ArchivesPolitique et économie agricoles en France

PLOA : l’art de cultiver le consensus mou

Télécharger le PDF


Les concertations sur le Pacte et la loi d’orientation et d’avenir agricoles (PLOA) sont terminées. A quoi vont permettre d’aboutir les (très) nombreuses réunions menées en région et au sein du ministère ? Une révolution qui permettra d’installer pléthore de jeunes et des idées lumineuses pour accélérer la transition agroécologique ? Sans doute pas. Quand l’objectif principal est de faire émerger des consensus entre parties prenantes aux objectifs et mentalités radicalement différentes, les acquis ne peuvent être que minces. Agriculture Stratégies, qui a participé aux groupes de travail « installation/transmission » et « adaptation et transition face au changement climatique », vous propose un bilan des discussions et des nombreux dissensus qui les ont motivées.

 

1)    Installation/transmission : des enjeux partagés mais des visions différentes

 

  • Reprises : un décalage entre l’offre et la demande à combler ?

La nécessité de trouver des jeunes à installer, tous les acteurs l’ont partagée. Mais quels jeunes pour quels projets ? Pour certains acteurs, il y a un décalage majeur entre l’offre et la demande : les structures à reprendre ne correspondraient pas aux ambitions des aspirants-agriculteurs. Il faudrait donc démanteler les outils de production existants, les scinder, pour en faire des exploitations à « dimension humaine » qui correspondent aux ambitions de ces nouvelles générations qui seront constituées en majorité de NIMA, les non issus du milieu agricole. Cette volonté de restructuration des exploitations agricoles peut dans certains cas avoir des intérêts mais nécessitera de prendre en compte la viabilité économique de ces modèles et leur impact sur la capacité de la production nationale à répondre à la demande.

En effet, si les fermes se sont agrandies, c’est pour parvenir à améliorer leur revenu dans le cadre d’une baisse du prix des denrées agricoles. Comme le relevait un récent rapport du CGAAER, si le revenu du secteur a diminué, c’est grâce à la concentration que le revenu moyen par actif a augmenté, allant de pair avec l’augmentation de l’intensité capitalistique. En conséquence, un agriculteur souhaitant s’installer doit investir davantage qu’il y a trente ans pour reprendre une ferme. S’il est possible de scinder certaines structures, de viser des productions à plus forte valeur ajoutée qui pourront rémunérer une UTH dans certains cas, il faut intégrer également que l’agriculture française n’est pas uniquement faite de niches.

Le dissensus le plus marqué ainsi a été autour de la nature des projets que l’action publique doit encourager. Les ONG ont milité pour que seuls les projets s’inscrivant dans la transition agroécologique soient aidés (la question de la suppression des « aides défavorables à l’environnement » a même été débattue dans le GT adaptation au changement climatique), et pour interdire l’installation en élevage dans les zones où la densité en animaux est déjà trop élevée.

  • L’agriculture, un passage temporaire dans une carrière professionnelle ?

Il semble que priorité soit donnée à l’installation mais pas à la pérennité des projets. Au fil des discussions on voit émerger l’idée que le passage en agriculture pourrait n’être que temporaire. Si l’idée du droit à l’essai semble louable, on peut s’interroger sur les modalités de la dotation jeune agriculteur (DJA) dans ce cadre. Dans les règles actuelles, la DJA est accordée à condition notamment que le porteur remplisse une condition de capacité professionnelle agricole, et ait établi un plan d’entreprise sur 4 ans qui traduise l’élaboration d’un projet d’installation viable du point de vue économique permettant de dégager un revenu agricole suffisant[1]. En 2021, le montant moyen de la DJA est de 32 470 €[2]. Une somme importante, nécessaire pour aider au lancement de projets dont les investissements, importants, sont généralement calculés sur des durées de 20 à 25 ans. Alors qu’un récent rapport du CGAAER recommande d’ouvrir la DJA aux plus de 40 ans, il nous parait important d’insister sur la nécessité de calibrer le montant d’argent public investi en fonction des montants investis et de la pérennité des projets.

  • Faciliter l’accès au foncier

Les discussions sur l’accès au foncier ont mobilisé un groupe de travail spécifique sur une demi-journée, motivées entre-autre par un autre rapport du CGAAER qui recommande de faire évoluer le statut du fermage. Levée de boucliers de la profession qui souhaite préserver le statut privilégié du fermier, mais qui reconnait la nécessité de faciliter l’accès à la terre pour les jeunes. La problématique est la suivante : la rentabilité du foncier est assez faible, les propriétaires souhaitent avoir la garantie de toucher leur fermage, avoir à faire au moins d’interlocuteurs possible, et voir leurs terres bien entretenues. Ils ont donc tendance à louer plus facilement à un agriculteur qu’ils connaissent déjà plutôt qu’à un jeune inconnu, facilitant ainsi l’agrandissement au détriment de l’installation.

