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La déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans promeut la régulation des marchés

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Soixante-dix ans après l’adoption de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH), l’Assemblée Générale des Nations Unies a adopté en novembre dernier la « Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales »1. Ce nouveau texte décline les droits de la DUDH aux particularités des populations agricoles et rurales et invite les Etats à adopter les mesures pour garantir ces droits. Nous reproduisons ci-dessous les articles 2,9,15 et 16.

Cette Déclaration a été adoptée par une large majorité de pays (122 votes « Pour », 8 « Contre » et 54 « Abstention ») qui représentent les trois quarts de la population mondiale. Les géants démographiques et agricoles que sont la Chine et l’Inde ont voté en faveur de la Déclaration comme l’ensemble des pays en développement. Les pays européens comme la France se sont en majorité abstenus, et parmi les pays ayant voté contre, on retrouve le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Hongrie et la Suède2.

Au-delà de la reprise des droits individuels, on retiendra que la Déclaration sur les droits des paysans appelle les Etats à garantir les droits d’accès à la terre (protection contre « la concentration et le contrôle excessif de la terre » et protection contre l’expropriation) et à l’eau, ainsi que le droit des paysans de bénéficier d’une « protection de leur environnement et de la capacité productive de la terre ».

Un accent particulier est également donné à la sécurité et la souveraineté alimentaire : « les Etats élaboreront, en partenariat avec les paysans […] des politiques publiques aux niveaux local, national, régional et international visant à promouvoir et à protéger le droit à une alimentation suffisante, la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire […] » (Article 15).

Ainsi, pour remédier à « l’inégalité du rapport de forces tout au long de la chaîne de valeurs », la Déclaration exhorte les Etats à faire respecter les libertés syndicales et d’associations et à apporter leur soutien aux organisations de producteurs « pour renforcer leur position lors de la négociation d’arrangements contractuels afin de garantir que les conditions et prix fixés soient justes et stables » (Article 9).

De plus, pour remédier aux « dysfonctionnements du marché », les Nations Unies resitue l’importance de la coopération internationale et appelle les Etats à prendre des « mesures adaptés et efficaces dans ce sens, tant au plan bilatéral que multilatéral ». Il s’agit en particulier d’« améliorer la gestion des marchés au niveau mondial et faciliter l’accès en temps utile à l’information sur les marchés, y compris sur les réserves alimentaires, afin de limiter l’extrême volatilité des prix alimentaires et rendre la spéculation moins attrayante » (Article 2).

Au final, la Déclaration sur les droits des paysans constitue un plaidoyer fort pour penser une meilleure régulation des marchés agricoles via une coopération internationale renouvelée. Après les Objectifs du Développement Durable (ODD) qui, pour assurer la sécurité alimentaire mondiale et éradiquer la fin (objectif 2), encouragent à « (2.c), adopter des mesures visant à assurer le bon fonctionnement des marchés de denrées alimentaires et des produits dérivés et faciliter l’accès rapide aux informations relatives aux marchés, y compris les réserves alimentaires, afin de contribuer à limiter l’extrême volatilité du prix des denrées alimentaires », espérons que l’OMC se saisissent de ces injonctions pour jeter les bases d’un nouveau multilatéralisme en matière agricole. La communauté internationale et les 2,6 milliards de paysans en ont bien besoin !

Christopher Gaudoin, Chargé de veille et d’analyse d’Agriculture Stratégies 


Extraits de la Déclaration des Nations  Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales

