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Le Programme Opérationnel dans la nouvelle PAC : une évolution pour une meilleure valorisation de la production

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Au sein d’une nouvelle PAC qui n’est pour beaucoup que la reconduction de la précédente, une nouveauté intéressante fait son apparition : le Programme Opérationnel (PO). Les Etats-Membres peuvent ainsi réserver une enveloppe dédiée aux actions menées par les organisations de producteurs (OP), qui peut mobiliser jusqu’à 3% du budget des aides directes. Cette évolution inquiète : les filières dotées d’aides couplées craignent une ponction de leurs subventions en cas de recours à cet outil, et les producteurs une perte de revenu. Les PO ne sont en effet pas des aides à la production distribuées individuellement, mais une aide à un collectif en vue de planifier, d’organiser, et de mieux valoriser la production. Sans être un outil de gestion de marché, il peut intégrer un volet de prévention, et de gestion de crise.

Mais concrètement, comment fonctionne un PO ? Pour répondre à cette question, nous avons à nouveau[1] sollicité Karine Oswald-Poulet (Hexavalor), forte d’une expérience de 21 ans comme conseillère OCM (elle accompagne 28 OP fruits et légumes) et également membre de la Commission Nationale Technique (qui statue sur les reconnaissances des OP), de la Commission Nationale des Fonds Opérationnels ainsi que du « groupe OCM » de l’AREFLH (assemblée des régions européennes fruitières, légumières et horticoles), pour nous expliquer le fonctionnement de ces programmes opérationnels dans ce nouvel article ci-dessous.


 

Jusqu’à 2018, le Programme Opérationnel, PO pour les intimes, était peu connu. Avec les projets de réforme de la PAC qui circulent, le Programme Opérationnel est devenu récemment un objet règlementaire à la mode mais un peu mythique, qui suscite un mélange de curiosité, d’intérêt et de crainte. Concrètement, comment fonctionne un PO ? A quoi ça sert ? Et comment ça s’inscrit dans le projet de nouvelle PAC ?

A ce jour, plusieurs filières disposent d’une intervention sectorielle européenne baptisée Programme Opérationnel et figurant dans l’OCM Unique[2] mais le même mot recouvre des réalités différentes issues de l’époque où chaque filière avait sa propre Organisation Commune de Marché. Quand tout a été fusionné dans le règlement dit « OCM Unique », les termes sont restés mais cela prête à confusion.

Nous allons dans cet article parler de ce que pourraient être les Programmes Opérationnels dans la future PAC en nous appuyant sur le cadre de la filière fruits et légumes, qui existe depuis 25 ans et qui semble être celui dont s’inspirent les législateurs communautaires pour la réforme.

Le Programme Opérationnel est l’outil des Organisations de Producteurs reconnues au titre de l’OCM Unique. Le préambule à tout PO est donc d’abord d’avoir des OP reconnues (voir encadré 1).

Encadré 1 :  la reconnaissance des OP

Pour faire reconnaitre une OP, il faut faire partie d’une des filières agricoles listées dans l’article 1 du règlement dit « OCM Unique »[3] soit toutes les « grandes » productions et pas mal de « petites », ET il faut avoir des critères de reconnaissance fixés au niveau français.

A date, les OP reconnues au titre de l’OCM ne sont concrètement possibles qu’en fruits et légumes, banane (oui, c’est à part), tabac, PPAM[4] et un très grand nombre de filières d’élevage. Pour les autres, il faut déjà passer par la case « obtenir des critères de reconnaissance ». Une fois qu’il existe des critères, on peut faire reconnaitre des OP (à partir de personnes morales existantes ou nouvelles)[5].

 

Vient ensuite la question à se poser très rapidement dans chaque filière : PO or not PO ?

