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Définir l’agrivoltaïsme, un enjeu crucial pour la protection de l’activité agricole

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La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui planifie la consommation et la production des différentes sources d’énergie à l’horizon 2028, définit des objectifs ambitieux en matière de photovoltaïque : elle prévoit de passer d’un parc photovoltaïque d’une puissance de 14 GW en 2022 à au moins 35 GW en 2028.

Le développement du photovoltaïque devrait donc s’accélérer au cours des prochaines années. Contrairement à d’autres énergies, les installations photovoltaïques ont l’avantage de pouvoir être mises en place sur des surfaces variées, permettant notamment de valoriser les toitures et les friches, mais aussi, grâce à un système d’ombrières, les parkings … et les champs. Dans le secteur agricole, le photovoltaïsme a longtemps été l’apanage des bâtiments, puisque l’installation de panneaux sur les surfaces agricoles en tant que telles était strictement encadrée, les terres agricoles devant conserver leur vocation nourricière. Mais une idée séduisante a récemment fait son apparition : l’agrivoltaïsme, qui permettrait de conjuguer production agricole et électrique sur une même surface et d’améliorer le revenu des agriculteurs tout en protégeant les cultures.

Pourtant, des voix s’élèvent parmi les agriculteurs, qui craignent que la production d’énergie prenne le pas sur l’activité agricole, menant à une artificialisation déguisée des sols et une augmentation des coûts du foncier et menaçant à terme l’installation de nouveaux agriculteurs, alors que le nombre de fermes diminue d’année en année. Des inquiétudes qui peuvent paraître légitimes, alors que l’agrivoltaïsme est encore peu encadré : la définition même de ce que recouvre ce terme vient d’être adoptée lors de la commission mixte paritaire qui a réuni sénateurs et députés le 24 janvier et doit encore être votée par les deux chambres au cours des prochaines semaines.

Agrivoltaïsme versus photovoltaïque au sol, quelles différences ?

Contrairement au photovoltaïque au sol, qui se développe sur des terres non agricoles ou incultes, l’agrivoltaïsme vise à produire de la nourriture et de l’énergie sur une même surface. Le photovoltaïque au sol est très encadré : on ne peut pas installer des panneaux au sol n’importe où, et tous les projets qui vont consommer des espaces agricoles sont soumis à autorisation préalable de la CDPENAF (voir encadré). L’agrivoltaïsme est une nouvelle pratique qui nécessitait de préciser dans quelles conditions on peut considérer que l’installation de panneaux solaires n’entrave pas la capacité à produire des terres.

Encadré: CDPENAF, quèsaco ?

LA CDPENAF, la commission de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers vise à limiter au maximum la consommation de ces espaces, elle a une mission de préservation du foncier agricole contre l’artificialisation des sols.

La CDPENAF peut être saisie ou s’auto-saisir de toute question dans son domaine de compétences. Elle émet alors des avis qui sont transmis au préfet. Dans le cas d’un avis simple, le préfet n’est pas obligé de suivre la décision de la CDPENAF, contrairement à un avis conforme. En pratique, l’avis de la CDPENAF est généralement suivi par le préfet.

La CDPENAF est donc impliquée dans l’autorisation des projets photovoltaïques et agrivoltaïques : pour les projets de photovoltaïque au sol, elle participe à la rédaction d’un document-cadre qui recense les surfaces agricoles et forestières sur lesquelles on peut envisager d’installer de tels projets, et qui définit les conditions de telles implantations. Lorsqu’un projet se présente, deux options : s’il est envisagé dans une zone couverte par un tel document cadre, la CDPENAF émet un avis simple. A défaut, elle doit émettre un avis conforme, par définition suivi par le Préfet pour autoriser ou non le projet.

Pour les projets agrivoltaïques, la CDPENAF devra systématiquement émettre un avis conforme.

La définition de l’agrivoltaïsme : une clarification qui laisse encore des questions en suspens

Le texte de loi apporte un début de cadre règlementaire pour définir l’agrivoltaïsme : il précise que les panneaux photovoltaïques doivent être situés sur une parcelle agricole où ils permettent de créer, de maintenir ou de développer durablement une production agricole [1]. Pour cela, les panneaux doivent apporter au moins un des services suivants[2] :

  • L’amélioration du potentiel et de l’impact agronomiques ;
  • L’adaptation au changement climatique ;
  • La protection contre les aléas ;
  • L’amélioration du bien‑être animal.