Si l’essentiel de la discussion a porté sur les incitations fiscales, nous avons insisté sur la nécessité de faire appliquer les outils existants et notamment le contrôle des structures : lorsque qu’un hectare se libère, les règles définies dans les schémas régionaux donnent priorité à l’installation. Mais dans la réalité du terrain, on fait face à deux problématiques :

  • Nombreux sont les exploitants qui n’ont pas d’autorisation d’exploiter. Il n’y a pas de contrôle systématique corrélé avec les déclarations PAC, les demandes sont déclaratives et le contrôle des structures peine à contrôler l’agrandissement notamment lorsqu’il est réalisé de façon indirecte, c’est-à-dire la prise en compte de l’ensemble des surfaces exploitées par les associés lors de l’agrandissement d’une société. Par exemple, dans le cas de l’agrandissement d’une EARL avec deux exploitants dont l’un détient également une exploitation à titre individuel, les surfaces de l’exploitation individuelle devraient être prises en compte dans l’application du contrôle des structures. La demande étant basée sur les déclarations de l’EARL, si celle-ci omet de préciser que l’un des associés exploite des surfaces par ailleurs, la vérification au cours de l’instruction n’est pas faite automatiquement.
  • Les exploitants et notamment les jeunes ne font pas de demande s’ils savent que le propriétaire ne souhaite pas leur louer la parcelle, pour éviter de créer des tensions en empêchant leur concurrent d’obtenir une autorisation d’exploiter. C’est ainsi que selon les statistiques présentées seuls 7% des dossiers essuient un refus d’autorisation d’exploiter. Cela signifie que moins de 7% des demandes d’autorisation sont présentées en concurrence avec d’autres demande pour une surface donnée.

Pour résoudre ces deux problèmes, on pourrait imaginer la création d’une forme de plateforme d’intermédiation locative sous égide de l’Etat, qui répertorierait les surfaces mises en location, se chargerait de percevoir les fermages et de les reverser aux bailleurs, tout en garantissant le paiement de ceux-ci. Cette plateforme pourrait ainsi veiller au respect du barème des fermages, à la mise en œuvre du diagnostic d’entrée et de sortie visant au respect de l’entretien et du bon état des parcelles, à l’application stricte du contrôle des structures, et pourrait même encourager les échanges de parcelles pour optimiser le fonctionnement des exploitations.

  • Ajuster la valeur de reprise des exploitations à leurs performances économiques et favoriser le portage

Le problème du coût de la reprise a été largement évoqué : pour s’installer, un jeune doit investir plusieurs centaines de milliers d’euros dans un projet qui implique une charge de travail importante, une rentabilité faible, dans un contexte où le regard et les critiques de la société se font de plus en plus prégnants. Différents outils ont été évoqués pour diminuer l’importance des annuités en début de carrière, comme le portage de foncier, ou de capitaux. Cette dernière idée risque de poser un problème principalement idéologique, car l’idée d’avoir des investisseurs au capital d’une exploitation va contre la vision de « l’exploitation familiale » chère à nos concitoyens, qui ont du mal à concevoir que l’entrée de capitaux extérieurs puisse permettre à l’exploitation d’investir dans du matériel de précision pour être plus performante économiquement et écologiquement. La création de sociétés de type SCOP, où les agriculteurs ne sont plus chefs d’exploitations mais salariés de la structure qu’ils codétiennent avec leurs autres associés-salariés, qui ne nécessiterait plus de racheter le capital à chaque génération, pourrait être un modèle intéressant à développer, mais qui nécessitera de dépasser des a priori bien ancrés.

Un consensus intéressant est à noter. Le constat a été partagé entre tous les acteurs de la nécessité pour le cédant de valoriser au maximum son exploitation lors de la cession pour compenser une retraite trop faible. L’idée d’ajuster la valeur de l’exploitation à sa valeur économique (sa capacité à générer de l’EBE) plutôt qu’à sa valeur patrimoniale a rassemblé les participants. Mais elle nécessitera de revaloriser les retraites des exploitants qui feront l’effort d’ajuster ainsi leur prix de vente pour permettre une transmission viable[3].

