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Ciseau des prix : pourquoi 2023 est-elle une année à risque ?

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En ce début d’année, l’évolution des cours est suivie par les différents observateurs avec attention, dans la crainte de voir survenir une baisse des prix à un niveau qui ne permettrait plus de couvrir les coûts de production. L’année dernière a en effet donné lieu à une hausse impressionnante des prix agricoles, notamment en céréales, en viande bovine et en lait, suffisamment élevée pour permettre de compenser la hausse des intrants dans la plupart des cas. Dans l’ensemble l’année 2022 a ainsi permis des bons résultats malgré la sécheresse, 2023 sera-t-elle également une bonne année ou observera-t-on un ciseau des prix ?

 Avant de parler de ciseau des prix, il est important de donner certaines définitions :

  • L’IPPAP, traduisez indice des prix des produits agricoles à la production. Cet indice mesure l’évolution des prix payés à l’agriculteur, en sortie de ferme.
  • L’IPAMPA : c’est l’indice des prix d’approvisionnement de la matière première agricole. Cet indice prend en compte l’ensemble des intrants nécessaires à la production (aliments, engrais, énergies…), c’est lui qui donne une idée de l’évolution des coûts de production agricoles.
  • Les cours internationaux des matières premières agricoles (huiles, lait, céréales, sucre, viande). Ils vont jouer à la fois sur l’IPPAP et sur l’IPAMPA, puisque ces prix vont à la fois avoir un impact sur le prix de vente de l’agriculteur et sur ses prix d’achat.

Ainsi, si l’on prend l’exemple du lait, un éleveur vend à une laiterie dont le mix-produit (le volume des différents produits élaborés selon leur destination) va intégrer un marché domestique (lié à la grande distribution française) et un marché international (lié notamment à la demande chinoise). Si les prix internationaux augmentent, le prix auquel son lait lui est acheté peut augmenter (en tenant compte de la part export dans le mix produit de l’entreprise qui lui achète). Mais si en parallèle les cours des céréales et des huiles (qui dit huiles dit tourteaux) sont hauts, les fabricants d’aliments auront payé cher leur matière première et le prix de l’aliment sera élevé, ce qui augmente de coût de production de notre éleveur laitier.

Le phénomène appelé « ciseau des prix » intervient quand les courbes des coûts de production des prix de vente agricoles (IPAMPA et IPPAP) se croisent, que l’une augmente tandis que l’autre baisse dans des proportions importantes. L’analyse de ces courbes donne un indicateur intéressant pour estimer si, en tendance, l’équilibre des marchés est en faveur ou en défaveur du secteur agricole. Lorsque l’IPPAP monte plus vite que l’IPAMPA, cela signifie que l’augmentation des prix de vente est en théorie plus élevée pour l’agriculteur que l’augmentation de des prix de ses intrants.

Mais ces indicateurs ne reflètent pas nécessairement la réalité observée dans les comptabilités des fermes : conçus pour refléter des niveaux de prix à un instant donné, ils ne permettent pas de tenir compte des stratégies d’anticipation des agriculteurs (liées par exemple à la date d’achat des intrants, puisque les engrais sont achetés avant que ne démarre la campagne, que les broutards sont achetés 9 mois avant leur commercialisation, etc) ou de commercialisation (marchés à terme, plus-value liée à certains débouchés, etc).

En conséquence, lorsque l’on compare les courbes IPPAP/IPAMPA au revenu courant avant impôt (RCAI) on s’aperçoit que la réponse n’est pas que mathématique : le revenu agricole ne varie pas proportionnellement en réponse à l’évolution de ces deux indicateurs, ils ne sont pas corrélés.

Par exemple, si 2016 a été une très mauvaise année pour le secteur agricole alors que le ciseau des prix était en moyenne plutôt en faveur des agriculteurs, c’est surtout parce que les récoltes ont été mauvaises en qualité comme en quantité en France. En 2020, le revenu diminue alors que le ciseau des prix semblait très favorable aux agriculteurs, en raison de la sécheresse, alors qu’il remonte fortement en 2021 pour un écart similaire entre les indices.

En revanche, lorsque le ciseau des prix est très marqué, il y a en effet un impact sur le revenu. Si sur les années 2008, 2009 et 2010 on pouvait observer le phénomène du ciseau des prix défavorable aux agriculteurs, le revenu agricole n’a plongé de façon forte que sur l’année 2009, lorsque les prix agricoles ont décroché très fortement (l’IPPAP avait perdu 14 points) alors que le coût de production ne baissait que de 6 points.

L’observation des courbes du coût de production et du prix de vente des agriculteurs ne permet donc pas à lui seul d’expliquer l’évolution du revenu, mais son impact est à prendre en compte en cas d’évolution forte, comme on l’observe actuellement.

Figure 1 : Comparaison des indices IPPAP, IPAMPA, et du RCAI/UTANS, source INSEE et RICA, traitement Agriculture Stratégies

Pourquoi 2023 est-elle une année particulièrement à risque ?

Le graphique précédent montre que les deux indices, coûts de production comme prix de vente des agriculteurs, ont augmenté de façon très importante en 2021 et surtout en 2022 (+40% par rapport aux prix de 2015). Or, les marchés font preuve d’une volatilité particulièrement importante ces derniers temps, et le prix des denrées agricoles pourrait redescendre bien plus vite que celui des intrants, à l’image de ce qu’il s’est passé en 2009, mais de façon encore plus importante.

