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Révision de la politique commerciale européenne : des principes intéressants qui appellent des actes concrets pour l’agriculture  

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L’Union Européenne a communiqué le 18 février dernier sur la révision de sa politique commerciale[1]. Elle y explique comment mettre en œuvre le concept d’autonomie stratégique ouverte qu’elle prône, qui devra être réalisé en tenant compte d’objectifs environnementaux (Green Deal, respect des accords de Paris). Pour autant, si l’UE continue de défendre le multilatéralisme, comptant sur la résurrection de l’OMC pour définir de nouveau accords multilatéraux et les faire appliquer, sa posture s’agissant des règles agricoles de l’OMC – source du blocage du cycle de Doha – ne laisse paraitre aucune évolution : autisme ou stratégie de négociation ? Avançant le principe que « les importations doivent être conformes aux règlementations et normes pertinentes de l’UE », cette communication arrive au meilleur moment alors que les négociations de la PAC abordent justement des amendements relatifs à la conformité des importations à nos standards ou à la mise en place d’un système centralisé pour activer les clauses de sauvegarde en cas d’importations excessives.

 

Des outils autonomes pour défendre les intérêts stratégiques de l’UE

« Une stratégie commerciale de l’UE ouverte, durable et affirmée ». La communication détaille le projet d’autonomie stratégique ouverte, qu’elle définit comme « la capacité de l’UE de faire ses propres choix et de façonner le monde qui l’entoure par son rôle de chef de file et par son engagement, à la lumière de ses intérêts stratégiques et de ses valeurs ». Dans cette nouvelle stratégie commerciale, l’Europe se veut ainsi moteur d’un renouvellement des relations commerciales multilatérales, où elle veut pouvoir imposer ses règles. Prôner l’ouverture, la coopération et le multilatéralisme tout en préservant ses intérêts stratégiques… L’Europe pourra-t-elle bénéficier du libéralisme sans en subir les conséquences ?

La fermeté du discours se ressent dès les premières pages : l’UE s’impose, son concept d’autonomie stratégie ouverte implique notamment « la fermeté et une coopération fondée sur des règles afin de souligner que l’UE privilégie la coopération internationale et le dialogue, mais est prête à lutter contre les pratiques déloyales et à utiliser des outils autonomes pour défendre ses intérêts lorsque c’est nécessaire. »

On peut noter qu’il existe déjà des outils visant à protéger l’UE et ses producteurs, notamment les clauses de sauvegarde négociées au sein des accords de libre-échange. Ces clauses visent à imposer temporairement des droits de douane et des quotas sur certains produits (retrait temporaire des préférences tarifaires) en cas d’importation excessive perturbant les marchés. Pourtant, tout comme la réserve de crise prévue dans la PAC, cet outil n’est jamais vraiment mobilisé en matière agricole, en raison d’un manque de volonté politique de la part de la Commission et à défaut d’un dispositif efficace de suivi des marchés[2]. L’intégration récente des clauses de sauvegardes au sein d’un règlement horizontal commun[3] suffira-t-elle à en faciliter l’application ?

Quoi qu’il en soit, la communication va plus loin et annonce une volonté de protéger le marché intérieur des importations qui ne respectent pas les normes européennes. La Commission argumente sur le fait que les règles du commerce mondial lui permettent d’ores et déjà de réglementer « conformément à ses préférences sociales » ce qui laisse quelque peu dubitatif. Le discours est pourtant limpide : « Les importations doivent être conformes aux réglementations et normes pertinentes de l’UE. (…) La légitimité de l’application des exigences de production aux importations repose sur le besoin de protéger l’environnement à l’échelle mondiale ou de répondre à des préoccupations éthiques. Chaque fois que l’UE envisagera d’appliquer de telles mesures à des produits importés, elle le fera dans le respect plein et entier des règles de l’OMC ».

