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La Corée du sud : un exemple de développement agricole pour l’Afrique

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A l’heure d’un « prix Nobel d’économie » attribué pour des travaux portant sur le développement et la réduction de la pauvreté, nous reprenons des extraits d’un rapport de la Banque Africaine de Développement (BAD) qui appelle à prendre comme référence la stratégie de développement agricole sud-coréenne. Car si ce pays est aujourd’hui reconnu pour l’efficacité de sa politique industrielle, avec Samsung en figure de proue, son essor s’est également appuyé sur une politique agricole ambitieuse dont ce rapport cherche à tirer les principaux enseignements pour inspirer de telles évolutions sur le continent africain.

Le développement de la Corée est présenté comme s’organisant autour de trois périodes : avant l’autosuffisance en riz, l’atteinte de l’autosuffisante en cette céréale, et le rééquilibrage de la production avec le développement des produits frais (légumes, fruits, etc.). Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, la Corée dans son ensemble était administrée par le Japon, qui avait fait du sud un grenier agricole et investi dans les infrastructures et les équipements du nord du pays, plus pauvre en potentiel agraire. Après la scission en 1953, la Corée du sud s’est trouvée avec un potentiel agricole encore sous exploité. Comme le décrit le rapport, c’est donc au début des années 1960 que le pays développe une forte politique agricole afin de réduire sa dépendance alimentaire, notamment à l’aide alimentaire extérieure en provenance des Etats-Unis principalement.

La politique qui a permis à la Corée du Sud de devenir autosuffisante en riz dès le milieu des années 1970 reposait sur trois axes d’après les auteurs. Le premier a permis de développer et de distribuer une variété de riz adaptée aux conditions locales et produisant de hauts rendements. Le second a été l’établissement d’un acteur incontournable sur les marchés agricoles : la Fédération Coopérative Nationale Agricole (FCNA). Cette entité, couplée au développement d’usines de production d’intrants et à de lourdes subventions pour la distribution des fertilisants, a permis d’augmenter fortement les rendements et de coordonner les efforts en faveur d’une plus grande productivité. Enfin, le dernier axe consistait en l’établissement d’un système de prix et d’achats gouvernementaux, garantissant des prix élevés pour les producteurs et la stabilité des prix pour les consommateurs.

La période post-autosuffisance a ensuite laissé place à une réorientation de l’usage des terres dans des produits frais pour suivre l’évolution de la consommation d’une population de plus en plus urbaine et prospère. Le secteur des intrants a été libéralisé et d’importants investissements ont été consentis pour moderniser les équipements industriels et pour mécaniser une agriculture qui restait jusque-là basée sur la traction animale. Le tout étant concomitant d’un renforcement de l’exode rural alimenté par le développement de l’industrie et des services.

Les similarités qui existent entre la Corée du Sud des années 1960 et certains pays africains aujourd’hui sont nombreuses. C’est pourquoi la BAD se propose de s’inspirer du développement de ce pays pour encourager l’Afrique. Elle met notamment en avant l’intérêt de développer des institutions robustes comme la FCNA et d’augmenter la productivité via l’utilisation de nouvelles variétés et la promotion des intrants. On fera remarquer d’ailleurs que le PIB (en USD constants de 2010) par habitant de la Corée a été multiplié par 26 en cinquante ans, alors que celui des états d’Afrique de l’Ouest n’a été multiplié que d’un facteur compris entre 1,5 et 3 selon les pays.

L’enthousiasme de la BAD pour le modèle coréen parait légitime même si le rapport n’est pas exempt de certaines omissions ou enjolivements. Si le remembrement des années 1970 est mentionné, rappelons que la Corée avait également bénéficié d’une large réforme agraire au début des années 1950[1]. En outre, la réalité de la condition paysanne sous le régime autoritaire de Park Chung-hee (1962-1979) est soumise à discussion. Enfin, l’influence des négociations commerciales du cycle de l’Uruguay, abouties au début des années 1990, est peut-être un peu exagérée quand on sait que la Corée, entre l’Islande et la Norvège, figure sur le podium des pays protégeant le plus leur agriculture avec une estimation du soutien au producteur (ESP) à 53,5% de la valeur de la production en 2017.

L’exemple de la Corée du sud reste malgré tout parlant et n’est pas sans rappeler les logiques prévalant au cours de la première Politique Agricole Commune (PAC) entre les années 1962 et 1992. On ne peut que soutenir la BAD dans la recommandation générale selon laquelle le développement agricole et la sécurité alimentaire sont des préalables au développement économique. Sur la base de ce que réalise la Chine notamment, cette vision aurait tendance à gagner un peu de terrain actuellement face à l’approche toujours dominante dans les institutions internationales, que l’on qualifiera d’haïtienne, qui consiste à croire que c’est en baissant le prix de la main d’œuvre en baissant les prix agricoles que s’enclenche l’industrialisation.

