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Le rapport du GIEC sur les terres émergées et le climat : du rôle de l’agriculture et du commerce international

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Le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) a rendu public le 8 aout 2019 son rapport ‘Changement climatique et terres émergées’ dédié à l’impact des différents usages du sol sur le climat. Extrêmement exhaustif (875 pages), ce document traite de tous les enjeux liant sols et climat, à l’exception de l’artificialisation. Issu d’un consensus entre scientifiques, qui réunissent les connaissances scientifiques disponibles à ce jour, il livre de précieuses informations sur notre système alimentaire et les enjeux engendrés par l’évolution du climat. Il montre que l’agriculture représente une importante source de gaz à effet de serre (9 à 14% des emsissions anthropiques de GES), mais que d’importants progrès ont été accomplis, et que les autres maillons de la chaine alimentaire ont un important rôle à jouer en tant que moteur du changement. Mais si les éclairages techniques sur l’origine et l’impact des émissions de GES sont intéressants, ce rapport prend toute sa dimension dans l’attention qu’il porte aux enjeux de sécurité alimentaire mondiale, de migrations et de commerce international. Ainsi que le soulignent les auteurs, la dépendance des pays aux marchés internationaux est aujourd’hui un risque, et la défense de la souveraineté alimentaire devient primordiale. Soulignant le rôle des stocks stabilisateurs et les dysfonctionnements des marchés agricoles, ce rapport du GIEC porte en lui des messages importants qui devraient être intégrés par de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC).

La place de l’agriculture dans les émissions de GES

Le rapport du GIEC souligne le rôle de l’agriculture dans les émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES), leur évaluation montrant qu’entre 9 et 14% des émissions de GES proviennent de la production agricole (la fourchette résulte des incertitudes liées à la qualité des données utilisées, notamment celles de la FAO). Cela est, en particulier, du aux émissions de méthane (CH4) et de protoxyde d’azote (N2O), deux gaz à fort pouvoir de réchauffement global. L’élevage de ruminants et les cultures rizicoles représentent ainsi 50% des émissions anthropiques de CH4, tandis que l’utilisation de fertilisants azotés représente plus de 75% des émissions anthropiques de N2O. (p. 475)

Si l’activité agricole en elle-même ne représente pas un important poste d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) son expansion peut en engendrer. La déforestation et la dégradation des tourbières, en particulier à cause de la progression des fronts agricoles, causent d’importantes émissions de CO2 (13% des émissions anthropiques de CO2) et réduit fortement le pouvoir de ces espaces à faire office de puits de carbone. Si les terres déforestées étaient replantées, les auteurs estiment que cela pourrait créer un puit de carbone captant jusqu’à 37% des émissions humaines de CO2 pour les décennies à venir. Le rapport estime d’ailleurs que l’un des plus grand « potentiels de réduction des émissions provenant de l’agriculture, de la foresterie et d’autres utilisations des terres est la réduction de la déforestation et de la dégradation des forêts ».

Cependant d’importants progrès ont eu lieu depuis le siècle dernier. Dans les élevages ruminants « les émissions de GES par unité produite ont diminué à l’échelle mondiale et sont aujourd’hui d’environ 60% inférieures à celles des années 1960. Cela est largement dû à l’amélioration de la productivité de la viande et du lait des races bovines ». De plus, bien que les grands cycles géochimiques (carbone/azote) apparaissent en filigrane dans ce rapport, les auteurs n’ont pas focalisé leur attention sur ce sujet qui a été traité de manière approfondie dans leur 5ème rapport d’évaluation datant de 2014.  De même rappellent-ils l’importance des services écosystémiques rendus par les sols agricoles sans s’étendre sur le sujet. (p. 477-478)

Quid du reste du système alimentaire mondial ?