Il existait déjà une forme de protection sanitaire du marché européen contre les aliments susceptibles de « constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement ». Les articles 53 et 54 du règlement européen du 28 janvier 2002[4] permettent l’application d’une mesure conservatoire qui permet de limiter ou d’interdire l’importation de ces denrées dangereuses. On peut d’ailleurs noter que la France, suivie ensuite par d’autre pays européens, a déjà demandé l’application de ces articles, et met en œuvre une mesure conservatoire interdisant l’importation des cerises traitées au diméthoate, chaque année depuis 2016.

La communication envisage désormais d’aller plus loin en considérant non plus le danger sanitaire mais les normes européennes comme motif de restriction des importations.  La protection du marché intérieur aux regard des normes européennes sera-t-elle plus efficace que la protection existante au regard des importations excessives ? Nous ne pouvons que l’espérer, en dépit de l’exemple français sur le sujet. La règlementation nationale qui permet d’interdire l’importation de denrées alimentaires pour lesquels il a été fait usage de produits ou d’alimentation non autorisés par la réglementation européenne (l’article 44 de la loi Egalim) n’a en effet jamais été mise en œuvre.


Ressusciter l’OMC par le verdissement de ses objectifs


Pour la Commission, la relance du multilatéralisme passe nécessairement par la renaissance de l’OMC, qui sera permise par la révision de ses objectifs. La nomination de la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala à la tête de l’organisation, l’arrivée d’une nouvelle administration américaine plus ouverte à la négociation forment pour l’UE le signal d’un nouveau départ pour l’OMC, qu’elle veut appuyer de tout son poids. Dans les documents présentés en annexe de la communication, la Commission revient largement sur le rôle de l’OMC explique que sa renaissance est nécessaire pour plusieurs raisons :

  • Parvenir à faire accepter des accords multilatéraux qui font respecter en matière d’échanges des règles communes et partagées par tous, à la différence des accords bilatéraux qui génèrent une forme de favoritisme entre Etats et rendent plus difficile l’accès de leurs marchés aux autres Nations.
  • Réhabiliter l’Organe de règlement des différends pour jouer les gendarmes en cas de non-respect de ces droits. Pour l’UE, cette institution permet de s’assurer du respect des règles par tous, et doit permettre d’éviter une hausse des droits de douane en cas de pénurie alimentaire, ce qui peut déstabiliser encore davantage les marchés (bien que l’OMC se soit avérée impuissante à enrayer ce phénomène en 2007 et que la participation à l’effort de stockage stratégique au niveau mondial continue de se poser).

Les raisons du blocage de l’OMC sont profondes, comme nous l’avons détaillé dans notre note de référence stratégique : Pour une réforme du multilatéralisme : Un défi pour les institutions européennes et une solution pour la PAC et dans plusieurs articles[5],[6],[7]. Les pays développés et en particulier l’UE souhaitent conserver la longueur d’avance obtenue via l’autorisation de soutenir leur agriculture en respectant un plafond d’aides avantageux car établi sur une référence historique élevée, tandis que les pays en développement, échaudés par la crise alimentaire de 2007/20008, souhaitent protéger leur agriculture, via des mesures de protection des marchés et de stockage public, et revendiquent la possibilité de soutenir également leur agriculture par des aides directes. Et pourtant, la Commission a une façon bien à elle d’expliquer les raisons du blocage du cycle de Doha : pour elle, les avantages concédés aux économies émergentes sur la base du principe de la nation la plus favorisée (NPF) qui ont perduré avec le temps sans tenir compte de l’évolution des économies forment le cœur du problème. Ainsi elle prend la Chine comme bouc-émissaire, la citant en exemple de ces pays qui peuvent donc exporter facilement en bénéficiant de taxes à l’importation moins élevées ( « Le niveau auquel la Chine a ouvert ses marchés ne correspond pas à son importance dans l’économie mondiale »).