Pour être qualifiée d’agrivoltaïque, l’installation doit permettre de « garantir à un agriculteur actif une production agricole significative et un revenu durable en étant issu », et la production agricole doit bien rester l’activité principale de la parcelle agricole. Jusqu’ici, tout parait clair, mais l’application concrète de la loi pose question : comment déterminer si une installation photovoltaïque permet d’améliorer le potentiel agronomique d’une parcelle ? Comment définir production agricole « significative » et revenu « durable », alors que la production agricole est par nature variable, tout comme le revenu qui dépend de prix fluctuants ? Comment faire si le revenu issu de la production d’électricité est supérieur au revenu tiré de l’activité agricole ?

Le projet de loi renvoie à un décret ultérieur le soin de répondre à ces questions, et propose simplement de caractériser l’activité principale via le volume de production (envisage-t-on alors comparer des quintaux et des mégawatts ?), le niveau de revenu ou l’emprise au sol.

Le projet prévoit certains garde-fous, et impose notamment aux installations agrivoltaïques d’être réversibles. Mais en cas de problème, c’est le propriétaire du terrain qui sera tenu d’enlever dans un délai raisonnable l’ouvrage et de remettre en état le terrain ; il reste à espérer que dans ce cas, les frais d’enlèvement, de recyclage des panneaux et de remise en état seront bien à charge de l’exploitant des panneaux.

Malgré cette dernière exigence, les précisions sur les modalités de suivi, de contrôle des installations et les sanctions en cas de manquement devront attendre la publication des décrets. Par exemple, si un bail est signé entre un agriculteur et un énergéticien mais que l’agriculteur est déçu par les conséquences de ce partenariat, comment pourra-t-il y mettre un terme ? Comment pourra-t-il démontrer que l’installation photovoltaïque n’est plus compatible avec son activité ?

Un développement à relativiser… pour le moment

Pour atteindre les objectifs de la PPE en matière de photovoltaïque, il faudrait une puissance supplémentaire de 21 à 30 GW d’ici 2028. 1 ha permettant de produire environ 0,5 à 1 MW, la PPE indique que les surfaces installées au sol devraient représenter 33 à 40 000 ha en 2028. Si l’absence de définition constitue pour le moment un frein au recensement des projets d’agrivoltaïsme, des estimations des surfaces couvertes ont néanmoins été réalisées, comme en Nouvelle-Aquitaine, la première région productrice d’énergie photovoltaïque en France (avec près d’un quart de la production nationale), où la surface d’installations photovoltaïques mobilise 4 300 ha[3], dont 21%, soit 900 ha, sont installés sur des terres agricoles.

Les projets d’agrivoltaïsme aujourd’hui déjà en place sont pour le moment en grande majorité des démonstrateurs. Ces structures de petite taille (la plupart font moins de 250 kW) permettent de collecter des données sur les rendements et sur l’impact des installations sur l’activité agricole, données dont le secteur manque encore cruellement. Mais dans les faits, de nombreux projets agrivoltaïques sont en projet et laissent imaginer l’ampleur du changement d’échelle à venir, comme la coopérative Dijon Céréales qui vise 3 000 ha d’installations d’ici 10 ans[4], ou encore Total qui ambitionne une puissance de 500 MW en agrivoltaïsme d’ici 2025, soit une surface de 500 à 1000 ha de terres agricoles.

Des promesses … et des craintes

Les opposants à l’agrivoltaïsme estiment pourtant que les objectifs de la PPE sont largement atteignables par les installations sur toitures et surfaces non agricoles, reprenant des estimations de l’ADEME qui évaluent respectivement à 364[5] et 53 GW[6] les gisements mobilisables sur les grandes toitures et sur les parkings et zones délaissées (friches, anciens sites industriels pollués…)[7]. Le projet de loi impose d’ailleurs aux parkings de plus de 1500 m² d’être équipés d’ombrières photovoltaïques sur au moins la moitié de leur surface s’ils ne sont pas suffisamment arborés. Sachant qu’il ne nous manque qu’une vingtaine de GW pour remplir les objectifs de la PPE, on en vient à se demander pourquoi les opérateurs se focalisent sur l’agrivoltaïsme et les terres agricoles au lieu de mobiliser ces surfaces inexploitées.