Du côté des cours internationaux des matières premières alimentaires, d’après les chiffres de la FAO, après une explosion de 28,1% en 2021, l’indice des prix alimentaires a à nouveau augmenté de 14,3% en 2022. Mais depuis mars, cet indice redescend progressivement (-17% entre mars et décembre), et ce, bien plus vite que les engrais.

Cette situation va mettre en danger en particulier le secteur céréalier français : les céréales françaises se sont très bien vendues sur la campagne 2022 et les céréaliers ont ainsi profiter d’une augmentation de leur prix de vente supérieure à l’augmentation du prix mondial des céréales. Mais alors que les prix des engrais au mois de décembre 2022 étaient « redescendus » au niveau des prix exceptionnellement élevés observés en mars 2022, le prix de vente des céréales françaises sortie de ferme est déjà redescendu presqu’au niveau d’avant crise ukrainienne, tout comme le prix des céréales sur les marchés internationaux. D’après l’AGPB, les prix du blé observés actuellement, de l’ordre de 250/255 €/t, ne permettent déjà plus de couvrir les coûts de production.

Il faut prendre en compte que l’écart entre le prix payé en France et les prix internationaux des céréales est en train de se réduire. Compte tenu des disponibilités actuelles sur le marché mondial, de la pression russe qui dispose d’énormes volumes prêts à être exportés, la probabilité pour que le prix des céréales françaises diminue encore semble forte, et mettra dans une situation délicate nos céréaliers qui auront acheté leurs engrais à prix fort en amont de cette campagne.

Cette probabilité s’accroit avec la diminution du coût du transport international. Celui-ci a explosé suite à la reprise des échanges post-Covid qui a été particulièrement importante, et est resté sur des niveaux incroyablement élevés pendant tout le début du conflit ukrainien. Mais il redescend progressivement depuis le mois d’avril dernier, ce qui facilite les échanges, abaisse le prix des denrées échangées, et diminue d’autant l’avantage français de plus courtes distances à parcourir jusqu’à ses acheteurs du nord de l’Afrique.

Source : Freightos Baltic Index (FBX): Global Container Freight Index

Néanmoins, de nombreux facteurs d’incertitude sont à prendre en compte avant de sortir une boule de cristal :

  • Le prix des engrais a tout de même fortement diminué, ce qui favorisera les agriculteurs qui ont retardé leurs achats : de 1200 €/t au mois de mars dernier, l’ammonitrate est redescendu à 570 €/t en ce début d’année, grâce à la baisse du prix du gaz et à la suspension des taxes antidumping. Mais le prix des engrais reste encore bien supérieur à l’avant crise (où le prix de l’ammoniac était de l’ordre de 250€/t), et le prix du gaz pourrait remonter en 2023, lors de la reconstitution des stocks pour l’hiver prochain, et la suspension des taxes n’a été actée que pour 6 mois.
  • Le marché des céréales reste réactif à tout élément géopolitique et toute prévision de récolte, et on constate ces derniers jours une remontée des cotations à plus de 290€/t pour le blé. L’incertitude sur la reconduction en mars prochain du Grain Corridor qui permet de sortir les céréales de la Mer Noire, l’effet du tremblement de terre en Turquie, les incertitudes liées aux récoltes 2023 en Argentine, aux USA (maïs notamment), dans l’UE, sont des éléments qui peuvent perturber les marchés rapidement, et provoquer une hausse des prix alors que la demande reste dynamique selon les prévisions. De plus, les récoltes et les exportations ukrainiennes sont estimées en forte baisse pour 2023. Enfin, il faut également prendre en compte l’état des stocks[1], majoritairement détenus par la Chine.
  • A cela convient-il d’ajouter le prix du pétrole qui avait baissé, mais semble reprendre de la vigueur, avec notamment la décision de la Russie de restreindre ses volumes à partir de mars, et qui aura des effets sur le coût du transport, de toutes les énergies, des engrais, du prix des biocarburants et donc de la demande en céréales.

Conclusion :

L’agriculteur fait pour chaque campagne face à trois risques qui vont avoir un impact sur le revenu issu de sa récolte et donc la viabilité de sa ferme : le risque économique, lié aux prix de marchés, le risque climatique, lié à la météo, et le risque sanitaire, ce dernier risque étant d’ailleurs accentué lors de la transition agroécologique.

La période actuelle de très grande instabilité des marchés renforce la nécessité de sécuriser les agriculteurs en leur offrant une visibilité sur les prix et un accompagnement dans leurs prises de risque.

Les aides fixes au revenu ne peuvent permettre de combattre avec efficacité cette volatilité croissance des prix observés sur les marchés et ses effets sur le revenu. La période de réflexion qui s’ouvre sur l’avenir de la PAC doit être le moment de réhabiliter les politiques de régulation, comme le préconise Agriculture Stratégies depuis sa création ou le dernier rapport du CGAAER[2] sur la question des revenus agricoles.

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies
Le 14 février 2023

[1] https://theconversation.com/pourquoi-la-chine-plus-que-la-guerre-en-ukraine-menace-la-securite-alimentaire-mondiale-199443

[2] https://agriculture.gouv.fr/evolution-du-revenu-agricole-en-france-depuis-30-ans

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