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Pas d’agroécologie sans économie. Quelles solutions pour assurer l’équilibre ?

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La transition écologique que bon nombre d’organisation politiques appellent de leurs vœux sans en mesurer réellement les enjeux ni la portée, ne peut se faire que sur le temps long et implique une prise de risque pour l’agriculteur, qu’il est nécessaire d’accompagner, techniquement et économiquement.

Pour beaucoup, l’agroécologie est un concept un peu flou « basé sur des équilibres naturels » qui, utilisant moins d’intrants chimiques, sera nécessairement plus rentable. Néanmoins, pour parvenir à cet idéal agronomique qui repose en effet sur une autonomie accrue et des interactions biologiques, il faut arriver à acquérir de nouvelles compétences techniques et à les adapter à chaque ferme. En effet, à la différence des solutions chimiques mobilisées en agriculture dite conventionnelle, où à chaque menace sanitaire répond une molécule efficace quasiment dans toute les situations, l’efficacité des régulations biologiques est plus aléatoire. Une solution qui a parfaitement marché une année donnée peut tout à fait avoir des résultats nettement plus décevants l’année suivante, selon la météo, les conditions de semis qui vont avoir un impact sur l’état de santé de la plante lors de l’arrivée des ravageurs, la capacité du sol à minéraliser des engrais organiques, etc.

Les risques d’une transition agroécologique ne sont pas couverts

Une exploitation agricole n’est pas une usine dont il suffit d’ajuster les paramètres. Ce qui fonctionne dans une ferme peut s’avérer inefficace dans une autre. Le contexte pédoclimatique, l’expérience de l’agriculteur, la façon dont la ferme a été conduite jusqu’alors (rotations, labour, salissement des cultures), le poids de l’environnement socio-économique (famille, partenaires financiers, acheteurs, logistique) vont s’avérer des facteurs importants qui peuvent peser sur la réussite de cette fameuse transition agroécologique. La durée de celle-ci varie selon les systèmes, mais elle est estimée de 10 à 15 ans, pour parvenir à un système maîtrisé.

L’agriculteur fait pour chaque campagne face à 3 risques qui vont avoir un impact sur le revenu issu de sa récolte et donc la viabilité de sa ferme : le risque économique, lié aux prix de marchés, le risque climatique, lié à la météo, et le risque sanitaire. Ce dernier risque est accentué lors de la transition agroécologique, et doit donc être accompagné, techniquement et financièrement.

La plupart des mesures affectées à cette transition sont des aides fixes au revenu, qui ne seront que peu ou pas variables en fonction du degré d’ambition et de réussite de l’exploitant, et ne permettent pas de l’indemniser en cas de coup dur. La solution idéale consisterait à envisager de nouvelles formes de soutien public, comme, pourquoi pas, par une nouvelle forme d’assurance à la prise de risque, comme le conseille un rapport du CESE[1], idée reprise dans le plan écophyto 2+ (action 26)[2]. Couplée à un accompagnement technique individuel, il pourrait alors s’agir de proposer une indemnisation en cas d’échec de la mise en œuvre d’une pratique agroécologique qui aurait un impact réel sur la marge brute, constaté via la comparaison avec une parcelle témoin.

Il s’agit là de sortir d’un système d’assurance par le traitement chimique pour aller vers une forme d’assurance économique. En effet, sans l’existence d’une parcelle témoin, sans essais techniques, il n’est pas possible de prouver qu’un traitement n’était pas indispensable. Un technicien qui conseille de faire une impasse prend ainsi davantage de risque dans sa crédibilité vis-à-vis d’un agriculteur qu’un technicien qui préconise « d’assurer le coup » via un traitement. Cette assurance économique pourra permettre d’oser des choix techniques, de remettre en question la nécessité de certains traitements, sans mettre en péril la viabilité économique de l’exploitation. Ce changement permettra de rassurer l’agriculteur, l’encourageant à tester de nouvelles pratiques, au départ guidé dans ses choix par un technicien, mais dans le but de reconquérir à terme une autonomie décisionnelle.