Au-delà de la seule activité de production, les scientifiques se sont penchés sur l’ensemble du système alimentaire. Car en dehors des 9 à 14% d’émissions anthropiques de GES provenant du maillon de la production, le reste de la filière représente entre 5 et 10% des émissions. Cet aval inclut la transformation, mais également le transport et la logistique. (p.475-480)

Pour le GIEC le moteur du changement se trouve même en bout de chaine : les consommateurs sont désignés comme les principaux acteurs pouvant permettre un changement dans le paradigme de production alimentaire afin d’être plus écologiquement responsable. Pour les experts « la demande alimentaire façonne ce qui est produit, où et en quelle quantité ». Ils soulignent également le rôle prépondérant du gaspillage alimentaire dans les émissions de GES, et dont les consommateurs sont l’un des principaux responsables. Ils en appellent ainsi de manière urgente à l’ensemble de la société pour agir sur les émissions de notre système alimentaire. (p. 487-491)

Sécurité alimentaire en péril et migrations accrues : les risques de l’inaction face au changement climatique

Au-delà des aspects techniques et scientifiques permettant d’évaluer l’occupation des sols et les émissions de GES, ce rapport met en lumière ces évolutions à l’aune du commerce international, des migrations et de la sécurité alimentaire.

Les études recensées par le GIEC soulignent sans détours que « la sécurité alimentaire sera de plus en plus affectée par le changement climatique selon les projections ». Les pays dont les revenus sont les plus faibles sont les plus exposés aux risques. Pour eux les quatre piliers de la sécurité alimentaire que sont la disponibilité, l’accès, l’utilisation et la stabilité sont menacés par les modifications du climat. Au-delà de certaines régions qui pourraient bénéficier d’une amélioration de rendements agricoles ou d’un accès à de nouvelles cultures alimentaires, la baisse des rendements au niveau global paraît inévitable aux yeux des auteurs. (p. 142-143/442-446).

Une problématique exacerbée par la compétition pour la terre. Comme le précise le rapport « il existe une concurrence pour la terre parce que c’est une ressource limitée et que la plupart des terres hautement productives sont déjà exploitées par l’homme ». Le changement climatique et les utilisations des sols ayant un impact sur la dégradation des terres, la compétition s’en retrouve accrue. Le rapport précise que les politiques environnementales préconisées pour la lutte contre le changement climatique peuvent également exacerber la compétition. Les obligations de reforestation ou de compensation écologique peuvent ainsi consommer des terres qui auraient autrement été disponibles. Ils en arrivent donc à la conclusion que « au fur et à mesure que la demande en terres augmente, la construction de capacités de gouvernance et la sécurisation du régime foncier deviennent essentielles ». (Chapitres 1, 4 et 7)

La lecture de ces recherches montre également un lien certain avec les phénomènes migratoires. La dégradation des terres engendre davantage de pauvreté et de conflits dans les régions affectées, poussant de larges pans de populations à migrer vers les régions urbaines ou côtières. Un cycle renforcé par le changement climatique et qui résulte donc du manque de sécurisation économique et alimentaire des populations rurales.

A leurs yeux « si un pays s’intègre aux marchés internationaux en cultivant plus de produits de base et en réduisant les variétés de cultures locales, il peut obtenir des avantages économiques, mais peut également s’exposer aux risques climatiques et à l’insécurité alimentaire en augmentant sa dépendance à l’égard du commerce, qui peut être de plus en plus perturbé par les risques climatiques ». Les auteurs précisent d’ailleurs que « l’émigration des petits exploitants du secteur agricole à travers les pays du Sud est largement attribuée à la structure des échanges commerciaux d’importations alimentaires bon marché ». (Chapitres 4, 5 et 7)

L’influence du commerce international sur la sécurité alimentaire et les migrations

Tout au long de ce rapport le GIEC souligne l’importance des échanges internationaux pour subvenir aux besoins alimentaires des populations. Pour eux « le commerce mondial […] fournit un mécanisme pour améliorer l’efficacité des chaînes d’approvisionnement, réduisant la vulnérabilité de la disponibilité des aliments aux changements des conditions météorologiques locales et le déplacement de la production des zones excédentaires vers les zones déficitaires. ». Ils estiment en outre que « les avantages du commerce ne seront réalisés que si le commerce est géré de manière à maximiser l’accès élargi à de nouveaux marchés tout en minimisant les risques d’une exposition accrue à la concurrence internationale et à la volatilité des marchés. »

