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« Nous avons assisté à une dégradation progressive des fondamentaux de la PAC sans pour autant voir émerger un schéma alternatif cohérent » Hervé Gaymard

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Agriculture Stratégies organisait une conférence de presse le 13 Juin 2018 en présence des membres de son Conseil d’Orientation Stratégique.
Retrouvez ci-dessous l’intervention d’Hervé Gaymard, ancien Ministre de l’Agriculture et Président du Conseil régional de Savoie (LR)

« Je n’ai rien à rajouter à ce qu’ont dit Jacques Carles, Olivier Allain et Fréderic Descrozaille. Je vais essayer de ne pas être redondant car je partage complètement ce qui vient d’être dit. Au moment où la Commission présente de nouvelles perspectives budgétaires et des propositions pour la prochaine PAC, il convient en premier lieu de rappeler, comme mes prédécesseurs l’ont fait, que la question agricole est fondamentalement politique et qu’elle n’est qu’accessoirement budgétaire. Je pense que c’est quelque chose qu’il faut toujours marteler.

Il convient en premier lieu de rappeler, comme mes prédécesseurs l’on fait, que la question agricole est fondamentalement politique et qu’elle n’est qu’accessoirement budgétaire

La question agricole est politique au moins à trois titres : tout d’abord parce qu’elle surdétermine la question alimentaire, à la fois en quantité et en qualité, et que les liens avec les politiques de santé publique et nutritionnelles devraient être davantage travaillées. Ensuite, il y a évidemment les enjeux de l’activité économique de nos territoires et la protection de nos ressources naturelles. Enfin la question agricole est fondamentalement géopolitique.

Et, de ce point de vue, je ferai deux remarques. Chacun se souvient de ce qu’il s’est passé en 2007-2008 avec la crise alimentaire et ses répliques en 2010 – le printemps arabe – et en 2012 la sécheresse aux Etats-Unis. Il y a eu une mobilisation internationale importante sur ces sujets, un G20 consacré à la question en 2011 où l’on a parlé de la constitution de stocks régulateurs, d’améliorer la transparence, de limiter la spéculation sur les marchés financiers de matière première, etc.. Et, force est de constater, qu’une fois l’orage passé, tout le monde a oublié. Cette situation que l’on a connue il n’y a pas si longtemps, on peut tout à fait la voir se reproduire.

Cela veut dire que si l’on détricote le PAC on va mettre en danger la politique commerciale intégrée européenne

Deuxièmement, je reviendrai sur une période historique antérieure. Quand on parle de la PAC, il ne faut pas oublier que la PAC est au cœur de la construction européenne avec le Traité de Rome en 1957 – en fait on a une séquence de 1955 à 1965 – et que la PAC a permis de surmonter l’échec de la CED – la Communauté Européenne de Défense – en 1954. Les négociations étaient extrêmement serrées à la fois à la fin de la IVème République et au tout début de la nouvelle Vème République, il s’agissait de rendre indissoluble une politique commerciale intégrée au niveau européen et en même temps, pour reprendre une expression qui fait flores désormais, une politique agricole commune ambitieuse. Il faut en effet rappeler sans cesse que les deux vont en même temps ! Cela veut dire que si l’on détricote la PAC on va mettre en danger la politique commerciale intégrée européenne.

Nous avons donc assisté à une dégradation progressive des fondamentaux de la PAC sans pour autant voir émerger un nouveau cadre cohérent

Sans être trop long pour essayer d’évaluer la situation dans laquelle nous sommes, d’abord, comme vous l’avez bien dit, nous sommes à la fin d’un paradigme. Je ne vais pas revenir sur toutes les étapes de la construction agricole européenne, mais ce qui est vrai c’est qu’à partir de l’Uruguay round en 1986 où l’agriculture devient un sujet de négociations commerciales multilatérales – ce qu’elle n’était pas précédemment au sein du GATT – on est entré dans une critique systématique de la PAC initiale, mais on n’a toujours pas remplacé le schéma initial par un schéma alternatif cohérent. Nous avons donc assisté à une dégradation progressive des fondamentaux de la PAC sans pour autant voir émerger un nouveau cadre cohérent.

Bien sûr, la PAC originelle n’était pas parfaite, elle a répondu aux attentes pour lesquelles elle avait été instituée dans les années 1960 et 1970, et on a très bien vu notamment avec l’apparition des excédents laitiers que le modèle original devenait obsolète. Il fallait le réformer globalement, c’est incontestable, mais au final cela n’a pas été fait, car la PAC actuelle est une PAC de transition.