Christopher Gaudoin, Chargé de veille et d’analyse stratégique


Extrait du rapport de la Banque Africaine de Développement

The Implications of Korea’s Experience for Developing Agriculture Value Chains in Africa

 

Sub-Saharan African countries have been seeking ways to improve their economies, particularly as problems of malnutrition, poverty, and unemployment continue to plague the people. The challenges that most of the countries face on the continent resemble the challenges that some of the Asian countries have faced. South Korea (hereinafter, Korea), in particular, fundamentally faced similar issues in the 1950s and the 1960s. However, Korea was able to overcome these challenges and not only attain self-sufficiency in staple cereals but has developed into an economic powerhouse. This study traces the success factors in the path of Korea’s agriculture development in three chronological stages: the quest for rice self-sufficiency period (1962-1977), the post-rice self-sufficiency period (1978-1994), and the period of the enhancement of global competitiveness (1995-present). The first stage—the quest for self-sufficiency in rice—was attained through comprehensive collaboration with both the Korean government and institutions that were established each step of the way, and of course, with private sector stakeholders as well as the farmers themselves. Goals of this period were to achieve rice self-sufficiency and to increase rural household income. Highlights of this first stage are:

  • The development of a new rice variety by researchers dispatched to the International Rice Research Institute;
  • Efforts to breed and distribute this new rice variety, called the Tong-il type;
  • Fertiliser subsidy policies and the expansion of local and national fertiliser production;
  • The development of strategic 5-year plans with specific agriculture sector policies;
  • The development and enhancement of an extension service system, operated by Nonghyup (NH); and
  • The Saemaul Undong (SMU) Movement that was created to reform the mindset of villagers in concert with the development of the agricultural sector

The second stage—the post rice self-sufficiency period—was characterised by fundamental changes in the government policies to address the changes that have taken place in the internal and external environment of the agricultural sector while accelerating the transformation process of the sector. Furthermore, consumers were now concerned with the taste of the rice, finding the Tong-il varieties less palatable than what they were accustomed to with the traditional rice. Thus, the second stage was characterised by the following:

  • Increasing importance of consumer demand;
  • The opening of the Korean agricultural market to foreign agro-products;
  • Decreasing demand for fertiliser forced manufacturers to diversify their production and export fertiliser;
  • The government began an agricultural land rearrangement and consolidation (ALRC) plan to combine dispersed and fragmented properties;
  • The promotion of agro-mechanisation;
  • The establishment of rice processing complexes (RPCs) in the rural space;
  • A significant change in the demographics of the population—the outflow of a young labour workforce from the rural areas to the urban areas as well as an increase in the female population with a decrease in the male population;
  • The establishment of SMU factories; and
  • The agro-industrial complexes.

The third stage—the period of the enhancement of global competitiveness—is where Korea currently is today. This period is characterised by the following:

  • Continued efforts on the strengthening of the agrovalue chain activities;
  • A declining trend of rice consumption;
  • Expansion of vinyl greenhouses to meet the demand for fresh produce, with support for modernisation plans from the government;
  • A change in the gravity of value chain activities shifting from manufacturers to consumers;
  • The influence of technology in the growth of the market, including access of information; and
  • Creating a fund of seed money to grant to start-ups (small- and medium-sized enterprises)

While Korea and SSA countries differ in their political circumstances and while the market certainly is different now than it was 50 to 60 years ago, both Korea and SSA countries share some similarities: small-holder farmers, subsistence farming, poverty, food insecurity and the need for economic and income growth. This study utilised desktop review and analysis of Korea’s experience as well as information gathered from field visits to Malawi and Senegal to determine what key transferrable lessons can be drawn from Korea’s experiences:

  • Utilise the model of collaboration between NH and the Korean government to come up with a similar model between SSA country governments and an entity such as NH;
  • Revamp the fertiliser distribution system;
  • R&D and breeding need to focus on more than just yield, and perhaps can use farmers’ input as well as consumer opinions;
  • Reform and revamp extension and advisory services;
  • Build technical and managerial capacity adapting SMU for SSA countries;
  • Ensure that all government sponsored programs incorporate ownership and stewardship of the villagers; Encourage the growth of SMEs to participate in agriculture markets; and
  • Develop plans to expand arable land areas and land related policies with respect to infrastructure and irrigation.

Agricultural development, the attainment of rice self-sufficiency in particular, was the outcome of concerted efforts of all stakeholders involved. The government played an especially decisive role in designing and implementing detailed strategies and policies that private sector actors helped translate into actions. It is important to note, however, that agricultural transformation is an ongoing process as new types of challenges repeatedly arise to pose threats to agriculture and those who work in the industry. Furthermore, climate change calls for environmentally friendly farming technics and associated technologies.

1 Terres, pouvoirs et conflits, Une agro-histoire du monde, Pierre Blanc, 2018, Presses de Sciences Po

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