Article 2

  1. Les États respecteront, protégeront et réaliseront les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales. Ils prendront rapidement les mesures législatives, administratives et autres requises pour assurer progressivement la pleine réalisation des droits énoncés dans la présente Déclaration qui ne peuvent être garantis immédiatement.
  2. Une attention particulière sera portée, dans le cadre de l’application de la présente Déclaration, aux droits et aux besoins particuliers des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, notamment des personnes âgées, des femmes, des jeunes, des enfants et des personnes handicapées, compte tenu de la nécessité de s’attaquer aux formes multiples de discrimination.
  3. Sans préjudice de la législation spécifique relative aux peuples autochtones, avant d’adopter et de mettre en œuvre des lois et politiques, des accords internationaux et d’autres processus décisionnels susceptibles d’avoir une incidence sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales, les États engageront des consultations et une coopération de bonne foi avec eux, par  le canal de leurs institutions représentatives, en dialoguant avec ceux qui sont susceptibles d’être touchés par les décisions avant que celles-ci ne soient prises, en s’assurant de leur soutien et en prenant en considération leurs contributions, en tenant compte des déséquilibres de pouvoir existant entre les différentes partie s et en garantissant la participation active, libre, effective, significative et éclairée des particuliers et des groupes aux processus décisionnels connexes.
  4. Les États élaboreront, interpréteront et appliqueront les normes et les accords internationaux pertinents auxquels ils ont souscrit d’une manière compatible avec leurs obligations relatives aux droits de l’homme applicables aux paysans et autres personnes travaillant dans les zones rurales.
  5. Les États prendront toutes les mesures nécessaires pour faire en sorte que les acteurs non étatiques qu’ils sont à même de réglementer, tels que les particuliers et les organismes privés, ainsi que les sociétés transnationales et les autres entreprises commerciales, respectent et renforcent les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales.
  6. Sachant que la coopération internationale peut apporter un appui important aux efforts nationaux déployés pour atteindre les fins et objectifs de la présente Déclaration, les États prendront des mesures adaptées et efficaces dans ce sens, tant au plan bilatéral que multilatéral et, au besoin, en partenariat avec les organisations internationales et régionales compétentes et la société civile, en particulier les organisations de paysans et d’autres personnes travaillant dans les zones rurales. Ces mesures pourraient notamment être les suivantes :
  7. a) Veiller à  ce  que  les activités pertinentes de  coopération internationale,  y compris les programmes internationaux de développement, soient inclusives et soient accessibles et utiles aux paysans et aux autres personnes travaillant dans les zones rurales ;
  8. b) Faciliter et soutenir le renforcement des capacités, notamment par l’échange et la mise en commun d’informations, de données d’expérience et de programmes de formation, ainsi que des meilleures pratiques ;
  9. c) Faciliter la coopération en matière de recherche et d’accès aux connaissances scientifiques et techniques ;
  10. d) Fournir, selon qu’il convient, une assistance technique et économique, en facilitant l’accès à des technologies accessibles et le partage de ces technologies, et en procédant au transfert de technologies, en particulier vers les pays en développement, dans des conditions convenues d’un commun accord ;
  11. e) Améliorer la gestion des marchés au niveau mondial et faciliter l’accès en temps utile à l’information sur les marchés, y compris sur les réserves alimentaires, afin de limiter l’extrême volatilité des prix alimentaires et de rendre la spéculation moins attrayante.

 

Article 9

  1. Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont le droit, pour protéger leurs intérêts, de constituer des organisations, des syndicats, des coopératives ou toute autre organisation ou association de leur choix et d’y adhérer, et de mener des négociations collectives. Ces organisations seront indépendantes et à caractère volontaire et à l’abri de toute ingérence, contrainte ou répression.
  2. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prescrites par la loi et qui sont nécessaires, dans une société démocratique, pour protéger la sécurité nationale ou la sûreté publique, l’ordre public, la santé ou la moralité publiques ou les droits et libertés d’autrui.
  3. Les États prendront des mesures appropriées pour encourager la création d’organisations de paysans et d’autres personnes travaillant dans les zones rurales,   y compris de syndicats, de coopératives ou d’autres organisations, et en particulier pour lever les obstacles à leur création, à leur développement et au déroulement de leurs activités légitimes, notamment toute discrimination d’ordre législatif ou administratif visant de telles organisations ou leurs membres, et ils leur apporteront un soutien pour renforcer leur position lors de la négociation d’arrangements contractuels afin de garantir que les conditions et prix fixés soient justes et stables et ne violent pas le droit de leurs membres à la dignité et à des conditions de vie décentes.

