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Proposition d’Agriculture Stratégies sur la révision de la politique commerciale de l’UE

Réponse à la consultation publique

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Dans les suites de la tourmente des échanges engendrée par la crise Covid 19 et dans un contexte de remise en cause de l’OMC par les Etats Unis, l’UE a lancé le 16 juin dernier une consultation publique visant à réviser en profondeur sa politique commerciale. Parmi les objectifs cités, figurent celui d’améliorer la résilience de l’UE et de créer un modèle « d’autonomie stratégique ouverte ». Agriculture Stratégies avait déjà pointé la nécessité de cette réflexion lors de la publication de sa note de référence stratégique en janvier 2019. Nous reprenons dans notre réponse à la consultation les propositions alors évoquées : privilégier les coopérations entre Etats souverains, discriminer les produits selon les modes de production, et réguler les défaillances de marché. L’OMC doit perdre ses prérogatives supranationales et se voir repositionnée parmi les institutions de l’ONU afin d’en faire une organisation propice au dialogue, à la recherche de conciliation et à la structuration de coopérations commerciales stabilisatrices et durables.


Lors de la publication de notre note de référence stratégique « Pour une réforme du multilatéralisme : Un défi pour les institutions européennes et une solution pour la PAC » en janvier 2019, nous estimions nécessaire un examen lucide et une prise de décision démocratique au sein des instances politiques européennes dans une recherche d’autonomie stratégique de l’Europe politique. Nous ne pouvons que nous réjouir de voir cette expression reprise lors de cette consultation publique, visant à aboutir à la construction d’un modèle d’«autonomie stratégique ouverte».

L’objectif ainsi poursuivi, à savoir « renforcer la capacité de l’Union à poursuivre ses propres intérêts de manière indépendante et déterminée, tout en continuant à travailler avec des partenaires dans le monde entier afin de trouver des solutions mondiales aux défis mondiaux » ne pourra être atteint qu’après une remise en question complète du modèle actuel. Agriculture Stratégies a élaboré une série de propositions pour répondre aux tensions croissantes du commerce international et renouveler le multilatéralisme en matière agricole.

Le commerce est un moyen et non une fin. La prééminence de l’OMC sur les autres institutions internationales n’est pas opportune si l’on veut s’adresser aux défis du 21ème siècle comme la sécurité alimentaire, le changement climatique, la protection des ressources naturelles, les phénomènes migratoires et les déséquilibres macro-économiques. La forme de supranationalité qu’avait atteint l’OMC avec l’organe de règlement des différends (ORD) interroge aussi les principes démocratiques. La coopération internationale est plus que jamais nécessaire mais la création de l’OMC a institutionnalisé la concurrence généralisée comme aboutissement de la gouvernance de l’économie mondiale par l’effacement des Etats-Nations, ouvertement refusé désormais par les Etats-Unis.

Alors que le cycle de Doha bute sur les sujets agricoles depuis plus de 10 ans, les bases de négociation sont toujours peu ou prou les mêmes. La crise alimentaire de 2007/08 a conduit à une remise en cause profonde de la discipline de l’OMC en matière agricole et un renforcement des politiques agricoles partout dans le monde. Pour autant la volatilité structurelle des marchés agricoles et les moyens de la réduire ne sont toujours pas un sujet à l’OMC. Le changement climatique imposerait pourtant de relégitimer le stockage public, mais cet attribut central de la sécurité alimentaire est toujours considéré comme illicite en dépit des efforts de l’Inde pour le réhabiliter.

Sur la base de ces constats, nous recommandons :