A noter : ce n’est pas parce que des PO sont possibles dans une filière que qui ce soit aurait obligation d’en faire. Déjà, c’est réservé aux OP reconnues, ensuite, chaque OP choisit si elle souhaite ou pas déposer un Programme Opérationnel. Enfin, le contenu de chaque PO est propre à chaque OP (dans le respect du cadre européen et national) : de même qu’il n’existe pas 2 OP identiques, il n’existe pas 2 programmes identiques.

Et il faudra surveiller les projets règlementaires et les discussions au niveau européen ET français car il est question que les Programmes Opérationnels soient réservés aux seules Organisations de Producteurs assurant la mise en marché des produits des membres.

De cette hypothèse résultent des enjeux importants, notamment sur la (délicate) question de l’apport total. Si le transfert de propriété n’est plus un sujet depuis le règlement dit « Omnibus », qui valide qu’une OP peut faire la mise en marché même sans transfert de propriété, la question des règles d’apport reste cruciale. Beaucoup d’agriculteurs souhaitent rester maîtres du choix de commercialisation de leur production et donc de ce qu’ils apporteraient ou pas à l’OP. Reste que sans visibilité sur ce qu’elle aura à mettre en marché en volume, qualité et calendrier, une OP est incapable de négocier correctement avec ses clients, encore plus de décider de la moindre stratégie commerciale[6]. Son efficacité est donc remise en cause et c’est le cercle vicieux.

En creux de l’accès aux Programmes Opérationnels, se pose donc clairement la question de ce que devrait être une OP de mise en marché. En fruits et légumes, où la mise en marché ET l’apport total sont obligatoires, on attend de l’OP qu’elle assure/ assume la commercialisation de tout kilo vendable en cherchant un ou des débouchés pour chaque qualité, y compris les moins recherchés sur des marchés aussi appropriés que possible (y compris l’industrie pour certaines espèces, qu’elle soit le marché principal ou un marché « secondaire »). Pas de miracle, certains volumes sont vendus sous le coût de revient, mais sur des produits périssables, l’alternative est souvent la poubelle (ou le retrait, piloté aussi par l’OP).

PAC, PO et aides directes

La maquette de la réforme, actuellement en discussion en Trilogue (Parlement européen/ Conseil des Ministères/ Commission Européenne), prévoit que chaque Etat Membre puisse, s’il le souhaite, utiliser 3% de son enveloppe nationale d’aides directes pour mettre en place des Programmes Opérationnels dans une ou plusieurs filières agricoles (hors celles qui ont déjà des PO et qui ont des budgets dédiés, ouf !).

Ce choix doit être inscrit dans le Plan Stratégique National de chaque pays, qui est en préparation. Se positionner pour ou contre des PO est donc urgent pour les filières.

Pour la France, 3% des aides directes fait environ 220 M€ par an, ce qui n’est guère si on veut pouvoir faire des PO chez tout le monde. A titre indicatif, le budget PO des fruits et légumes (je le rappelle : il est à part) tourne autour de 110-120 M€ par an (pour une VPC[7] sortie OP d’environ 3 milliards d’euros).

PO VS aides directes : les filières qui bénéficient d’aides directes spécifiques craignent de voir leurs aides couplées réduites si elles demandent à pouvoir bénéficier des PO. En effet, une filière qui a des aides directes et qui demande à pouvoir faire des PO risque d’avoir du mal à légitimer qu’il n’y ait pas de baisse sur ses aides directes (même si certains en rêveraient !)

Néanmoins, une filière qui a des aides directes et ne demande pas à pouvoir faire des PO n’a pour autant aucune garantie de garder toutes ses aides directes (déjà parce que le budget global est en baisse). Les filières qui n’ont pas ou peu d’aides directes peuvent demander à bénéficier de PO et certaines l’ont déjà fait savoir[8].

