hectare [ayant] diminué de 20% entre 2000 et 2010 ». Dans la dynamique actuelle, la mécanisation et la chimie sont présentées comme les principaux leviers pour accroître la productivité. Mais, pour les auteurs, cette recherche de gains de productivité arrive aujourd’hui à sa limite, tant d’un point de vue technique que d’un point de vue d’acceptabilité pour la société.

Les auteurs en concluent que la main d’œuvre dans le monde agricole doit augmenter, afin de permettre d’exploiter de manière durable les terres agricoles en mettant en place des pratiques agro-écologiques qui nécessite du temps et des bras. Ils en appellent donc à mobiliser de manière massive les aides à l’installation pour permettre un meilleur renouvellement générationnel.

Cette recommandation paraît fort juste, mais légèrement tronquée. Si le renouvellement des générations est en effet crucial, ce ne sont pas tant des aides à l’installation qu’une amélioration des revenus agricoles qui paraît nécessaire pour rendre attractif le métier d’agriculteur. Or, les difficultés économiques de ce secteur sont attribuables en grande partie aux carences d’une Politique Agricole Commune qui ne permet plus de conserver suffisamment de valeur pour le maillon de la production.

C’est pourquoi l’objectif environnemental de la PAC ne pourra être atteint sans que cette dernière ne réhabilite les objectifs de stabilisation des marchés et de parité des niveaux de vie des agriculteurs, largement délaissés depuis la réforme de 1992 mais figurant pourtant toujours au cœur du Traité européen.

Des vaches pour maintenir les prairies et boucler le cycle de l’azote

Si une agriculture plus durable nécessite plus d’hommes et de femmes dans les campagnes, elle passe également par une reconsidération du rôle de l’élevage ruminant (bovin, ovin et caprin). La récente étude de l’IDDRI « Une Europe agro-écologique en 2050 » y contribue via une modélisation du système alimentaire européen à l’horizon 2050. Elle montre que la mise en opposition entre viandes blanches (porcs, volailles) et viandes rouges (bovins, ovins, caprins) où les premières seraient bonnes pour l’environnement contrairement aux secondes, a tout de la contre-vérité. En effet, les productions de porcs et de volailles dépendent de céréales et de protéagineux dont « la production est (i) en compétition avec […] l’alimentation humaine et (ii) potentiellement découplée, d’un point de vue spatial, par rapport aux zones d’élevages elles-mêmes ».

Les productions issues de ruminants quant à elle dépendent davantage de l’herbe et de céréales en vert (non consommées par l’homme). Elles permettent d’exploiter, et donc de maintenir des prairies qui « jouent un rôle déterminant pour la biodiversité » et qui permettent de « fixer l’azote atmosphérique » grâce aux légumineuses qui la composent. En d’autres termes, maintenir un élevage bovin permet un « transfert de fertilité des prairies vers le reste de la sole cultivée, autorisant une entrée nette d’azote dans le système ».

Sur cette base, on peut donc reconsidérer les reproches formulés habituellement à l’encontre des bovins et leurs émissions de méthane. Pour les auteurs il s’agit essentiellement des résultats « d’une approche climato-centrée » (fondée sur les émissions de gaz à effet de serre) « qui tend à s’imposer ».

Quels arbitrages entre émissions de méthane et de protoxyde d’azote ?  

Outre le stockage du carbone dans les sols des champs qu’ils pâturent, les ruminants assurent donc une fonction très importante, celle de boucler le cycle de l’azote en participant à la transformation de l’azote atmosphérique en azote organique utilisable par les végétaux autres que les légumineuses.

La lecture du dernier rapport du GIEC apporte d’autres éléments qui tendent à relativiser le rôle des bovins dans le changement climatique. Les ruminants et le riz représentent environ 18,4% des émissions totales de méthane mais ce type d’émissions tend à se stabiliser contrairement aux émissions anthropiques dues aux décharges et aux déchets qui ont augmenté de 36% depuis trois décennies. Et comme la durée de vie du méthane est assez courte (10 ans), l’effet net des émissions provenant de l’agriculture tend à se stabiliser.

Enfin, si le méthane créé un effet de serre 28 fois plus important que le dioxyde de carbone, le protoxyde d’azote dont l’une des sources provient de l’usage d’engrais de synthèse, conduit lui à un effet de serre 265 fois plus fort que le dioxyde de carbone, pour une durée de vie de 120 ans.

Ces chiffres tendent donc à reconsidérer l’impact de l’élevage bovin sur le réchauffement climatique par rapport à d’autres sources directement imputables à l’alimentation.

 

Christopher Gaudoin, Chargé de veille et d’analyse pour Agriculture Stratégies

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