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« Le découplage des aides ne mène nulle part, il faut en sortir et redonner aux choix politiques une capacité à changer les choses » Olivier Allain

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Agriculture Stratégies organisait une conférence de presse le 13 Juin 2018 en présence des membres de son Comité d’Orientation Stratégique.
Retrouvez ci-dessous l’intervention d’Olivier Allain, Agriculteur et Vice-président du Conseil Régional de Bretagne (LREM)

« Je souhaite revenir sur la question du budget de la PAC et sur la proposition de réforme en 4 piliers proposée par Agriculture Stratégies.

Le budget de la PAC et les dépenses nationales, l’agriculture française coûte entre 12 et 14 milliards d’euros par an au contribuable. Cela ne me parait pas excessif, loin de là !

Je pense qu’il est important de comparer le budget agricole avec celui d’autres grandes politiques. Qu’est ce qui est important pour un individu ? C’est bien sûr de manger, c’est aussi de se loger ou de se soigner. Si on regarde les dépenses de logement, c’est près de 46 milliards d’euros et la seule branche santé des régimes de base de la Sécurité sociale, c’est plus de 190 milliards d’euros en France. En cumulant le budget de la PAC et les dépenses nationales, l’agriculture française coûte entre 12 et 14 milliards d’euros par an au contribuable. Cela ne me parait pas excessif, loin de là !

Vous pouvez également comparer avec les 32 milliards d’euros de budget de la formation professionnelle auquel le Président Macron veut s’attaquer car vous avez d’un côté des employeurs qui ne trouvent pas d’employés et de l’autre des employés qui ne trouvent pas d’employeur. Donc, globalement le coût budgétaire du soutien à l’agriculture et je crois qu’il faut insister là-dessus, n’est pas excessif pour le contribuable et l’on doit pouvoir légitimement prétendre à continuer à avoir au moins ce montant, ça a du sens !

J’ai évoqué les contribuables, on peut parler des consommateurs également et faire encore la relation avec le logement. Quand on regarde les dépenses des Français pour se loger, ça ne cesse de croître, on est à 24%. De l’autre côté, le budget alimentaire des ménages était à peu près de 20% il y a encore 30 ans, et depuis on est tombé à 10,5%.

Donc sur le plan budgétaire et sur le plan du coût de l’alimentation, on peut dire que l’on est dans une situation satisfaisante. Le problème, c’est que les agriculteurs ne trouvent pas leur compte parce que jamais les revenus n’ont été aussi faibles. Il y a donc urgence à changer de logique.

Au nom de l’efficacité du soutien public, il faut une politique qui puisse gérer les équilibres de marché et sortir des crises

Le projet d’Agriculture Stratégies est vraiment très cohérent. Il place au cœur de ces propositions l’impératif de l’efficacité budgétaire et redonne un sens aux aides publiques. La loi faisant suite aux Etats Généraux de l’Alimentation a été adopté en première lecture à l’Assemblée il y a quelques jours. Elle porte des avancées importantes pour redonner de la valeur au sein des filières. Mais interrogeons-nous : qu’est ce qui fait des meilleurs prix pour les producteurs ? C’est quand il y a une tension entre l’offre et la demande. On le sait, quand on est à l’équilibre, et plus encore quand un léger excédent apparait, on voit comment les prix peuvent s’effondrer. Dans ce cas, toutes politiques publiques d’aides aux agriculteurs sont mises à mal quand les prix dégringolent car ce sont aussi les aides qui échappent aux agriculteurs et parviennent à leurs clients ou aux clients de leurs clients. C’est pour cela qu’au nom de l’efficacité du soutien public, il faut une politique qui puisse gérer les équilibres de marché et sortir des crises.

C’est la logique du deuxième pilier que propose Agriculture Stratégies : disposer des outils pour gérer au mieux l’offre que ce soient par les organisations de producteurs eux-mêmes ou par les pouvoirs publics, à l’échelle européenne, de manière à faire remonter les prix. Et cela fait sens parce que c‘est ce qui coûte le moins cher budgétairement. Donc, les résultats des Etats Généraux de l’Alimentation dépendront aussi de comment on accompagnera les producteurs pour mieux s’organiser et de quels outils pourront être utilisés dans la PAC pour équilibrer les marchés.