Sur les questions commerciales, ce rapport du GIEC adopte un positionnement équilibré, largement éloigné de la propagande libre-échangiste : « le commerce agit pour amortir l’exposition aux risques climatiques lorsque le marché fonctionne bien ». Et d’ajouter « sous certaines conditions – telles que des chocs ou la perception d’un choc, associés à un manque de stocks de produits alimentaires ou à un manque de transparence des stocks – le marché peut échouer et le commerce peut exposer les pays à des chocs de prix des produits alimentaires » (p. 418-421). Même si elle n’est pas cité, on voit là la référence aux travaux d’économistes comme Jean-Marc Boussard qui ont montré la distinction entre les risques exogènes et les risques endogènes : si les premiers peuvent être atténués par l’ouverture commerciale, les seconds nécessitent coopérations et régulations pour corriger les défaillances de marché.

Tous ces enjeux peuvent finalement être regroupés sous la problématique de la souveraineté alimentaire. Comme l’explique les experts : « les pays doivent déterminer l’équilibre entre les denrées alimentaires (et les aliments pour animaux) produits localement et importés de manière à minimiser les risques climatiques et à garantir une sécurité alimentaire durable ». (p.418-421)

Quelle voie pour la suite ?

Les recommandations proposées par les experts sont nombreuses. Loin d’être alarmistes, ils estiment que l’humanité peut encore renverser la vapeur, à condition de s’investir rapidement dans la réduction du gaspillage alimentaire, la promotion des pratiques agricoles vertueuses et la modification des habitudes de consommation. Ils estiment que les outils politiques en particulier sont cruciaux pour atteindre les objectifs de mitigation du changement climatique, et ce rapport se veut sans conteste un appel au volontarisme politique et économique. (p. 695/719/736)

Sur le volet des politiques environnementales concernant le secteur agricole les experts sont par ailleurs assez critiques. Ils portent un jugement assez négatif quant à l’inefficacité de toutes les politiques mises en place jusqu’à aujourd’hui, incluant les paiements verts, les taxes carbones ou sur les carburants etc… Ils indiquent également que bien que les labels privés soient une manière d’influencer le comportement des consommateurs, beaucoup d’entre eux peuvent induire en erreur. Enfin ils estiment que les paiements pour services environnementaux n’ont pas encore fait leurs preuves. Des critiques dont on espère que la nouvelle Commission Européenne qui milite pour un Green Deal saura les prendre en compte. (p. 105/106

Pour conclure

La conclusion principale à tirer de ce rapport est que l’heure est à un changement de paradigme. Avec ce rapport du GIEC, la question de la souveraineté alimentaire est désormais au cœur des enjeux liés au changement climatique. Et si on ne peut que louer l’initiative prise par le GIEC de traiter du rôle du commerce international, on déplore la quasi-absence de mention de l’OMC et du rôle des stocks alimentaires.

Les marchés internationaux agricoles ne peuvent être traités comme s’ils fonctionnaient aussi bien qu’en théorie. La production répond très faiblement aux baisses de prix, engendrant des excès de production durables, et alignant les prix sur les producteurs les plus compétitifs. Cette situation maintient de très faibles cours des denrées alimentaires, mine les économies rurales non protégées et mettent en danger la souveraineté alimentaire de nombreux pays. Ce n’est donc que via une coopération internationale entre politiques agricoles stabilisatrices, au sein desquelles la gestion de stocks permettra d’amortir les hausses et les baisses de production, que nous pourront sécuriser l’approvisionnement alimentaire de l’ensemble de l’humanité.

 

Christopher Gaudoin, Chargé de veille et de d’analyse stratégique

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