 

Article 15

  1. Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales sont titulaires du droit à une alimentation suffisante et du droit fondamental d’être à l’abri de la faim. En font partie le droit de produire des aliments et le droit à une nutrition adéquate, garants de la possibilité de jouir du plus haut degré possible de développement physique, affectif et intellectuel.
  2. Les États veilleront à ce que les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales jouissent du droit d’avoir à tout moment matériellement et économiquement accès à une nourriture suffisante et adéquate, produite et consommée de façon durable et équitable, respectant leur culture, préservant l’accès des générations futures à la nourriture et leur assurant, sur le plan physique et psychique, une vie épanouissante et digne, individuellement et/ou collectivement, en répondant à leurs besoins.
  3. Les États prendront des mesures appropriées pour combattre la malnutrition chez les enfants des zones rurales, y compris dans le cadre des soins de santé primaires, notamment en recourant à des techniques aisément accessibles, en fournissant des aliments nutritifs adaptés et en garantissant aux femmes une nutrition adéquate durant leur grossesse et leur période d’allaitement. Les États feront aussi en sorte que tous les groupes de la société, en particulier les parents et les enfants, reçoivent des informations élémentaires sur la nutrition de l’enfant et sur les avantages de l’allaitement au sein, aient accès à de telles informations et bénéficient d’une aide qui leur permette de mettre à profit ces connaissances.
  4. Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont le droit de définir leurs systèmes alimentaires et agricoles, droit reconnu par de nombreux États et régions comme le droit à la souveraineté alimentaire. Ceci inclut le droit de participer aux processus décisionnels concernant la politique alimentaire et agricole et le droit à une nourriture saine et suffisante produite par des méthodes écologiques et durables respectueuses de leur culture.
  5. Les États élaboreront, en partenariat avec les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales, des politiques publiques aux niveaux local, national, régional et international visant à promouvoir et à protéger le droit à une alimentation suffisante, la sécurité alimentaire et la souveraineté alimentaire, a insi que des systèmes alimentaires durables et équitables contribuant à la promotion et à la protection des droits énoncés dans la présente Déclaration. Les États établiront des mécanismes destinés à assurer la cohérence de leurs politiques agricoles, économiques, sociales, culturelles et relatives au développement avec la réalisation des droits énoncés dans la présente Déclaration.

 

Article 16

  1. Les paysans et les autres personnes travaillant dans les zones rurales ont droit à un niveau de vie suffisant, pour eux-mêmes et pour leur famille, ainsi qu’à un accès facilité aux moyens de production nécessaires à cette fin, notamment les outils de production, l’assistance technique, le crédit, les assurances et d’autres services financiers. Ils ont en outre le droit de pratiquer librement, individuellement et/ou collectivement, en association avec d’autres ou au sein d’une communauté, des méthodes traditionnelles d’agriculture, de pêche, d’élevage et de sylviculture, et d’élaborer des systèmes de commercialisation communautaires.
  2. Les États prendront des mesures propres à favoriser l’accès des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales aux moyens de transport et aux installations de transformation, de séchage et de stockage nécessaires à la vente de leurs produits sur les marchés locaux, nationaux et régionaux à des prix qui leur garantissent un revenu et des moyens de subsistance décents.
  3. Les États prendront des mesures appropriées pour renforcer et soutenir les marchés locaux, nationaux et régionaux d’une manière qui facilite et assure l’accès et la participation pleine et équitable des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales à ces marchés pour y vendre leurs produits à des prix leur assurant, ainsi qu’à leur famille, un niveau de vie suffisant.
  4. Les États prendront toutes les mesures voulues pour garantir que leurs politiques et programmes concernant le développement rural, l’agriculture, l’environnement, le commerce et l’investissement concourent effectivement à la préservation et à l’élargissement de l’éventail des options en matière de moyens de subsistance locaux et à la transition vers des modes de production agricole durables. Les États favoriseront chaque fois que cela est possible une production durable, notamment agroécologique et biologique, et faciliteront les ventes directes des agriculteurs aux consommateurs.
  5. Les États prendront des mesures appropriées pour accroître la résilience des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales face aux catastrophes naturelles et autres perturbations graves, telles que les dysfonctionnements du marché.
  6. Les États prendront des mesures appropriées pour assurer un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail égal, sans distinction d’aucune sorte.

 

 

1 http://undocs.org/fr/A/C.3/73/L.30

2 http://www.un.org/en/ga/third/73/docs/voting_sheets/L.30.pdf

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