Les débats sur les soutiens internes à l’agriculture et les politiques de stockage ne sont même pas listés comme motif de blocage dans ce document de la Commission, alors que le sujet a pourtant largement été évoqué dans les enceintes politiques et scientifiques, et constitue un point d’achoppement central des négociations[8]. La Commission se positionne benoîtement sur le sujet comme elle l’a toujours fait, argumentant sur le fait que puisqu’elle-même a joué les bons élèves, les autres n’ont qu’à suivre : « Les engagements en matière de soutien interne au secteur agricole devraient être la priorité des négociations, compte tenu de la prolifération des politiques et mesures qui faussent les échanges. […] Pour l’avenir, l’UE est favorable à une réduction importante des mesures internes de soutien qui faussent les échanges [ce qui la préserve de réduire ses aides découplées qui ne sont pas classées dans cette catégorie]. L’UE a réformé sa politique agricole au cours des 30 dernières années, renonçant à une aide créatrice de distorsions au profit d’un soutien qui ne fausse pas les échanges. D’autres membres de l’OMC doivent encore entreprendre des réformes similaires. »

 

Pour la Commission, la solution pour ressusciter l’OMC, au point mort depuis 2008, n’est donc pas de travailler à des compromis sur les raisons historiques de son blocage, mais plutôt de lui trouver une nouvelle raison d’être, via la définition d’un nouvel objectif commun teinté de vert : « la reprise et le développement économiques, sans distorsions de concurrence, ainsi que la durabilité environnementale et sociale dans le cadre de la transition écologique des économies ». A l’image du Greenwashing de la PAC, repeindre l’OMC en vert permettra-t-il de fédérer les Etats au travers de nouveaux engagements communs ?

Le recours à l’OMC pour défendre l’application du Green Deal ?

La réhabilitation de l’OMC par des objectifs environnementaux telle que voulue par l’UE arriverait dans un timing fort opportun pour la défense des objectifs environnementaux fixés par le Green Deal. Respect des accords de Paris, compensation carbone aux frontières… L’UE argumente ainsi sur la possibilité que laisse ouverte l’OMC aux Etats Nations de protéger l’environnement et le climat : « Contrairement aux craintes exprimées lors de la création de l’OMC, aucun pays n’a été contraint d’abaisser le niveau de protection de la santé ou de l’environnement qu’il jugeait opportun à la suite d’une décision rendue dans le cadre du système de règlement des différends de l’OMC. À l’avenir, l’UE soutiendra, dans le cadre des discussions internationales sur les questions relatives au commerce et à l’environnement, une interprétation des dispositions pertinentes de l’OMC qui reconnaît aux membres le droit d’apporter des réponses efficaces aux défis environnementaux mondiaux, notamment le changement climatique et la protection de la biodiversité. ».  A l’instar de la boite verte en agriculture, toutes les mesures relevant de la protection de l’environnement, du climat ou de la biodiversité pourraient donc être tolérées. Alors qu’elle ne revient pas sur sa position en matière de soutien agricole ou de politique de stockage vis-à-vis des demandes des pays en développement, l’UE espère donc que les pays membres de l’OMC accepteront ce que certains qualifient de nouvelle forme de protectionnisme…

Le document principal prévoit ainsi la création d’un « nouvel instrument juridique, dans le domaine de la politique commerciale, pour protéger l’UE contre d’éventuelles mesures coercitives de la part de pays tiers » ainsi que d’un « instrument juridique pour remédier aux distorsions provoquées par les subventions étrangères sur le marché intérieur de l’UE ». Il se pourrait ainsi que l’UE se prépare à protéger différents secteurs sensibles dont l’agriculture, et espère la réhabilitation de l’OMC et de l’Organe de règlement des différends pour défendre l’application de ce nouvel arsenal.

