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L’Union européenne : une puissance agricole aux pieds d’argile

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L’article complet dans Diplomatie

Parmi les nombreux articles du dernier numéro de Diplomatie dont le thème était « Nourrir la planète – Géopolitique de l’agriculture et de l’alimentation », vous pourrez retrouver un article co-écrit par Thierry Pouch, chef du service études, références et prospective aux Chambres d’agriculture de France et Frédéric Courleux, directeur des études d’Agriculture Stratégies.

Cet article intitulé « L’Union européenne : une puissance agricole aux pieds d’argile« , retrace l’histoire géopolitique de la Politique Agricole Commune afin d’analyser la place de l’UE sur la scène du multilatéralisme agricole. Comme l’indique le titre de l’article, les auteurs font ressortir la fragilité de la position européenne, de plus en plus isolée dans la défense du principe de découplage des subventions versées aux agriculteurs.

Nous reproduisons ci-dessous un extrait de cet article disponible dans le n°49 des Grands Dossiers de Diplomatie.

Le découplage des aides, une martingale remise en cause

Le principe du découplage des subventions agricoles repose sur un constat juste et une hypothèse fausse. Le constat est que si l’on accorde des subventions pour soutenir le revenu des agriculteurs en proie à une crise de surproduction mais que les montants de subventions sont calculés sur les volumes produits, les pouvoirs publics aggravent la crise qu’ils souhaitent traiter en incitant les producteurs à produire plus pour percevoir davantage d’aides. De ce constat est issu le principe de « découpler les soutiens de la production » pour supprimer cette incitation en versant les aides indépendamment de la production. Dès lors, on a pensé qu’en découplant les subventions, on allait progressivement réduire la surproduction et permettre ainsi aux marchés de se rééquilibrer et aux prix de revenir à leur niveau d’équilibre. Et c’est donc là le talon d’Achille de cette martingale : elle repose sur l’hypothèse que les marchés agricoles sont efficients, alors qu’ils ne le sont pas en agriculture.

La doctrine agricole de l’OMC a donc consisté à pousser à la suppression des outils de régulation et de stabilisation des marchés agricoles considérés comme des sources de distorsion préjudiciables à la concurrence. Le stockage public a ainsi été banni alors même qu’il constitue la pierre angulaire des politiques de sécurité alimentaire de nombreux pays en développement et de grands émergeants comme l’Inde et la Chine. Les règles de l’OMC qui visent in fine à laisser s’exprimer la volatilité des marchés agricoles et à verser des subventions découplées, sont surtout adaptées aux pays riches où la population agricole est peu nombreuse et où la part de l’alimentation dans le budget des ménages est faible (moins de 15% dans les pays de l’OCDE) rendant la volatilité des prix agricoles indolore pour la sécurité alimentaire.

La crise alimentaire de 2007/08 marque la perte de crédibilité de l’agenda de l’OMC en matière agricole dont l’UE est le principal – voire l’ultime – soutien. Alors que la discipline multilatérale visait à supprimer les régulations nationales et à découpler les aides pour faire baisser la production mondiale et faire remonter les prix internationaux, les flambées des prix ont révélé à nouveau l’extrême volatilité des marchés internationaux soumis en période d’insécurité alimentaire à des différents phénomènes spéculatifs. L’idée que les échanges internationaux étaient le meilleur moyen pour assurer la sécurité des approvisionnements, sans un minimum de coopération à visée stabilisatrice, a alors volé en éclat. Tout comme le cycle de Doha, qui dès 2008 vit l’affirmation des grands émergents dans la défense de leurs politiques agricoles et alimentaires fondées sur des protections douanières et des stocks publics pour stabiliser leurs marchés domestiques.

La puissance agricole de l’UE s’est donc construite sur des bases fragiles : il est pour elle plus que délicat de justifier que le budget de la PAC n’a pas d’effets sur la production et les échanges alors que ses aides comptent pour plus de 50% dans les revenus des agriculteurs européens. Certes, la trajectoire de réformes de la PAC lui a permis de s’engager à ne plus avoir recours aux subventions à l’exportation au sommet de Nairobi en 2015. Pourtant, même converties en aides découplées conditionnées aux respects de contraintes environnementales minimales, il est difficile de contester l’idée que la PAC sous sa forme actuelle correspond à l’institutionnalisation d’un dumping généralisé où l’on subventionne des agriculteurs pour approvisionner l’agro-alimentaire avec une matière première en dessous des coûts de production.

Aussi l’histoire retiendra que le coup de grâce sera venu des Etats-Unis qui ont mis au jour les contradictions de la puissance européenne. Il s’agit de l’affaire des olives de table espagnoles, où, en juillet 2018, les Etats-Unis ont confirmé la mise en place de droits de douanes anti-dumping sur la base d’une analyse montrant que le prix d’entrée des olives sur leur territoire était inférieur aux coûts de revient, mettant ainsi en évidence l’effet des aides découplées européennes pourtant considérées comme respectant les règles de l’OMC. En pleine guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine, la position de l’UE s’en trouve singulièrement déstabilisée : la figure du bon élève de l’OMC est en train de laisser la place à celle d’un cynisme qui bloque tout remise en cause de règles trop à son avantage, au risque de contribuer un peu plus au désordre du multilatéralisme. Véritable colosse aux pieds d’argile, la puissance agricole de l’UE va devoir réinventer un projet politique acceptable pour avoir voix au chapitre dans la définition d’un nouvel ordre agricole international.

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