Plusieurs points sont à prendre en compte pour comprendre l’engouement des énergéticiens pour les terres agricoles. Le coût des installations est plus faible au sol que sur toitures : en 2019, le coût de production moyen d’un MW sur grande toiture était d’environ 70-100 €, contre 45 à 76 € pour les centrales au sol. Ensuite, installer une centrale photovoltaïque sur un ancien site industriel présente certains freins, ce type d’installations étant réputé plus complexe techniquement et administrativement, les sites étant parfois peu accessibles et nécessitant d’être dépollués. L’agrivoltaïsme apparait comme une solution bien plus simple, avec des surfaces potentiellement directement accessibles.

Cependant, une étude parue en 2020 estime que le coût de production d’une installation agrivoltaïque est supérieur de 38% à son équivalent au sol, qui n’a pas de contraintes relatives à la production agricole[8]. En effet, la configuration des installations agrivoltaïques doit préserver la production agricole, ce qui peut nécessiter de surélever, incliner ou écarter les panneaux pour permettre le passage des machines ou des animaux, et conduire à une baisse de rendement énergétique, donc une augmentation du coût. Un élément que peuvent tendre à négliger les développeurs, acteurs du secteur énergétique, donc peu au fait des spécificités de la production agricole.

Malgré ces contraintes, une installation agrivoltaïque peut avoir un effet positif sur l’activité agricole – c’est d’ailleurs tout l’intérêt théorique du système. Elle peut ainsi conduire à une amélioration des rendements et/ou de la qualité des cultures, même si les bénéfices sont fortement variables selon le type de projet et d’espèce cultivée. Parmi les avantages observés, on peut citer la protection des cultures contre les dégâts de grêle et le gel et les températures trop élevées, ou encore une réduction des besoins en irrigation. Les panneaux peuvent également offrir un abri aux animaux en cas de fortes chaleurs.

Cependant, dans certaines situations, des pertes de rendement ont aussi été observées dans le cas où la lumière est le facteur limitant de la croissance des plantes. Dans tous les cas, il y a perte de la surface non cultivée autour des panneaux, qui représente 10 à 15% d’une parcelle[9]. D’autres questions agronomiques se posent encore, comme les effets de la concentration de la pluviométrie qui va ruisseler des panneaux sur la même surface au lieu d’être répartie de façon homogène sur les cultures. Par ailleurs, qui décidera de l’orientation des panneaux, qui pourra soit être définie de manière à maximiser le rendement photovoltaïque, soit favoriser les cultures ? Ces questions soulignent l’importance d’un bon paramétrage du projet (dimension, type, écartement, hauteur et orientation des panneaux, taille de l’installation…). Loin des solutions clés en main, il semble donc primordial d’associer l’agriculteur au développement du projet pour s’assurer qu’il sera cohérent avec ses pratiques agricoles.

Qui seront les gagnants de l’histoire ?

Cette implication de l’agriculteur constitue un préalable au maintien de la production agricole, sur lequel se cristallise une autre partie des craintes des opposants. Les projets d’agrivoltaïsme peuvent prendre différentes formes, dans la rémunération des acteurs (propriétaire / exploitant / énergéticiens) comme dans l’engagement et la durée, selon la forme du bail adopté.

Actuellement, rien n’encadre le partage de la valeur entre les différents acteurs, et les loyers perçus par l’agriculteur varient fortement selon les projets (de 100 à 5000 €/ha). Une source de revenu potentiellement importante, qui va générer de nouveaux questionnements : entre propriétaire et fermier, qui touchera ce loyer ? Quel avenir pour la structure si l’agriculteur exploitant prend sa retraite alors que le bail est encore en cours ?

