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Syndicalisme et coopération en pleine thérapie de couple

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La filière sucrière française est en crise et cette crise n’est pas seulement économique mais morale comme le montrent les extraits de l’article de Delphine Jeanne de Terre-Net (ci-dessous) qui reproduit les échanges intervenus lors de l’AG de la CGB, la branche sucre de la FNSEA. Les rôles respectifs du syndicalisme et de la coopération agricoles sont en effet à rediscuter dans un contexte où l’illusion de marchés internationaux porteurs a fait long feu.

Comme le relate très bien l’article, le syndicalisme bettravier a acompagné le développement des coopératives dans le secteur. Face au retrait des industriels du secteur à partir des années 1990, les producteurs ont fait le choix de constituer des coopératives pour racheter les outils de transformation. Le couple syndicats majoritaires-coopératives a également été à l’œuvre lors de la réforme de 2006 pour trouver des solutions constructives pour faire face à l’injonction du Brésil et de l’OMC de plafonner les exportations européennes de sucre : le programme de restructuration a permis de dédommager les sortants et l’éthanol allait pouvoir servir de variable d’ajustement.

Malheureusement la belle histoire commence à dérailler quand les prix internationaux élevés du début des années 2010 – qui résultaient aussi de la décision de plafonner les exportations européennes – ont agi comme le chant des sirènes. Puisque dans toute thérapie de couple il convient de partir d’un diagnostic partagé pour rebondir, rappelons que la CGB était particulièrement allante pour partir à la conquête des marchés internationaux1. De plus, la solution mise en avant par la branche sucre de la FNSEA pour faire face à la dérégulation du secteur reste toujours la création d’un fonds mutuel économique – appelé aussi instrument de stabilisation des revenus.

Ce type d’instrument de gestion privé des risques de marché promu lors de la réforme de la PAC de 2013 reste virtuel : aucun Etat membre n’a réussi à en mettre en place malgré les besoins provoqués par la crise, y compris pour les autres productions. Et pour cause, ce type d’approche nécessiterait pour être efficace d’être exposé à une volatilité régulière des prix autour des coûts de production, ce qui n’est jamais le cas en agriculture. De plus, comment une organisation économique pourrait prendre le risque d’aller emprunter de l’argent sur les marchés financiers à partir d’une mise de départ constituée de fonds publics afin de verser des sortes de subventions aux producteurs qui devaient être remboursées par la suite ? Ces subprimes de la crise agricole impliqueraient forcément de mettre en gage des outils de production voire les terres des agriculteurs. Ce n’est pas sérieux, aucune organisation économique ne peut se lancer dans un tel processus sous peine d’exploser en vol. De plus, on peut penser que la crise actuelle a suffisament érodé la confiance des agriculteurs pour que ces derniers se montrent peu enclin à confier les bénéfices qu’ils pourraient dégager lors d’une hypothétique nouvelle hausse de prix. Cette analyse ressortait d’ailleurs déjà des plans de filière fin 2017.

En outre, les principes de cette approche appliquée à un secteur comme la betterave où deux coopératives concentrent autour de 80% de la transformation soulève un autre problème bien identifié dans l’article : elle conduirait à court-circuiter les décisions des conseils d’adminsitration de coopératives relatives aux prix versés aux adhérents via l’entremise d’une structure syndicale. Cette fonction du syndicalisme agricole au regard de coopératives est difficilement défendable.

Dans l’étude « une politique sucrière européenne à reconstruire » nous avons mis en évidence la réalité des échanges internationaux de sucre : le marché mondial du sucre n’existe pas, seule l’Union européenne est directement connectée au prix à l’export du Brésil, l’écrasante majorité des autres pays producteurs se protègent de ce prix de dumping et, au final, la production brésilienne est soutenue par la consommation intérieure d’éthanol. En l’état la filière sucrière européenne est en danger et même avec une réduction de 25% de la production européenne pour redevenir importateur net en tenant compte des 4 millions de tonnes d’importation libre de droits de douanes, il n’est pas certain que les taxes à l’importation de 340€/t sur le sucre raffiné soient suffisantes pour des outils industriels qui subiront le « yoyo des surfaces » : une sucrerie a besoin d’être saturée sur une campagne de 5 mois pour que les coûts fixes soient absorbés par des volumes suffisants.

Ainsi, selon les propos d’Olivier de Bohan, président de la coopérative Cristal Union, rapportés dans cet article : « Le rôle des syndicats est d’avant tout d’aller auprès des ministères, des instances de gouvernement, pour défendre les sujets d’intérêts généraux pour la filière, car ils ont une liberté de parole que les structures économiques ne peuvent pas avoir ». On ne peut aller que dans ce sens. La politique sucrière européenne est à reconstruire. L’Union européenne ne peut plus être un facteur de destabilisation des échanges internationaux et la préparation de l’après-pétrole nécessite de réhabiliter l’éthanol de 1ère génération, c’est là sans doute l’un des enjeux du Green Deal européen

 

Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies


Syndicalisme et coopération en pleine thérapie de couple

Extraits de l’article de Delphine Jeanne disponible en cliquant ici

Si la relation forte entre syndicalisme et coopération a permis à la filière betteravière de se structurer et de devenir un modèle d’organisation, la fin des quotas et la crise qui a suivi remettent en question ces fondamentaux et les rôles attribués à chacun. […]

Alors qu’en 1990, 20 % des sucreries appartenaient aux producteurs, « lors de la prochaine campagne, 90 % des planteurs verront leurs betteraves transformées par des outils leur appartenant », a rappelé Franck Sander, président de la Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB). […] Ces rachats d’usines par les planteurs ont été réalisables grâce à l’action conjointe de la coopération et du syndicalisme, contribuant à faire de la betterave une filière d’exception, rémunératrice pour les producteurs.

