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Le point sur l’épizootie d’influenza aviaire

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Après un hiver 2021 et un printemps 2022 fortement marqués par l’épizootie d’influenza aviaire, celle-ci reprend de plus belle, affectant la filière volaille française, dont le déficit commercial s’accentue. Malgré le confinement de l’ensemble des volailles françaises depuis le 11 novembre, la propagation de l’épidémie se poursuit à l’approche des fêtes. Les Français risquent d’ailleurs fort de payer leur foie gras plus cher cette année, la production de canards étant particulièrement touchée.

La vague d’influenza vient peser sur une filière qui risque d’être durablement fragilisée par la répétition des épidémies, alors que les élevages français n’arrivaient déjà plus à répondre à la demande nationale. Le ratio des importations de volaille sur la consommation s’était stabilisé autour de 35% depuis le début des années 2010, et il a repris sa progression depuis 2021, dépassant la barre des 40% pour la première fois en mars 2021. Notre déficit commercial s’est également accentué, doublant entre 2018 et 2021.

Alors que des mesures de réduction de la densité des élevages dans les zones de forte production viennent d’être prises pour tenter de freiner la progression de l’épidémie, nous faisons le point sur l’avancée de l’épidémie et ses conséquences sur l’aviculture française. 

Une épidémie aux lourdes conséquences pour la filière avicole

Pourquoi l’influenza aviaire pose-t-elle tant de problèmes? Il s’agit d’une maladie virale qui affecte les oiseaux sauvages et d’élevage[1]. Les virus qui circulent actuellement sont hautement pathogènes, ils se propagent rapidement et entraînent une mortalité des oiseaux très élevée. La contagion se fait par contact direct entre oiseaux (par exemple par contact avec des oiseaux sauvages ou lors de la chasse), ou contacts indirects via le matériel, les véhicules, les personnes, les fientes, ou encore les résidus d’élevage. Le virus se diffuse principalement en hiver, lors de la période de migration des oiseaux sauvages. Le suivi de l’épidémie se fait donc par saison, avec un début au 1er août.

En Europe, 28 pays ont détecté la présence du virus depuis le 1er août 2022. Les pays les plus affectés sont le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France, ces pays étant particulièrement touchés car ils se situent sur les routes de migration des oiseaux sauvages[2]. Selon la plateforme ESA, la diffusion du virus devrait fortement augmenter dans les prochaines semaines en raison de l’augmentation des migrations des oiseaux sauvages et des conditions hivernales favorables au virus.

Si ce nouveau démarrage de la maladie inquiète, c’est parce que la filière volaille française a déjà été fragilisée par sa propagation au cours des années précédentes. La filière canard a particulièrement été touchée, avec des mises en place diminuées de 43% et des abattages réduits de moitié entre juillet 2021 et 2022. Les volailles ont été moins affectées par l’épidémie : les poulets de chair (qui représentent 85% des abattages de volailles) ont subi une baisse des abattages de 10% sur la même période, et la production d’œufs progresse même légèrement (+0.4%).

La forte segmentation de la filière volaille constitue un facteur de fragilité dans ce contexte. Le premier maillon de la filière, constitué par les entreprises de sélection et d’accouvage qui font naître les poussins, est concentré dans le Grand Ouest et a particulièrement été affecté par l’épidémie, limitant la disponibilité des poussins qui alimentent le reste de la filière. Celle-ci risque d’être durablement fragilisée par la répétition des épidémies, interrogeant sur la capacité des élevages français à répondre à la demande nationale. Le solde commercial en poulet de la France est déficitaire depuis 2014 ; la part des importations dans la consommation de viande de volailles progresse, dépassant les 40% depuis début 2022 (et même les 47% pour le poulet). Sur les premiers mois de 2022, le déficit s’accentue toujours davantage. Cependant, il est complexe d’estimer les effets de l’influenza aviaire sur la filière avicole car il faut isoler l’effet de la maladie des autres facteurs, notamment économiques.