Le risque est aussi de voir la production agricole s’effacer au profit du photovoltaïque, plus rentable et nécessitant moins de travail. Cette meilleure rentabilité de l’activité photovoltaïque risque de conduire à une augmentation irraisonnée des prix du foncier agricole[10], qui ferait obstacle aux activités agricoles et surtout à l’installation de jeunes agriculteurs. La proposition de loi intègre bien l’objectif de s’assurer « de l’absence d’effets négatifs sur le foncier et les prix agricoles », et exige un rapport sur les conséquences du développement de l’agrivoltaïsme sur le prix du foncier agricole et sur la productivité des exploitations agricoles au bout de trois ans d’application. En effet, l’installation de panneaux pourrait faire grimper le prix des fermes à reprendre, voire pousser les agriculteurs en place à retarder leur passage à la retraite, moins intéressante financièrement que la rente liée aux panneaux, qui pourra être complétée par les aides PAC[11], si l’activité agricole reste « principale » sur la parcelle. Une rente bien plus intéressante que le montant issu de la retraite agricole, l’activité agricole pouvant être réalisée par le biais d’entreprises.

Conclusion

Encore émergent en France, l’agrivoltaïsme regroupe une grande diversité de pratiques. Cette nouvelle loi y apporte un cadre indispensable qui permettra certainement une sélection plus facile des projets, donc une mise en place plus rapide : actuellement, il se passe 4 à 5 ans entre les premières démarches et le début de la production. Cependant, les décrets à venir nécessitent d’être précis afin de prévenir toute dérive, sur ce sujet où la France fait partie des pionniers.

Le maintien de la vocation initiale des terres agricoles reste un point de vigilance crucial. Pour que cette vocation se maintienne sur le long terme, il faudra continuer à encourager et inciter à la transmission et à l’installation. Or, les niveaux importants des loyers versés par les énergéticiens aux détenteurs de terres agricoles pourraient inciter ces derniers à conserver leur exploitation et faire effectuer les travaux par ETA plutôt que de transmettre. L’agrivoltaïsme sera-t-il un complément de revenu bienvenu et une protection des cultures ou une rente pérenne empêchant la transmission ?

Les surfaces concernées par l’agrivoltaïsme semblent encore limitées, mais les ambitions énergétiques françaises en matière de photovoltaïque risquent de changer la donne. Il faut néanmoins garder en tête que cette source d’énergie ne représente encore que 12,5% de la production d’électricité renouvelable et 4,2% du total des énergies renouvelables françaises (presque autant que la méthanisation avec 4,4%) soit moins de 1% de la production énergétique totale. Si l’on parle beaucoup de la puissance des panneaux installés, il ne faut pas non plus oublier que le photovoltaïque dépend de l’ensoleillement et qu’il n’y a pas de production la nuit. Notre souveraineté énergétique ne pourra donc reposer que très marginalement sur les seuls efforts des agriculteurs.

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies
Lore-Elene Jan, consultante d’Agriculture Stratégies

Le 1er février 2023

[1] https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0526_texte-adopte-commission#D_Articles_11_decies_A_et_11_decies_B

[2] Une installation portant « une atteinte substantielle » à l’un de ces services ou « une atteinte limitée à deux de ces services » ne pourra pas être considérée comme agrivoltaïque

[3] https://www.nouvelle-aquitaine.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/focus_sur_54_photovoltaique_au_sol.pdf

[4] https://www.agra.fr/agra-presse/agrivoltaisme-dijon-cereales-veut-en-installer-environ-3-000-ha-dici-dix-ans

[5] https://librairie.ademe.fr/cadic/2889/mix100-enre-synthese-technique-macro-economique-8892.pdf

[6] https://librairie.ademe.fr/cadic/848/synthese-etude-potentiel-pv-friches-parkings-2018.pdf

[7] Attention toutefois, il s’agit d’un potentiel d’installation qui ne prend pas en compte les éventuels coûts de réhabilitation des sites dans le cas des zones délaissées.

[8] Schindele et al., 2020. Implementation of agrophotovoltaics: Techno-economic analysis of the price-performance ratio and its policy implications, Applied Energy, vol. 265.

[9] ADEME, I Care Consult, Ceresco, Cétiac. 2021. Caractériser les projets photovoltaïques sur terrains agricoles et l’agrivoltaïsme – Etat de l’art bibliographique. 141 pages.

[10] https://www.lafranceagricole.fr/gestion-et-droit/article/805033/l-agrivoltaisme-se-cherche-une-place-au-soleil

[11] A la différence des surfaces qui accueillent du photovoltaïque au sol, les surfaces en agrivoltaïsme pourront toucher les aides PAC.

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