2) Adaptation et transition face au changement climatique : « des sensibilités différentes »

L’objectif de ce groupe de travail était « d’identifier les verrous à lever pour faciliter l’installation d’une nouvelle génération d’agriculteurs à même de relever les défis fondamentaux pour l’avenir de notre pays et de la planète, en particulier la lutte contre le changement climatique », tout en parvenant à « assurer la souveraineté alimentaire de la France et accélérer la transition agroécologique ». Mais comme dans le GT installation/transmission, la souveraineté alimentaire n’a pas été définie (de même que la transition agroécologique, d’ailleurs). Dans le document final, celle-ci doit être « durable et solidaire, prendre en compte l’accès à l’alimentation de tous les publics, le respect de l’environnement et des ressources naturelles, tout comme le revenu des agriculteurs ». Tout un programme.

Le rapport présente fièrement un consensus important pour une majorité de propositions identifiées et « quelques points de dissensus », loin d’une « opposition indépassable des points de vue ». Il suffira d’étudier les réactions des uns et des autres pour se faire un avis sur le caractère très optimiste de ces propos, puisque le caractère consensuel ou non des propositions a été obtenu par un vote sur des propositions organisé par thématique. 14 axes contenant 3 à 16 mesures ont ainsi été définis, pour cerner les leviers à mobiliser, et pour chaque axe, chaque participant a été invité à se prononcer sur au maximum deux mesures qui lui paraissent prioritaires et au maximum une mesure qui lui parait inopportune. Jusqu’à la dernière réunion et même après le vote des propositions, chaque organisation et en particulier les ONG environnementales ont cherché à faire valoir leurs points de vue, souvent très opposés.

Le rapport qui se veut résolument optimiste qualifie de « dystopie » (dystopie : récit de fiction qui décrit un monde utopique sombre) « Ia vision d’une agriculture prise en étau entre des règlementations environnementales européennes et nationales croissantes et des prix des denrées agricoles maintenus à un niveau faible, associée à une faible régulation des échanges ». Si cette vision est digne de la fiction, il serait sans doute temps que les auteurs de cette phrase prennent conscience de certaines réalités.

  • Protéger le revenu agricole, une nécessité reconnue et pourtant absente des mesures proposées

Ceci étant dit, les auteurs du rapport ont malgré tout réalisé une performance en parvenant tout de même à établir une vision partagée des enjeux agricoles : la fonction nourricière doit rester Ia fonction prioritaire de l’agriculture, elle doit parvenir à répondre aux grands enjeux environnementaux, et le secteur doit évoluer pour s’adapter à ces enjeux. Il est également écrit que « la transition ne peut pas se limiter aux seules exploitations agricoles » et que c’est tout le système alimentaire qui doit être repensé, jusqu’à la consommation. Pour parvenir à ces objectifs, les participants se sont accordés sur différents points, dont la nécessité d’agir sur les prix payés aux producteurs et de réguler les échanges commerciaux.

Parmi les mesures les plus plébiscitées, la réciprocité des normes est ainsi revenue comme une priorité forte alors qu’elle ne peut dépendre d’un cadre national, mais en revanche, aucune mesure concrète n’a été proposée pour agir sur les prix agricoles, un besoin pourtant clairement identifié par tous comme un paramètre clé agissant comme facteur de transition. Au contraire, dans un axe qui vise à accompagner le développement des nouvelles filières, la problématique liée aux prix est abordée ainsi : « anticiper la question de l’accès au marché et de la valorisation par Ia compétitivité et prix du produit ».

L’implication du consommateur devra donc suffire, via la mesure qui vise à « affiner la connaissance des attentes des consommateurs et leur consentement à payer pour une alimentation de qualité, valoriser les transitions via l’étiquetage ». Et les producteurs devront s’adapter pour s’ajuster à la planification d’un « changement de l’offre alimentaire en se basant sur les recommandations nutritionnelles, et rendre accessible à tous une alimentation de qualité, saine et durable ».

  • Soutenir la prise de risque au sein des exploitations

Le rapport le rappelle : « dans la phase de transition, plusieurs risques ont un impact potentiel sur le revenu d’une exploitation : environnement économique de l’exploitation (coûts des facteurs de production, marchés aval, fluctuation des prix …), risques climatique, environnemental, sanitaire et règlementaire. L’ensemble de ces risques doit être appréhendé sur le temps long nécessaire à l’expérimentation afin d’accompagner et de rassurer les agriculteurs dans leur dynamique de changement ». Il est donc nécessaire de soutenir les agriculteurs dans la prise de risque. Sur ce point, une mesure proposée par Agriculture Stratégies pour laquelle nous plaidons de longue date a été retenue : il s’agit de prendre en charge sur cinq années d’expérimentation la perte de marge générée par des choix techniques vertueux, en s’appuyant sur des démarches collectives.

