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Mais qu’est-ce c’est, une OP fruits et légumes ?

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Permettre aux producteurs de mieux s’organiser pour mieux maitriser la mise en marché et ainsi rééquilibrer les pouvoirs de négociation au sein des filières devrait encore davantage figurer parmi les principaux objectifs de la prochaine PAC. Position soutenue par Agriculture Stratégies , l’extension à l’ensemble des productions des « interventions sectorielles » où les Organisations de Producteurs via des Programmes Opérationnels peuvent coordonner leurs actions comme c’est le cas actuellement pour les fruits et légumes notamment, a été proposée par la Commission dans son projet de réforme. Dans l’article ci-dessous, Karine Oswald-Poulet (IDfel Hexavalor), forte d’une expérience de 18 ans comme conseillère OCM (elle accompagne 28 OP fruits et légumes) et également membre de la Commission Nationale Technique (qui statue sur les reconnaissances des OP), de la Commission Nationale des Fonds Opérationnels ainsi que du « groupe OCM » de l’AREFLH (assemblée des régions européennes fruitières, légumières et horticoles), retrace la genèse et les principes de fonctionnement des OP dans ce secteur.

En agriculture, beaucoup ont déjà entendu le terme « OP » mais une OP, une OP fruits et légumes, qu’est-ce que c’est ? Si on dit que c’est une Organisation de Producteurs, c’est un début. Si on dit que, pour les fruits et légumes, c’est un volet de la Politique Agricole Commune qui a fêté ses 20 ans en 2017, ça peut être une surprise (et oui, ce n’est pas le Code Rural). Si on dit que c’est un modèle qui a suffisamment fait ses preuves pour que le concept soit étendu en 2013 au niveau européen à la plupart des productions agricoles, c’est intéressant. Mais tout ça ne dit pas ce qu’est concrètement une OP fruits et légumes et comment elle est arrivée parmi nous.

Ouvrons une faille spatio-temporelle et reportons-nous au milieu des années 90 : les producteurs de fruits et légumes européens connaissent régulièrement des crises sur l’une ou l’autre de leurs productions. Or les fruits et légumes font partie de l’agriculture et l’Europe dispose d’un outil : la Politique Agricole Commune et son Organisation Commune de Marché (que certains connaissent sous le raccourci d’OCM).
A l’époque (et depuis 1972), la PAC propose aux Groupements de Producteurs fruits et légumes d’essayer de réguler le marché en retirant (terme pudique pour dire « détruire ») du produit lorsqu’il y en a trop, moyennant finance. L’Indemnité Communautaire de Retrait, ICR pour les intimes, est la même dans toute l’Union Européenne pour un même produit, sans tenir compte des différences de coût de production, voire des différentes qualités.
Et ce qui devait arriver arriva : pour certaines exploitations européennes ayant les plus bas coûts de production, l’ICR peut s’avérer rentable, au moins pour certaines qualités, un marché comme un autre, parfois même mieux qu’un autre puisque le tarif est connu d’avance et les quantités illimitées. Voilà des producteurs décidant d’orienter de façon pérenne une part parfois significative de leur production … vers le retrait.
Evidemment, les budgets de l’OCM fruits & légumes s’envolent, évidemment, les crises ne diminuent pas, évidemment, le gendarme financier de l’Europe s’agace, il faut trouver autre chose.