  • de poser comme principe que le multilatéralisme doit avant tout permettre de faire émerger des coopérations entre Etats souverains dans l’optique de construire les nouveaux équilibres d’un monde plus multipolaire que jamais. Cela suppose de dépasser le logiciel actuel basé sur la concurrence et la supranationalité. Penser la mondialisation comme l’unification d’une économie-monde par la négation des Etats-Nations aura été une erreur;
  • de rétablir une hiérarchie entre les Etats et les entreprises. Les choix démocratiques ne peuvent être remis en cause au nom de la protection d’intérêts particuliers, aussi conséquents soient-ils;
  • de remettre en cause la croyance dans les vertus régulatrices de l’ajustement par les prix. Qu’ils s’agissent des surcapacités de production d’acier et d’aluminium ou des déséquilibres macro-économiques, il faut voir dans la stratégie américaine à l’œuvre actuellement le volontarisme d’agir là où les mécanismes de marché montrent leurs limites. L’équilibre des marchés internationaux doit être vu comme un bien commun qui nécessite des coopérations actives entre leurs principaux protagonistes ;
  • d’encourager les accords plurilatéraux en remettant en cause le principe de non-discrimination afin de donner aux pays volontaires pour des coopérations un avantage par rapport aux autres. Il s’agit de pouvoir discriminer les produits selon les modes de production. Forte de son marché intérieur, l’Union européenne dispose d’un pouvoir important pour initier ce type de coopération ambitieuse afin d’engager les transformations que réclament les défis du 21ème siècle, et en premier lieu la lutte contre le changement climatique ;
  • de repositionner l’OMC d’égal à égal avec les autres institutions internationales, voire d’œuvrer à sa réforme pour la placer dans le champ des institutions Onusiennes, afin d’en faire une organisation propice au dialogue, à la recherche de conciliation et à la structuration de coopérations commerciales stabilisatrices et durables.

Sur les questions spécifiquement agricoles, nous recommandons :

  • d’appeler l’OMC à faire de l’Agenda 2030 des Objectifs de Développement Durable son programme de travail. On doit s’y intéresser au fonctionnement réel des marchés agricoles pour considérer les politiques publiques comme le moyen de corriger les principales défaillances de marché. Les prix des transactions internationales ne correspondent pas à leur niveau d’équilibre, mais le plus souvent à des prix de dumping;
  • de réhabiliter les accords sur produits de base et la Chartre de la Havane qui ont permis le développement des échanges jusqu’au début des années 1980. Les accords sur produits de base constituent des exemples aboutis de coopération internationale pour sécuriser les échanges internationaux ;
  • de favoriser les stratégies de développement basées sur l’agriculture afin de répondre aux défis démographiques, migratoires, de sécurité alimentaire et de changement climatique, en particulier au bénéfice des pays africains ;
  • de créer un Conseil de sécurité alimentaire mondial rattaché à l’ONU pour organiser la concertation, notamment au sein des différentes agences et organisations internationales, et préparer les coopérations internationales relatives à l’agriculture et l’alimentation.

· Renforcer la résilience – dimensions intérieures et extérieures

Question nº 1: Comment la politique commerciale peut-elle participer à l’amélioration de la résilience de l’Union européenne et à la création d’un modèle d’autonomie stratégique ouverte?

On doit s’intéresser au fonctionnement réel des marchés agricoles pour considérer les politiques publiques comme le moyen de corriger les principales défaillances de marché. Les prix des transactions internationales ne correspondent pas à leur niveau d’équilibre, mais le plus souvent à des prix de dumping. L’impossibilité pour les agriculteurs de vendre à prix qui couvre les coûts de production entraîne une forte dépendance aux aides, et aux achats extérieurs de matière première (alimentation animale, intrants).

Pour améliorer la résilience de L’UE, il est indispensable de commencer par considérer la volatilité structurelle des marchés agricoles et les moyens de la réduire.

Le changement climatique impose de relégitimer le stockage public, de remettre en cause la croyance dans les vertus régulatrices de l’ajustement par les prix. Qu’ils s’agissent des surcapacités de production d’acier et d’aluminium ou des déséquilibres macro-économiques, il faut prendre exemple sur la stratégie américaine, et agir là où les mécanismes de marché montrent leurs limites. L’équilibre des marchés internationaux doit être vu comme un bien commun qui nécessite des coopérations actives entre leurs principaux protagonistes.

Dans cette quête de l’autonomie stratégique, il faudrait réhabiliter les accords sur produits de base et la Chartre de la Havane qui ont permis le développement des échanges jusqu’au début des années 1980. Basés sur des volumes des prix définis sur plusieurs années à venir, les accords sur produits de base constituent des exemples aboutis de coopération internationale pour sécuriser les échanges internationaux.

Question nº 2: Quelles initiatives l’Union devrait-elle prendre, seule ou avec d’autres partenaires commerciaux, pour soutenir les entreprises, y compris les PME, pour évaluer les risques ainsi que pour consolider et diversifier les chaînes d’approvisionnement?