Et pour cause, on a assisté à une sorte de mode intellectuelle, mode qui avait été lancée notamment par Tangermann, un économiste de l’OCDE, c’était le découplage comme étant la solution à tout ! Ce concept de découplage des subventions a fait flores intellectuellement à la fin des années 1990 et au début des années 2000 pour deux raisons : la première, c’était que cela paraissait un bon moyen de vider les excédents de production et les stocks qui coûtaient cher à l’Union européenne ; la seconde, c’était que ça devait permettre à l’Europe d’être en position de force dans les négociations commerciales multilatérales où le découplage semblait être la solution magique pour arriver à un accord dans le Doha round. La boite orange étant le diable, la bleue le purgatoire et la verte le paradis.

Aujourd’hui que constate-t-on ? Premièrement que le découplage est un échec et, deuxièmement, qu’il n’y a plus de Doha round !

On a vécu, j’ai vécu en tant que négociateur, aussi bien au niveau de l’UE qu’au niveau de l’OMC dans les réunions ministérielles, cette espèce de mode contre laquelle il était très difficile de résister, et aujourd’hui que constate-t-on ? Premièrement que le découplage est un échec et, deuxièmement, qu’il n’y a plus de Doha round !

Je me souviens qu’on était toujours mis en accusation y compris par le Commissaire européen aux négociations commerciales multilatérales de l’époque qui nous disait – en bon français – que c’était le Blame Game : il fallait que l’Europe, dans une version mystique de l’Union européenne, tende l’autre joue en permanence pour prouver qu’elle faisait tout avant tout le monde. On avait beau aller au Canada et voir par exemple que leur politique laitière ne correspondait pas du tout aux impératifs de l’OMC, il suffisait aux Canadiens de mettre en avant quelques réformes libérales, souvent très à la marge, pour se donner bonne conscience et ils continuaient – à juste titre – leurs politiques de gestion de marchés, qu’on a bien réussi – en Europe – à nous faire supprimer.

Il faut insister sur ce point, je l’ai vécu, il y a une espèce de naïveté, d’irénisme qui consiste à penser qu’il fallait sans cesse donner l’exemple. Je crois que maintenant il faut être extrêmement réaliste, nous sommes à la fin de cette séquence, et il ne faudrait pas qu’au moment où on peut refonder une politique agricole européenne ambitieuse que, au contraire, on abandonne tout ! C’est pourtant ce que je lis dans les propositions de Phil Hogan.

Alors que le paradigme qui domine depuis 25 ans est remis en cause de toutes parts, je pense que c’est exactement le contraire qu’il faut faire, je pense qu’il faut que nous portions un grand projet agricole alimentaire, nutritionnel, climatique, environnemental européen

Sans vouloir être polémique, on voit dans ces propositions que l’on renonce à avoir une PAC sous prétexte qu’il faut aller vite et qu’il y a un calendrier à respecter. Là aussi il faut refuser la tyrannie du calendrier, ce n’est pas parce que certains à la Commission disent qu’il faut se dépêcher de boucler la négociation avant les élections européennes que l’on doit faire tout ce qu’on peut, y compris n’importe quoi, y compris a minima ! Alors que le paradigme qui domine depuis 25 ans est remis en cause de toutes parts, je pense que c’est exactement le contraire qu’il faut faire, je pense qu’il faut que nous portions un grand projet agricole alimentaire, nutritionnel, climatique, environnemental européen.

Dernière remarque, la question agricole est fondamentalement géopolitique, cela doit orienter la substance de nos propositions. J’ai toujours été frappé, quand on considère les politiques européennes et l’organisation même de la Commission européenne, qu’on a des politiques en silos :  la politique agricole, la politique commerciale, la politique en faveur du développement. Aborder ces trois politiques séparément est une ineptie, le temps est venu pour l’UE en ce monde qui bouge et qui est plein de menaces, d’avoir un vrai projet structurant qui concerne évidemment l’intérieur de l’UE mais aussi sa politique extérieure. Qu’il s’agisse de l’Afrique mais aussi des Etats micro-insulaires qui peuvent être concernés, je pense que la question du développement agricole au niveau mondial et notamment en Afrique doit être au cœur des propositions que la France doit faire et doit faire partager à ses partenaires européens. »

 

Retrouvez les deux autres articles concernant cette conférence de presse ici :

« Derrière les enjeux de sécurité internationale ou de géopolitique, il est toujours question de sécurité alimentaire et d’agriculture » Frédéric Descrozaille

« Le découplage des aides ne mène nulle part, il faut en sortir et redonner aux choix politiques une capacité à changer les choses » Olivier Allain

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