Voici les élus et fonctionnaires européens en pleine réflexion et la réflexion s’appuie sur un constat assez unanimement partagé : la grande distribution a déjà très largement commencé à se concentrer alors que la filière fruits et légumes affiche, elle, un nombre d’offreurs très élevé (nous sommes à l’époque en train de passer de 12 à 15 pays dans l’UE).
Le moins assidu des étudiants en commerce l’aura compris : il y a déséquilibre majeur entre le nombre d’offreurs et le nombre d’acheteurs, d’où une concurrence et une pression exacerbées.
Qu’à cela ne tienne, l’Europe va tenter de ré-équilibrer la balance offreurs/ acheteurs. Evidemment, on ne va pas diminuer le nombre de producteurs mais le nombre d’offreurs, la nuance est de taille : pour cela, l’Europe décide d’encourager les producteurs à regrouper leur offre, avec l’objectif qu’ils puissent ainsi peser davantage dans la négociation commerciale.
Même si ça peut faire sourire, c’est bien l’idée qui prélude à l’apparition sur la scène de la PAC de l’Organisation de Producteurs Fruits et Légumes.
Et même les mots sont, pour une fois, à prendre au sens 1er : on passe du Groupement de Producteurs, qui se contente de regrouper des producteurs pour le bénéfice des retraits, à l’Organisation de Producteurs, dont le but est d’organiser la mise en marché de ses producteurs membres.
Dans les 2 cas, le producteur est au cœur du dispositif mais la finalité est différente : l’OP fruits et légumes est d’abord et avant tout un opérateur commercial, un opérateur commercial dont la vocation est d’obtenir la meilleure valorisation pour les produits de ses adhérents.

Juin 1997 : certificat de naissance de l’OP fruits et légumes dans le droit européen (le règlement 2200/1997 pour les fruits et légumes frais, et son jumeau, le 2201/1997 pour les produits destinés à la transformation).
Reconnaissons que pour certains textes européens, il n’est pas toujours évident de saisir la logique qui a présidé à leur élaboration quand on n’a pas accompagné la phase d’élaboration.
Sur les OP fruits et légumes, les principes sont cohérents : les critères de la reconnaissance sont logiques par rapport à cet ADN d’opérateur commercial.
Pour vendre quelque chose, il faut savoir ce qu’on a à vendre, en quantité, qualité et calendrier : l’OP a donc une obligation de « connaissance de la production » incluant l’enregistrement des semis/ plantations (légumes) ou l’inventaire des vergers (fruits), le suivi des prévisionnels puis des récoltes ainsi que l’agréage1.
Grand principe du commerce : adapter sa production au(x) marché(s) visé(s) : voilà notre OP sommée d’orienter autant que possible (on ne fait pas des boulons, non plus) la production de ses membres, notamment en qualité. A cet effet, elle met entre autres à leur disposition un appui technique.
Et pour moduler autant que faire se peut (parfois, il ne se peut pas) son calendrier de ventes mais aussi la présentation de ses produits selon les contraintes du marché, c’est l’OP qui pilote préparation, stockage, conditionnement, chez elle et/ou chez des tiers mais dans le cadre de contrats qu’elle pilote.

L’objectif fondamental des OP fruits et légumes étant de diminuer le nombre d’offreurs sur le marché européen pour (tenter de) rééquilibrer la relation commerciale entre production et acheteurs, LA fonction essentielle de l’OP fruits et légumes, c’est très logiquement la mise en marché des produits de ses adhérents.
Et comme il n’est pas question que lesdits producteurs vendent aux clients de leur propre OP (ou des autres), ce qui serait l’inverse de l’effet souhaité, les exploitations ont donc une obligation de vendre intégralement via leur OP, ce qu’on appelle souvent « l’apport total » (les dérogations sont peu nombreuses et TRES encadrées, encore plus avec le règlement européen 891 de 2017 qui impose un plafond unique cumulé aux éventuelles dérogations).
La contrepartie, qu’on oublie presque toujours, c’est que l’OP doit mettre en marché les fruits et légumes de ses membres (ceux pour lesquels ils adhèrent), pour autant qu’ils soient vendables, ce qui l’oblige à chercher une valorisation aussi pour les produits moins adaptés/ moins beaux.
Une OP est donc un opérateur commercial un peu particulier mais qui, comme tout opérateur commercial, a une stratégie, des débouchés, des perspectives, des projets… Quelles espèces ? Quelles variétés ? Quel calendrier ? Quelles démarches de qualité (au sens large) ? L’OP est impliquée dans tous ces sujets (et bien d’autres).
Et pour lui donner une certaine flexibilité, lui permettre de palier à certains besoins ou manques, le législateur européen l’a même autorisé à recourir au négoce, pour autant que celui-ci reste minoritaire par rapport au chiffre d’affaire issu de ses producteurs adhérents.