Cependant, si la fin des quotas annoncée en 2017 a d’abord été perçue comme une véritable opportunité pour l’ensemble de la filière, la surproduction mondiale et la chute des cours qui ont suivi ont généré tensions et incompréhensions entre les producteurs et leurs coopératives. Parmi les sujets de discorde, le non-respect des engagements pris par Cristal Union sur les prix, ou l’absence de soutien des coopératives lors de la création des OP de Saint-Louis Sucre.

Sécurité, visibilité, adaptation économique

Dans ce contexte difficile, les coopératives sont-elles toujours un atout pour les planteurs ? Oui, ont répondu unanimement les présidents de JA, de la CGB, et la présidente de la FNSEA. « La coopérative doit apporter la sécurité, dans une perspective intergénérationnelle », estime Samuel Vandaele, président de JA. Mais cette sécurité dépend nécessairement de la visibilité donnée aux producteurs, notamment en matière de prix, ce que les coopératives n’ont pas réussi à assurer ces dernières années.

« Sur les 10 dernières années, les deux meilleurs payeurs, ce sont les coops. On a essayé de faire de la fin des quotas une opportunité », tient à rappeler Olivier de Bohan, président de Cristal Union, qui assure que la crise était impossible à prévoir.

« On a tout fait pour tenir nos engagements, mais ces années sont le pas de temps qu’il nous faut pour revenir à un schéma normal », renchérit Jean-Charles Lefebvre, président du conseil de surveillance de Tereos. « Ce n’est pas le moment de se déchirer, il faut serrer les rangs », estime-t-il.

Pour Dominique Chargé, président de la Coopération agricole, « ce qui a changé par rapport à 1990, ce n’est pas la coopération, c’est le contexte économique. Il faut que l’on s’adapte au contexte économique de notre époque ».

Adapter le syndicalisme ?

Et pour Olivier de Bohan, le syndicalisme agricole doit lui aussi s’adapter. « Les actes du syndicalisme d’hier ne peuvent plus être ceux de demain. Le rôle des syndicats est d’avant tout d’aller auprès des ministères, des instances de gouvernement, pour défendre les sujets d’intérêt généraux pour la filière, car ils ont une liberté de parole que les structures économiques ne peuvent pas avoir. Par contre ce n’est pas leur rôle d’aller dans les centres de réception, ce n’est pas le rôle du syndicat de négocier les prix », développe-t-il.

Une position qui n’a pas manqué de faire réagir Christiane Lambert : « Économie et prix, ça ne peut pas être dissocié, nous défendons le revenu des agriculteurs en étant dans notre rôle syndical ».

Pour Samuel Vandaele, c’est une question de curseur. « Je pense qu’en tant que président de JA nat, je n’ai pas à interférer dans le calcul du prix décidé dans les coops, mais je dois y avoir accès.  Par contre, sur les sections locales, bien sûr qu’il doit y avoir un échange ». Échange que défend également Dominique Chargé : « il est absolument indispensable que nous ayons ensemble des échanges pour évoquer la situation économique. Nous sommes entre agriculteurs. On a les mêmes intérêts, même si chacun doit jouer son rôle ! ».

Construire en commun

En dépit de désaccords parfois difficiles à digérer pour les producteurs, notamment ceux qui se sont constitués en organisations de producteurs face à Saint Louis Sucre, avec une absence de soutien remarquée de la part de la coopération, syndicalisme et coopératives veulent continuer à avancer en commun sur un certain nombre de sujets d’avenir : présence des jeunes dans les instances, signature d’accords interprofessionnels, éviter les doublons…

D’autant plus « qu’on a aussi une part de responsabilité dans ce qui arrive, la filière betteravière était filière d’excellence, peut-être qu’on s’en est un peu désintéressés, on n’a pas su anticiper ni se protéger » regrette Samuel Vandaele. […]

S’il n’a pas forcément son mot à dire dans les décisions prises par les instances coopératives, le syndicalisme peut en revanche donner son avis, positif ou négatif, décidant d’apposer une sorte de « tampon » qui donnera confiance aux producteurs qui veulent s’engager dans une coop, explique Franck Sander.

« Ne nous renfermons pas sur nous-mêmes », conclut d’ailleurs le président de la CGB, conscient qu’au-delà des débats internes au monde agricole, ce dernier « a besoin de réconcilier la société avec les agriculteurs ».

 

1 http://www.cgb-france.fr/wp-content/uploads/2017/12/Dossier-de-presse-CGB-2017.pdf

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