L’autonomie stratégique passe nécessairement par une moindre dépendance aux intrants. Qu’il s’agisse des filières agricoles ou industrielles, disposer des matières premières s’avère indispensable à la production. En ce qui concerne le domaine agricole, si la volonté de combler le déficit en protéines végétales se traduit par des subventions spécifiques à la production, il reste nécessaire d’articuler ces politiques agricoles avec la création de filières pour en assurer la transformation, la valorisation et le débouché.

· Soutenir la reprise et la croissance socio-économique

Question nº 3: Comment faudrait-il renforcer le cadre commercial multilatéral (OMC) de manière à garantir la stabilité, la prévisibilité et un environnement fondé sur des règles pour des échanges commerciaux et des investissements équitables et durables?

Depuis sa création, l’OMC a surtout été une machine à déréguler ; il convient de mettre en garde ses promoteurs sur la fragilité du discours qui voudrait faire de l’OMC un « super-régulateur mondial ». La hiérarchie entre les Etats et les entreprises doit être affirmée et respectée. Les choix démocratiques ne peuvent être remis en cause au nom de la protection d’intérêts particuliers, aussi conséquents soient-ils.

Incapable d’ajuster leur doctrine en matière de développement et de sécurité alimentaire – en dépit de la crise alimentaire de 2007/08, l’OMC est-elle capable d’œuvrer à un aggiornamento pour permettre à la communauté internationale de trouver la voie d’une sortie de crise au multilatéralisme ? Si les enjeux du 21ème siècle, et en premier lieu le changement climatique et la protection des ressources naturelles, nécessitent des coopérations internationales, l’organe qui lors de sa création a institutionalisé le dogme de la concurrence généralisée comme aboutissement de la gouvernance de l’économie mondiale par l’effacement des Etats-nations peut-il être utile à trouver une solution ou est-il voué à figurer parmi les causes du problème ?

La crise de l’OMC est bien plus profonde qu’un simple problème de gouvernance interne de l’institution. Même amputée de l’Organe de Règlement des Différends, l’OMC pourrait avoir une fonction non négligeable pour structurer des coopérations en matière d’échanges internationaux. Il est donc plus vraisemblable d’empêcher la paralysie complète de l’OMC en la ramenant à ses proportions statutaires initiales de manière à l’insérer dans un multilatéralisme redynamisé qui s’appuierait sur une base multi-institutionnelle plus large. Rattacher l’OMC à l’ONU pourrait même être envisagé. Otons à l’OMC un costume trop grand pour elle pour construire les fondements d’un nouveau multilatéralisme. Il est certain que l’OMC, sous le seul angle commercial et par une discipline des soutiens à l’agriculture biaisée par le présupposé de l’efficience des marchés, ne peut traiter à elle seule de façon satisfaisante l’ensemble des problématiques liées à l’agriculture : sécurité alimentaire, changement climatique et préservation des ressources naturelles, développement par l’agriculture et causes profondes des migrations.

Dans sa forme actuelle l’OMC se positionne au-dessus des Etats (supranational) et non au même niveau qu’eux, pour les lier (international). L’autonomie que recherche l’OMC via l’ORD qu’elle souhaite établir comme une instance juridictionnelle supranationale touche alors à la souveraineté des Etats. Se soumettre, pour des choix de politique économique, à une institution supranationale dont le mandat n’est pas remis en jeu par l’élection n’est pas sans poser question au regard des principes démocratiques et in fine n’est pas une base adaptée pour motiver la coopération, qui par définition ne peut pas être imposée.