Maintenant qu’on a plus ou moins fait le tour de l’aspect « Organisation », de la mise en marché notamment, parlons un peu du P de l’OP, sa dimension « producteurs ».
L’idée du législateur communautaire étant bien de donner des moyens aux producteurs et sans laisser ces moyens être captés par d’autres, l’OP doit obligatoirement être créée à l’initiative des producteurs, elle est détenue et contrôlée par les producteurs et les règles dites « du contrôle démocratique » ont été progressivement bien verrouillées pour éviter les contournements , comme en attestent certaines jurisprudences.
L’OP est donc un outil collectif d’au minimum 5 producteurs distincts, avec différents niveaux de vérification, et à ma connaissance, aucun montage (légal) en France ne permet d’être moins. Personne, que ce soit un individu ou une entité, ne peut contrôler seul une OP, ni directement, ni indirectement.
La France, à la différence d’autres états, valide la possibilité d’avoir des membres non-producteurs, ce qui permet d’avoir des SICA OP, mais la place de ces non-producteurs est restreinte et très encadrée : 25 % maximum des voix et du capital s’il y en a, interdiction de voter le Programme Opérationnel, …
En résumé : partout et toujours, l’OP fruits & légumes est là par et pour l’ensemble de ses producteurs membres, qui prennent les décisions. A cet effet, elle peut adopter n’importe quel statut juridique, sauf le syndicat, les plus représentés étant la coopérative (53% en incluant les unions), la SICA (18%), les sociétés (16% pour SA, SAS et SARL) et l’association (11%).

Dernier volet mais pas le moins surprenant de la reconnaissance d’une Organisation de Producteurs fruits & légumes : l’environnement.
Vous allez me dire : quel rapport avec tout ce qu’on a dit avant et notamment la dimension commerciale ? A ma connaissance, aucun, d’autant qu’à la fin des années 90, la demande sociétale pour l’environnement n’a rien à voir avec ce qu’elle est aujourd’hui.
Néanmoins, dès 1997, il est indispensable de mettre en œuvre des actions environnementales pour pouvoir prétendre être reconnu comme OP. Et l’outil dédié aux OP fruits & légumes, qui s’appelle le Programme Opérationnel, est dès son origine soumis à l’obligation d’inclure des mesures de protection de l’environnement. L’OCM fruits & légumes est, à ma connaissance, le 1er système éco-conditionné de la Politique Agricole Commune. La filière s’avère ainsi tout à fait avant-gardiste (il faut dire que la production intégrée et la lutte biologique ont déjà commencé à se répandre fortement), surtout si on se rappelle qu’à l’époque, la PAC consiste surtout à verser des aides aux volumes produits, aussi appelées « aides couplées » (dont les productions végétales spécialisées sont exclues).

En résumé, il y a 20 ans, les OP fruits et légumes constituaient un outil innovant et même avant-gardiste, unique en son genre. Certains représentants de la filière, réunis au sein de l’AREFLH (assemblée des régions fruitières, légumières et horticoles), ont d’ailleurs mis en avant les effets positifs des OP et de leur outil, le Programme Opérationnel, dans un Livre Blanc, qui a été présenté au Parlement Européen en septembre 20172.
Aujourd’hui, l’outil reste moderne et sa prise directe avec le marché en fait un sujet tellement d’actualité que le concept des OP a été étendu à la majorité des secteurs agricoles lors de la réforme de la PAC de 2013. Et c’est normal puisque les filières agricoles sont dans une OCM (presque) Unique.
Peut-être la prochaine PAC 2020 verra-t-elle les Programmes Opérationnels arriver dans d’autres filières que les fruits & légumes ?

 

Karine Oswald-Poulet (IDfel/ Hexavalor)

1 Agréage = procédure standardisée de l’OP, variable selon les espèces, permettant de connaitre les caractéristiques des produits récoltés par exemple : calibre, couleur, forme, défauts visuels ou sanitaires, taux de matière sèche ou de sucre, … les résultats de l’agréage donne des indications sur la capacité de conservation et les débouchés possibles pour chaque produit.

2 https://areflh.org/fr/ocm/livre-blanc-de-l-ocm

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