D’autres propositions ont été formulées, telles que la mise à disposition d’outils d’aides à la décision, de développement d’irrigation de précision, la nécessité de la nécessité de favoriser et diffuser les connaissances et les innovations ou encore le besoin de mettre en place un système de paiement pour services environnementaux.

  • Une production à mieux connecter avec l’aval

Les discussions ont permis de faire émerger un début de réflexion qui englobe les filières jusqu’au consommateur. Les constats sont bien remontés dans le rapport : « le verrou du comportement du consommateur est clairement identifié, mais fait ressortir deux risques : des achats bon marché de produits importés avec un effet d’émissions de gaz à effet de serre importées, et une évolution de comportement qui se fera progressivement et certainement pas de manière radicale. L’enjeu est de faire converger d’ici 2040 une alimentation plus saine et plus durable avec une évolution vers une production agricole plus durable. »

Malheureusement, face à ces enjeux, les mesures retenues nous paraissent inadaptées. Ainsi, elles préconisent d’une part de se reposer sur les PAT (plan alimentaires territoriaux), et d’autre part de planifier un changement de l’offre, sans nécessairement tenir compte de l’évolution de la consommation. Les mesures qui portent sur l’accompagnement des changements de consommation se bornent à une sensibilisation de l’intérêt du public et au levier que représentent les achats par la restauration collective. Préconiser ainsi le soutien à un « développement massif de l’agriculture biologique » alors que la consommation ne suit actuellement plus le développement de l’offre ne pourra que contribuer à une destruction de valeur et renforcer le « paradigme d’une alimentation à bas coût ».

De même, si prôner la déspécialisation des territoires dans l’idée de mieux répartir l’élevage et favoriser la polyculture-élevage a du sens d’un point de vue environnemental, cette volonté risque de se heurter à la difficulté de maintenir le tissu économique nécessaire à l’élevage. Il faut une certaine densité pour pouvoir maintenir les activités qui lui sont liées (vétérinaires ruraux, abattoirs, laiteries, usines de transformation), déjà compromises par endroit du fait de la décapitalisation en cours, et qui seront particulièrement difficiles à mettre en place dans les régions où l’élevage est désormais absent.

Enfin, si l’on peut saluer l’idée d’engager un programme national de recherche appliquée associant production agricole et agro-alimentaire, ou encore l’idée d’un partage des risques entre les différents acteurs, nous regrettons en revanche que la nécessité de lever les freins logistiques pour les filières bas intrants n’ai pas été reconnue comme une priorité.

Conclusion

Que restera-t-il des discussions issues des concertations ? La route est encore longue pour le PLOA, qui sera finalement conçu en fonction des arbitrages du ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, et qui devra également suivre un parcours législatif pour la partie loi, où les députés comptent bien avoir leur mot à dire sur les orientations à donner au texte et à l’agriculture françaises.

Nous ne pouvons qu’espérer que les textes finaux feront preuve de pragmatisme et limiteront les injonctions contradictoires. Il sera en effet compliqué de poursuivre des objectifs d’optimisation de la performance, de réduction de la pénibilité, d’investissement dans des outils de précision ou de la méthanisation pour atteindre les cibles environnementales, tout en envisageant une « restructuration » des fermes et une déspécialisation des territoires, dans un contexte où la main d’œuvre manque.

Quoi qu’il en soit, définir un cap pour l’agriculture, redonner des perspectives économiques aux agriculteurs actuels et futurs et redorer l’image du métier d’agriculteur ou d’éleveur au sein de la société est une nécessité pour espérer attirer des jeunes et donner un avenir aux fermes françaises.

 

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies
Le 20 juin 2023

[1] une possibilité d’installation progressive a été mise en place pour des projets qui atteignent la solidité économique au terme seulement du plan d’entreprise.

[2] https://agriculture.gouv.fr/aide-linstallation-de-jeunes-agriculteurs

[3] Voir sur le sujet l’excellent dossier de Sésame par Yann Kerveno : https://revue-sesame-inrae.fr/exploitations-agricoles-comment-cesser-de-battre-en-retraite/

Bouton retour en haut de la page