Le développement du commerce international ne peut raisonnablement pas tenir lieu d’objectif supérieur pour la gouvernance des affaires du monde. Le commerce est un moyen et non une fin en soi. La prééminence de l’OMC sur les autres institutions internationales interroge. On n’y parle pas vraiment de changement climatique et des ODD. Il s’agira de toute évidence de remettre l’OMC, avec ou sans ORD en état de marche, sur un même pied d’égalité que les autres institutions internationales afin de traiter conjointement l’ensemble des dimensions relatives à l’agriculture et à l’alimentation, de la sécurité alimentaire et du commerce, au changement climatique et à la protection des ressources naturelles, en passant par le défi migratoire et le développement endogène par l’agriculture. Plutôt que de créer ex nihilo une nouvelle institution internationale intégratrice des différentes dimensions, nous préconisons de créer un pôle de coopération regroupant des moyens et des compétences venant des grandes institutions concernées, entre autres, la Banque mondiale, l’OMC, le FMI, le PNUE, la CNUCED et bien sûr la FAO et le FIDA. Le GIEC, initiative commune de l’organisation météorologique mondiale et du PNUE, devrait également y avoir une place privilégiée. Le but est de disposer d’une « task force » destinée, d’une part, à évaluer et anticiper les évolutions des marchés des matières premières agricoles et, d’autre part, à organiser la concertation afin de faciliter l’émergence de coopérations entre les grands ensembles géographiques par de meilleures coordinations entre politiques agricoles et alimentaires stabilisatrices et durables. Ce Conseil de sécurité alimentaire mondial, rattaché selon des dispositions à déterminer au Conseil de sécurité de l’ONU fixerait les priorités politiques que seraient chargées de travailler les différentes institutions internationales. Il s’agira donc d’aller au-delà de la réforme du Comité de la Sécurité Alimentaire (CSA) de la FAO pour tendre vers une forme d’institutionnalisation souple et directement reliée au Conseil de sécurité de l’ONU. Le G7 et son extension le G20 pourraient également se saisir de manière informelle en amont des sujets les plus sensibles resitués dans leur environnement global (crises alimentaires, conflits, émigrations massives, etc.) et ainsi initier les débats au sein du Conseil de sécurité alimentaire mondial.

Ainsi, nous proposons cadre le cadre d’une réforme profonde de l’OMC :

  • de repositionner l’OMC d’égal à égal avec les autres institutions internationales, voire d’œuvrer à sa réforme pour la placer dans le champ des institutions Onusiennes, afin d’en faire une organisation propice au dialogue, à la recherche de conciliation et à la structuration de coopérations commerciales stabilisatrices et durables.
  • de créer un Conseil de sécurité alimentaire mondial rattaché à l’ONU pour organiser la concertation, notamment au sein des différentes agences et organisations internationales, et préparer les coopérations internationales relatives à l’agriculture et l’alimentation.

Question nº 4: Comment pouvons-nous utiliser notre vaste réseau d’accords de libre-échange (ALE) actuels ou futurs pour améliorer l’accès au marché des exportateurs et des investisseurs de l’Union et promouvoir la coopération internationale en matière de réglementation, notamment en lien avec les technologies et normes numériques et vertes afin d’optimiser leur potentiel?

Le pluri-latéralisme nécessite de revenir sur un des principes fondateurs de l’OMC, celui de non-discrimination ou de « la clause de la Nation la plus favorisée ». Historiquement ce principe donnait une incitation aux pays souhaitant rejoindre le GATT car il donnait les mêmes avantages que les autres en matière d’accès au marché. Mais s’il s’agit de structurer des coopérations basées sur une conditionnalité à l’accès au marché, il faut pouvoir donner un avantage à ceux qui collaborent. Le problème central de la coopération est bien connu, c’est celui des passagers clandestins (le « freeriding »). Or, par définition, le principe de non-discrimination empêche de différencier la politique commerciale entre ceux qui doivent être récompensés de leurs efforts et les autres. S’il s’agit de repenser en profondeur les règles de l’OMC, modifier celle-ci est fondamentale.

La possibilité de pouvoir tenir compte des modes de production devrait également être discutée afin d’encourager les pratiques les plus vertueuses pour l’environnement et la protection des ressources dans les échanges internationaux.

Le pluri-latéralisme n’a de sens que si le principe de non-discrimination est remis en cause car il encourage les stratégies non coopératives. Forte de son marché intérieur, l’Union européenne dispose d’un pouvoir important pour initier des stratégies multi- ou plurilatérales ambitieuses pour engager les transformations économiques que réclament les défis du 21ème siècle, et en premier lieu la lutte contre le changement climatique.

Question nº 5: Avec quels partenaires et régions l’Union devrait-elle s’engager en priorité? En particulier, comment pouvons-nous approfondir, dans notre intérêt mutuel, nos relations commerciales et d’investissement avec les pays voisins et l’Afrique?