J’insiste, il faut reconnaitre la cohérence du projet d‘Agriculture Stratégies, et forcément les aides découplées n’y ont pas leur place. L’idée même de la politique c’est de faire des choix, or le découplage quand on y réfléchit bien, c’est l’incapacité pour le politique de pouvoir orienter. Prenons l’exemple des protéines végétales, c’est quand même paradoxal que face à un enjeu aussi stratégique, où l’Europe est déficitaire, on ne puisse se donner les moyens de faire autrement. Je viens d’une région, la Bretagne, où il y a beaucoup de production animale : on est très dépendant des importations de soja, qui sont surtout OGM. Nous avons besoin d’une politique en faveur des protéines digne de ce nom. Dans un monde aux relations géopolitiques aussi instables et alors que l’on voit qu’il y a une demande des consommateurs pour du non-OGM, il faut développer ces productions en Europe et cela passera par d’avantage d’aides couplées. Plutôt que de continuer dans cette « mondialisation Shadock » qui veut qu’on exporte du blé à bas prix tout en important des protéines de façon massive et à des prix élevés, il est urgent de redonner du sens à la PAC par plus d’aides susceptibles de faire évoluer les assolements.

De manière générale, et cela ressort très bien dans la Note de référence stratégique, il faut arrêter d’être naïfs : le découplage des aides ne mène nulle part, il faut en sortir et redonner aux choix politiques une capacité à changer les choses.

Il faut arrêter d’être naïfs : le découplage des aides ne mène nulle part, il faut en sortir et redonner aux choix politiques une capacité à changer les choses.

J’en arrive au troisième pilier consacré à l’environnement, et là aussi on ne peut pas dire que jusque-là on ait été très efficace. Je crois beaucoup aux dispositifs contractuels, je pense par exemple aux Mesures Agro-Environnementales et Climatiques (MAEC). Ces mesures permettent de prendre en compte l’ensemble du système de production et d’accompagner de vrais changements. Je prends l’exemple de la Bretagne qui comme les autres Régions est devenue gestionnaire du second pilier de la PAC. On a aujourd’hui un tiers de nos éleveurs laitiers et bovins-viande qui ont souscrit une « MAEC système » et l’on démontre que plus d’agro-écologie, c’est plus de compétitivité et des systèmes plus pertinents et plus résilients.

Le développement des MAEC je crois qu’il faut le poursuivre et c’est l’idée centrale du 3e pilier de cette proposition. Avec un engagement sur 5 ans, ça permet de sécuriser les agriculteurs, de leur donner un matelas financier qui leur permet cette transition environnementale et énergétique. C’est comme cela que l’on arrivera à avoir des systèmes agricoles qui soient plus résilients, qui remplissent les objectifs que tout le monde a en tête comme la réduction des gaz à effet de serre.

Enfin le quatrième pilier, c’est l’installation. Il faut le dire, je suis très attaché à l’agriculture familiale : je considère qu’elle a tous les atouts de compétitivité d’abord, mais aussi d’occupation du territoire pour des campagnes vivantes. Certes, on pourrait produire autant avec 10 fois moins de fermes mais l’impact sur les territoires serait catastrophique et la compétitivité ne serait pas meilleure, loin de là. Compte tenu de la pyramide des âges, ce serait une erreur de ne pas mettre le paquet sur l’installation. Nous avons besoin d’un pilier extrêmement fort et exclusif sur l’installation pour que l’Europe donne un vrai signal de priorité sur le renouvellement des générations.

Il est grand temps de sortir de la logique mortifère du découplage, des réductions budgétaires, de l’absence de vision stratégique

Efficacité budgétaire, couplage des aides, régulation des crises, environnement et installation : je crois qu’il est temps aujourd’hui de faire des propositions. Je ne sais pas s’il est illusoire ou non que d’ici fin mars 2019 que la réforme proposée par la Commission soit actée mais il est grand temps que la France, premier producteur agricole européen, porte un projet qui soit audacieux. Il est grand temps de sortir de la logique mortifère du découplage, des réductions budgétaires, de l’absence de vision stratégique. Il y a une crise des revenus agricoles en Europe, en France en particulier, mais aussi dans tous les pays européens. Je crois qu’il faut redonner de l’espoir à nos agriculteurs, le projet d’Agriculture Stratégies, pour moi, fait corps et fait sens.

Voilà ce que je voulais dire, merci à toute l’équipe d’Agriculture Stratégies, Jacques, Frédéric, Dominique, de travailler sur tous ces sujets-là. C’est maintenant je pense qu’il faut être force de propositions. La France compte beaucoup en matière agricole et a longtemps été leader, c’est peut-être un petit peu moins le cas maintenant mais avec ce genre de projet on peut le redevenir. Le Président de la République est très attaché à l’agriculture et à l’Europe, c’est le moins que l’on puisse dire, donc gageons que ce projet puisse être partagé de façon large et arriver à porter avec succès un nouveau projet agricole digne de ce nom.

 

Retrouvez les deux autres articles concernant cette conférence de presse ici :

« Derrière les enjeux de sécurité internationale ou de géopolitique, il est toujours question de sécurité alimentaire et d’agriculture » Frédéric Descrozaille

« Nous avons assisté à une dégradation progressive des fondamentaux de la PAC sans pour autant voir émerger un schéma alternatif cohérent » Hervé Gaymard