Figure 1 : solde des échanges de viande de poulet (en gris) et part des importations dans la consommation – source Agreste, traitement Agriculture Stratégies

Une stratégie de lutte coûteuse …

Il n’existe actuellement pas de traitement spécifique contre la maladie. Pour éviter sa propagation, des mesures de lutte ont été mises en place depuis l’épidémie de 2015-2016. Elles incluent le recensement des détenteurs d’oiseaux, une surveillance accrue par autocontrôles dans les élevages, et la mise à l’abri de tous les oiseaux dans des bâtiments fermés ou sous des filets de protection. Cette dernière mesure a entraîné une adaptation des cahiers des charges des élevages de plein air sous label, les animaux ne pouvant être maintenus à l’extérieur. Les volailles susceptibles d’avoir été contaminées sont également abattues de manière préventive. Face à la recrudescence du nombre de cas détectés, le niveau de risque a été relevé le 10 novembre 2022, entrainant un durcissement des mesures de biosécurité et le confinement de l’ensemble des volailles du territoire. Les autres pays européens touchés par l’épidémie ont adopté des mesures similaires à la France, avec des mesures de biosécurité renforcées, une claustration et des abattages préventifs.

Depuis la reprise de l’épidémie en 2021, 21,8 millions de palmipèdes et volailles ont été abattus, à titre préventif ou non. Le coût des mesures de biosécurité est en partie supporté par l’Etat, qui indemnise par exemple les éleveurs touchés par l’épidémie à hauteur de 100% pour l’abattage de leurs animaux et pour la baisse d’activité générée par l’épidémie pendant 150 jours. Depuis 2022, les éleveurs qui se trouvent en zone réglementée bénéficient également d’une indemnité pour pallier la pénurie de jeunes animaux générée par les vides sanitaires prolongés et les abattages massifs. L’Etat prend en charge ces indemnisations et les moyens humains mobilisés pour faire face à la crise, pour un coût estimé à 200 millions d’euros par crise sur les années 2015-2016 et 2016-2017. Les indemnisations ont été principalement fléchées vers les éleveurs (73% du montant des aides).

La rigueur des mesures de biosécurité imposées par l’Etat, en particulier la claustration généralisée, suscite une opposition grandissante chez les éleveurs. La fronde gronde particulièrement dans le Lot-et-Garonne, où la Chambre d’Agriculture a voté à l’unanimité une motion refusant le confinement et les abattages préventifs[3]. Par ailleurs, dans une lettre ouverte adressée aux ministres le 17 novembre, la Confédération paysanne et 25 autres organisations demandent un changement radical de stratégie, critiquant la politique de claustration qui affecte le bien-être animal et, selon eux, condamne les élevages en plein-air si la claustration est amenée à se prolonger. Pour stopper l’épidémie, ils proposent un arrêt total des mises en place et transports de volailles dans les zones les plus sensibles, avec une indemnisation pour les éleveurs[4].

Les zones où se déclarent le plus de foyers sont également des régions à forte densité d’élevage : le Sud-Ouest avait déjà été fortement affecté lors des épidémies de 2015-2016 et 2016-2017, tandis que les détections de foyers en Bretagne et dans les Pays-de la Loire, où se concentrent cette année les foyers infectieux, sont plus récentes. Cette proposition devrait être mise en place dans les 68 communes les plus denses en volailles du Sud-Ouest via le plan Adour, décrété par les interprofessions, qui prévoit notamment un vide sanitaire entre le 15 décembre et le 15 janvier 2023. Cette option de la « dédensification » semble faire son chemin au Ministère, celui-ci ayant annoncé un allongement des vides sanitaires et une réforme anticipée des palmipèdes et dindes dans une zone particulièrement touchée des Pays de la Loire[5].