Alors que le défi migratoire est considérable, notamment pour l’Europe, et en grande partie lié aux perspectives démographiques africaines qui laissent apparaitre que 40 % de l’accroissement de la population mondiale d’ici 2050 proviendra d’Afrique sub-saharienne, il est indispensable de réhabiliter les stratégies de développement par l’agriculture. Le schéma industrialisation/exportation ne peut tenir lieu de modèle unique de développement. L’accroissement démographique doit se coupler d’une amélioration de la productivité des terres cultivées actuellement mais aussi des nombreuses surfaces cultivables à mettre en culture. Il s’agit également d’un enjeu décisif pour préparer l’après-pétrole dans une logique de développement d’ensemble de la bioéconomie, en Afrique comme ailleurs. Cette évolution nécessite de sortir de l’échange inégal et de sécuriser les producteurs agricoles pour qu’ils puissent enclencher le cercle vertueux de la modernisation durable. Les initiatives de développement agricole conduites par les pays africains sont nombreuses et montrent que les dirigeants africains seront capables de les mener à bien si l’étau des prix agricoles est desserré et le partage de la valeur moins inégal pour les productions locales mais surtout sur les produits d’exportation comme le cacao par exemple.

Rendre solvables ces centaines de millions de familles agricoles est non seulement important pour lutter contre le creusement des inégalités, c’est aussi le moyen de relancer une demande potentiellement gigantesque et donc le développement d’activités partout sur la planète. Les défis démographiques, migratoires, de sécurité alimentaire, du changement climatique plaident pour réhabiliter les stratégies de développement par l’agriculture. L’Union européenne si elle souhaite s’adresser aux causes profondes des migrations doit aussi retrouver ce qu’était sa politique de développement pour les pays Afrique-Caraïbes-Pacifique, en aidant à l’amélioration de la productivité et en confortant les initiatives des dirigeants africains.

· Favoriser la transition écologique et rendre le commerce plus durable et responsable

Question nº 8: Comment la politique commerciale peut-elle faciliter la transition vers une économie plus verte, plus équitable et plus responsable dans l’Union et à l’étranger? Comment la politique commerciale peut-elle promouvoir plus avant les objectifs de développement durable (ODD) des Nations unies? Comment l’application et la mise en œuvre peuvent-elles appuyer ces objectifs?

Les enjeux du 21ème siècle, et en premier lieu le changement climatique et la protection des ressources naturelles, nécessitent des coopérations internationales stables et équitables, dans le respect des Accords de Paris et la volonté d’atteindre des objectifs communs.

Adoptés en septembre 2015, les Objectifs de Développement Durable (ODD) ont été établis par les Etats-membres des Nations unies sous la forme de dix-sept objectifs rassemblés dans l’Agenda 2030. Le deuxième objectif vise à « Éliminer la faim, assurer la sécurité alimentaire, améliorer la nutrition et promouvoir l’agriculture durable ». Trois moyens d’action sont explicités. Le premier a trait aux pays en développement : 2.a) « Accroître […] l’investissement […], afin de renforcer les capacités productives agricoles des pays en développement […] ». Le deuxième reprend le mandat du cycle de Doha en ciblant principalement les subventions à l’exportation : 2.b) « Corriger et prévenir les restrictions et distorsions commerciales […], y compris par l’élimination parallèle de toutes les formes de subventions aux exportations agricoles […], conformément au mandat du Cycle de développement de Doha ». Enfin, le troisième parle d’améliorer le fonctionnement des marchés agricoles : 2.c) « Adopter des mesures visant à assurer le bon fonctionnement des marchés de denrées alimentaires et des produits dérivés et faciliter l’accès rapide aux informations relatives aux marchés, y compris les réserves alimentaires, afin de contribuer à limiter l’extrême volatilité du prix des denrées alimentaires ».

Aussi il serait souhaitable qu’à l’OMC on ne se focalise pas seulement sur le 2.b) mais qu’on s’intéresse aussi au 2.c). Pour reprendre le vocabulaire habituel, cela permettrait de considérer, à côté des distorsions de marchés, les défaillances de marchés. On sortirait du raisonnement binaire actuel où les politiques publiques ne font que distordre les marchés pour considérer que les marchés ne fonctionnement pas aussi bien qu’en théorie et qu’ils ont besoin de certaines régulations pour améliorer leur fonctionnement. Ceci ne peut toutefois être envisagé que si l’OMC, retrouve sa place et rien que sa place au sein d’une coopération internationale où le multilatéralisme, notamment en matière agricole et de sécurité alimentaire, s’appuie sur un socle plus large où les différentes institutions internationales ont à collaborer de manière beaucoup plus étroite qu’aujourd’hui.