La réforme de la PAC actuelle apparait dès lors intimement liée à cette révision de la politique commerciale. L’Article 188 bis proposé par le Parlement Européen pour la réforme de la PAC, qui vise à refuser ou taxer les importations de produits agricoles ne respectant pas les exigences sanitaires et environnementales de l’UE pourra-t-il faire partie de ces nouvelles mesures annoncées par la Commission ? La modification de l’article 182 également demandée par le Parlement donnerait par ailleurs la possibilité d’améliorer le système de droits à l’importation additionnels pour disposer d’un mécanisme de sauvegarde plus approprié en plus des clauses de sauvegardes relatives aux accords bilatéraux.  Mettre ces outils dans la règlementation de la PAC permettrait une meilleure cohérence avec les nouvelles positions de la direction générale du Commerce. Dans le document relatant l’état des négociations au 13 janvier 2021[9], les amendements 134 et 138 que nous venons d’évoquer étaient catégorisés comme « à étudier » par le Conseil, donc ni refusés d’emblée, ni validés. A l’issue de la discussion suivante, le 18 janvier[10], ces articles devaient être envisagés sous réserve de conformité avec les règles de l’OMC. Ils ne figurent pas dans le document en quatre colonnes qui résume l’état des compromis en cours à la suite des deux premiers trilogues[11]. Suspense donc…

 

Vœux pieux ou prémices d’une nouvelle donne en matière de lutte contre la concurrence déloyale ? Si ces principes venaient à être effectivement mise en application, si l’OMC renaissait de ses cendres avec une nouvelle mission de défense commerciale de nos produits plus respectueux de l’environnement, ce bouleversement pourrait alors jouer en faveur d’une protection des agriculteurs européens que ne permet plus la PAC actuelle. L’OMC, qui a été la fossoyeuse des prix garantis et qui a mis les agriculteurs européens à la merci de l’instabilité des marchés, pourrait-elle alors parvenir à se racheter ? Mais, à ce stade, ces perspectives relèvent sans doute d’un optimisme irréaliste, puisque les désaccords parmi les membres de l’OMC sont profonds et bien ancrés. L’exemple récent de l’Inde qui a tenté de réviser sa politique de prix garantis pour faire un pas en avant en vue d’une réouverture des négociations[12], tentative heureusement pour l’heure suspendue[13], montre que la souveraineté alimentaire reste une prérogative nationale jalousement gardée. Alors que l’UE souhaite intensifier le dialogue avec la Chine et l’Inde est-il crédible de ne rien proposer en matière de sécurité alimentaire ? Pour rendre ses vues acceptables et protéger les orientations issues du Green Deal, l’Europe pourrait pourtant devoir envisager certaines concessions. Si elle y parvient, cette révision de la politique commerciale pourrait ainsi avoir un impact sur l’agriculture peut être plus important que la PAC, à l’heure où celle-ci semble se restreindre de plus en plus à une distribution d’enveloppes budgétaires définie pour satisfaire au mieux chaque Etat-Membre.

 

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies

Le 19 mars 2021

[1] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_644

[2] https://www.senat.fr/rap/r15-247/r15-2471.pdf

[3] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32019R0287&from=EN

[4] https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CONSLEG:2002R0178:20080325:FR:PDF

[5] https://www.agriculture-strategies.eu/2019/12/lomc-est-morte-vive-le-multilateralisme-agricole/

[6] https://www.agriculture-strategies.eu/2020/07/regles-de-lomc-un-consensus-sur-les-carences-mais-pas-sur-les-alternatives/

[7] https://www.agriculture-strategies.eu/2018/07/les-olives-de-table-espagnoles-vont-elles-denoyauter-la-pac/

[8] http://capreform.eu/prospects-for-progress-on-the-wto-agricultural-agenda/

[9] https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-14224-2020-REV-1/en/pdf

[10] https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-14224-2020-REV-2/en/pdf

[11] https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-6045-2021-INIT/en/pdf

[12] https://www.agriculture-strategies.eu/2020/12/inde-vers-la-fin-de-la-politique-des-prix-garantis/

[13] https://www.bastamag.net/greve-historique-Inde-agriculteurs-reforme-agricole-suspendue-Modi

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