… En attendant un vaccin

Dans ce contexte tendu, la vaccination pourrait apporter un répit à la filière. Pour le moment, il existe bien un vaccin contre le virus pour les gallinacées (poules, pintades…) autorisé en France, mais il ne cible pas les souches responsables de l’épidémie[6]. Il n’existe pas non plus de solution pour les palmipèdes (canards, oies) bien que des études soient en cours. Si l’éradication du virus est technologiquement impossible, le développement d’un vaccin permettrait toutefois de réduire les contaminations en limitant l’excrétion et la diffusion du virus. Différents facteurs, comme la recombinaison fréquente des virus, à l’instar du virus de la grippe humaine, et la traçabilité des animaux vaccinés (ils doivent pouvoir être distingués des animaux touchés par le virus) compliquent le développement des vaccins. Les pays de l’Union Européenne se sont entendus en juin 2022 pour une feuille de route commune sur la vaccination. Des expérimentations sont menées par plusieurs pays, dont la France, où les premiers résultats sont attendus d’ici la fin de l’année.

Si la vaccination semble aujourd’hui faire consensus, cela n’a pas toujours été le cas[7], certains craignant que la France ne perde des marchés à l’export dans les pays refusant les importations de produits animaux ou d’animaux vaccinés, comme l’Egypte, l’Arabie Saoudite ou encore les USA[8], au motif qu’un animal vacciné pourrait importer le virus sur leur territoire[9]. Si la vaccination venait à être efficace et autorisée, une stratégie européenne resterait à définir concernant les échanges internationaux.

Conclusion

L’épidémie actuelle d’influenza aviaire n’est pas la première qui touche la France, et risque de ne pas être la dernière au vu de l’évolution de la circulation des virus. Qui plus est, la vague de cette année est plus importante que les précédentes en France. Les mesures adoptées pour y faire face -mesures de biosécurité, claustration des animaux pour éviter le contact avec des animaux sauvages et abattages préventifs – apparaissent difficilement supportables sur le long terme. La diminution de la densité des élevages, imposée par le Ministère dans des zones fortement productrices et très touchées des Pays de la Loire, est la dernière stratégie en date pour tenter d’endiguer l’épidémie, dans l’attente d’un potentiel vaccin. Celui-ci ne doit pas être vu comme un remède miracle ; au-delà des considérations techniques sur son utilisation et son efficacité, il nécessitera un travail important auprès des importateurs de volailles européennes pour éviter des blocages.

Les débats actuels autour de l’influenza aviaire se concentrent sur des stratégies de lutte et non d’adaptation. Il s’agit pour le moment de faire face à l’urgence. Des stratégies de plus long terme, comme l’orientation de la sélection vers des populations de volailles plus résistantes au virus, pourraient toutefois améliorer durablement la robustesse de la filière. Par ailleurs, la dédensification apparaît comme un premier pas vers une restructuration de la filière forcée, certes, mais choisie et non subie, qui pourrait contribuer sur le long terme à une meilleure gestion des maladies d’élevage. Elle pose cependant la question de la rentabilité des outils industriels, actuellement concentrés dans les zones d’élevage. Comment permettre de continuer à les saturer pour les amortir et rester compétitif dans ces conditions, tout en continuant à chercher à limiter le transport des animaux vivants ?

 

Lore-Elène Jan, consultante Agriculture Stratégies

Le 15 décembre 2022

[1] https://www.anses.fr/fr/content/linfluenza-aviaire-en-6-questions

[2] https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/grippe-aviaire-pourquoi-la-france-est-elle-si-touchee_2183444.html

[3] https://www.lafranceagricole.fr/elevage/article/818223/la-chambre-d-agriculture-dit-non-au-confinement-des-volailles

[4] https://www.confederationpaysanne.fr/sites/1/articles/documents/CPcommun_Urgence_GrippeAviaire.pdf

[5] https://www.agra.fr/agra-presse/live/influenza-aviaire-le-ministere-annonce-une-dedensification-localisee-dans-louest

[6] https://agriculture.gouv.fr/foire-aux-questions-le-vaccin-une-piste-explorer-pour-lutter-contre-linfluenza-aviaire

[7] https://www.reussir.fr/volailles/grippe-aviaire-de-moins-en-moins-doppositions-la-vaccination

[8] Les pays cités dans le rapport du CGAAER représentaient 19% des exportations françaises de volailles de chair en 2021

[9] https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/news/grippe-aviaire-face-a-la-pire-epizootie-jamais-enregistree-en-europe-la-question-de-la-vaccination-simpose/

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