L’activité à l’OMC ne peut être déconnectée de l’Agenda 2030 des ODD. Elle doit s’intéresser au fonctionnement de l’économie réelle où des régulations publiques sont indispensables pour pallier aux dysfonctionnements des marchés.

Par ailleurs, dans son discours aux Nations Unies, le Président Macron a indiqué son souhait de pouvoir refuser de signer des accords commerciaux avec les Etats qui ne respecteraient pas leurs engagements dans l’Accord de Paris. Dit autrement, si l’option du bâton n’est pas possible, celle de la carotte devrait l’être. L’accès au marché européen pourrait ainsi être conditionné à des engagements en termes de protection de l’environnement, entre autres. Avec 440 millions de consommateurs (UE-27 post Brexit), le marché européen est en effet l’un des principaux moteurs de l’économie mondiale. Conditionner son accès serait un puissant vecteur pour engager des coopérations plurilatérales et permettre un nivellement par le haut des normes de production. L’Union européenne, via son marché intérieur, dispose d’un levier important et donc d’une responsabilité à même proportion.

La possibilité de pouvoir tenir compte des modes de production devrait également être discutée afin d’encourager les pratiques les plus vertueuses pour l’environnement et la protection des ressources dans les échanges internationaux.

Le pluri-latéralisme n’a de sens que si le principe de non-discrimination est remis en cause car il encourage les stratégies non coopératives. Forte de son marché intérieur, l’Union européenne dispose d’un pouvoir important pour initier des stratégies multi- ou plurilatérales ambitieuses pour engager les transformations économiques que réclament les défis du 21ème siècle, et en premier lieu la lutte contre le changement climatique.

· Garantir l’équité et des règles du jeu équitables

Question nº 12: Outre les instruments existants, comme la défense commerciale, comment l’Union devrait-elle lutter contre des pratiques commerciales coercitives, susceptibles de fausser la concurrence et déloyales employées par des pays tiers? Faudrait-il améliorer les instruments existants ou envisager la création d’autres instruments?

Les mesures de rétorsion commerciales prises par les Etats-Unis depuis janvier 2018, en dehors du cadre légal de l’OMC, traduisent une crise profonde de la mondialisation telle qu’elle se dessine depuis trois décennies.

Dans les industries lourdes, comme l’agriculture, l’ajustement de l’offre par les prix ne fonctionne pas bien. La résorption des surcapacités est d’autant plus longue et douloureuse qu’elle n’est pas accompagnée par des mesures de coordination de la réduction de l’offre. L’Union européenne doit prendre sa part dans la gestion des déséquilibres des marchés internationaux et réhabiliter les soutiens conditionnés à des réductions de production (boite bleue) dans une logique contracyclique.

Le cadre multilatéral en matière agricole n’est pas satisfaisant. La crise alimentaire de 2007/08 et ses répliques ont mis à jour ces principales limites et entrainés le blocage du cycle de Doha. Il ne suffit pas de distribuer des aides indépendamment de la production pour que les marchés internationaux retrouvent leur niveau d’équilibre. De plus, les pays en développement n’ont pas les moyens financiers et administratifs pour adopter ces formes de soutien à l’agriculture largement inefficaces. La stabilité des marchés internationaux comme la sécurité alimentaire mondiale doivent être vues comme des biens communs et nécessitent par conséquent une coopération entre les grands ensembles géographiques.

La réhabilitation des accords-produits pourra constituer la base de nouvelles voies de coopération. Créer une instance de dialogue et de régulation politique, que nous avons nommée Conseil de sécurité alimentaire mondial, renforcerait la coordination entre les différentes institutions internationales et permettrait de sortir par le haut de l’impasse de l’OMC.

 

 

Agriculture Stratégies

 

Contact :

Alessandra Kirsch

Directrice des études

Alessandra.kirsch@agriculture-strategies.eu

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