Un rôle d’assureur agroécologique dévolu aux agences des eaux : une solution souple et efficace

Mais qui financera ce type d’assurance, qui nécessite un budget flexible et un programme d’actions à la carte ? La PAC et ses déclinaisons régionales étant pour l’heure difficilement adaptables à de tels projets, la solution pourrait venir des agences de l’eau et des syndicats de gestion des eaux. Un système où tout le monde sortirait gagnant : si la stratégie alternative mise en place est efficace, l’agriculteur y gagne économiquement, et la collectivité aussi, puisqu’elle ne débourse rien et économise sur le traitement des eaux, et en cas de « mauvais » choix, l’agriculteur ne se décourage pas. Financer une amélioration des pratiques agricoles reste moins coûteux que de traiter les eaux, comme l’a prouvé l’exemple désormais bien connu de la ville de New York[3]. Par ailleurs, l’adoption de pratiques agroécologiques isolées est un préalable à l’adoption d’une combinaison systémique de pratiques[4] ; il faut donc chercher à encourager toutes ces initiatives qui permettent d’engager les agriculteurs dans cette réflexion.

Dotées de financements propres basée sur les redevances liées aux pollutions, les agences de l’eau disposent d’une autonomie importante et de territoires d’action spécifiques, les zones de captages, sur lesquelles elles peuvent proposer des appels à projets très innovants. Un rapport compile d’ailleurs ces initiatives : Prendre en compte les enjeux économiques des exploitations agricoles dans les démarches de protection des captages. Enjeux, outils et retours d’expérience. Il acte ainsi que « Les effets des changements de pratiques ou de systèmes de production sur l’économie des exploitations agricoles sont complexes, difficiles à mesurer et surtout à généraliser à l’échelle d’une typologie d’exploitations. Il est pourtant essentiel de les prendre en compte afin de trouver un point de rencontre entre les objectifs de protection de l’eau et les objectifs de viabilité économique des exploitations. »

Le syndicat des eaux du bassin rennais a d’ailleurs été plus loin, en intégrant cette vision au sein du fonctionnement des filières, puisque l’approvisionnement des collectivités locales assure un débouché aux agriculteurs de la zone de captage engagés dans la préservation de la ressource en eau[5]. Ce ciblage local d’un marché public, interdit par la règlementation, est rendu légal par l’achat d’un service environnemental en plus de l’achat de la denrée alimentaire. Simple, mais efficace : « L’agriculteur bénéficie d’une double rémunération : celle du service environnemental rendu pour la qualité de l’eau complété de la vente de ses produits à un juste prix. La première rémunération, d’un montant maximum de 3000 euros, se réalise sous la forme « d’un bonus financier proportionnel à l’ambition de progrès, en utilisant le principe de la clause incitative de l’article 17 des marchés publics »[6].

 

Pour parvenir à réussir la transition agroécologique, celle-ci doit donc être accompagnée techniquement, soutenue financièrement, et elle doit fournir des produits en adéquation avec les attentes, le consentement à payer des consommateurs, et le niveau de la demande.

Or la PAC malgré ses objectifs en matière de Green Deal n’intègre pas de dispositif de couverture des risques agroécologiques. Il faudra nécessairement l’envisager, mais entre-temps l’intervention des agences de l’eau peut suppléer à cette absence de soutien incitatif. C’est indispensable car l’exemple récent des déboires de la bio montre que malgré l’urgence environnementale, si le marché ne peut absorber la croissance des produits demandés par les citoyens, ces mêmes produits peuvent se retrouver en excédent et voir leur valeur diminuer. Or, le prix de ces denrées aux qualités environnementales supérieures ne doit pas être bradé, afin de conserver une différenciation avec les autres produits et une juste rémunération des agriculteurs. D’autres solutions restent à trouver et à mettre en œuvre pour permettre de stimuler la demande.

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies

Le 11 mai 2022

 

[1] https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/164000770.pdf

[2] https://glyphosate.gouv.fr/sites/default/files/inline-files/Note%20d%E2%80%99e%CC%81tape%20et%20synthe%CC%80se%20des%20entretiens%20en%20re%CC%81gions%2C%20novembre%202019%20%28PDF%2C%20736.11%20Ko%29_1.pdf

[3] https://www.partagedeseaux.info/Comment-la-remuneration-des-services-ecologiques-a-permis-a-New-York-de

[4] Centre d’études et de prospective du MAA – Agroéquipement et triple performance – Freins et leviers pour une transition AE – Machenaud, Klein, Terrien, Pasco – 2014

[5] https://www.banquedesterritoires.fr/label-et-debouches-pour-les-agriculteurs-qui-protegent-leau-potable-du-bassin-rennais-35#:~:text=En%20%C3%A9change%20de%20pratiques%20plus,est%20ouvert%20au%20grand%20public

[6] https://www.bruded.fr/wp-content/uploads/2018/03/fiche-ebr_terresdesources_finale.pdf

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