Pour autant, le PO n’a pas du tout les mêmes objectifs qu’une aide directe. Alors qu’une aide couplée soutient une production particulière, sans se préoccuper des débouchés et qu’une aide découplée ne se préoccupe pas de la production concernée, la base du Programme Opérationnel est d’accompagner la stratégie de chaque Organisation de Producteurs, son adaptation au marché, ou plutôt auX marchéS, l’évolution technique, les aspects environnementaux (qui incluront probablement du bien-être animal en élevage), … Un PO n’est EN AUCUN CAS une aide au revenu, c’est une aide pour essayer de pouvoir tirer le meilleur revenu possible de la production. Il s’agit d’un très gros changement de logiciel.

Parmi les inconvénients :

  • C’est nouveau, presque tout le monde va découvrir
  • C’est collectif (à l’échelle de chaque OP), chaque producteur ne fait pas ce qu’il veut
  • Ça nécessite un suivi administratif significatif
  • C’est contrôlé (toute OP avec un PO est contrôlée régulièrement)
  • Il n’y a pas de garantie sur le résultat/ le revenu des producteurs

Parmi les avantages :

  • C’est nouveau, on va pouvoir faire des choses inédites
  • Dans chaque OP, ce sont les producteurs membres qui donnent les orientations de l’OP et du PO (certains trouvent que c’est un inconvénient)
  • C’est collectif (à l’échelle de chaque OP), on peut mettre en commun différents moyens et actions impossibles à faire seul
  • C’est une boite à outils donc c’est adaptable : 1 OP = 1 stratégie = 1 PO
  • C’est un outil flexible, pertinent pour faire face à des marchés fluctuants

La gestion du PO

Pour revenir au fonctionnement des Programmes Opérationnels fruits et légumes, qui semble parti pour être « la base » (à voir jusqu’à quel stade), une fois le cadre européen et national validé, il s’agit d’un outil d’entreprise : seules les OP qui le souhaitent déposent un PO.

Le PO est pluriannuel (actuellement, 3 à 5 ans, il est envisagé de pouvoir aller jusqu’à 7 ans, ce qui est très –trop ?- long) car il y a forcément une notion de moyen, voire de long, terme dans une stratégie d’entreprise.

L’agrément par l’administration couvre sa durée complète.

Néanmoins, les marchés étant fluctuants, le Programme Opérationnel fait l’objet d’une certaine flexibilité : avec l’accord de l’organisme payeur (FranceAgriMer chez nous), il peut être modifié chaque année.

Le bénéficiaire légal d’un PO est l’OP.

Le responsable légal d’un PO est l’OP aussi.

L’OP peut financer dans son PO ses actions propres ou des actions qu’elle paye mais qui bénéficient directement aux producteurs (appui technique, analyses, aide pour des démarches qualité, …).

Par dérogation, le PO d’une OP peut prendre en charge certaines actions réalisées dans les exploitations SI ces actions sont indispensables à la réalisation des objectifs de l’OP ET si elles sont décidées collectivement.

Le PO est mis en œuvre par année civile : un PO démarre toujours un 1er janvier et il y a un Fond Opérationnel (= 1 budget et une demande d’aide) pour chaque année

Le Fond Opérationnel est co-financé : au maximum 50% par l’Union Européenne (FranceAgriMer n’est que l’organisme payeur), au minimum 50% par l’OP/ ses adhérents. Dans les fruits et légumes, l’aide publique est plafonnée à 4,1% de la VPC par an.

Quelles actions sont finançables avec un PO ?

Le Programme Opérationnel peut intervenir sur différentes thématiques :

  • La planification et l’optimisation des coûts de la production
  • La qualité, incluant la qualité des produits, les certifications, …
  • La mise en marché
  • La R&D (recherche et développement)
  • La prévention et gestion des crises (PGC)
  • Les démarches en faveur de l’environnement, incluant tous ses aspects : climat, énergie, engrais, protection des cultures, eau (qualité et disponibilité), …

L’environnement est un sujet obligatoire : pas de PO sans environnement. Actuellement, il faut qu’au moins 10% des dépenses présentées dans le PO soient validées comme environnementales. La maquette de la réforme affiche 20%, une proposition du Parlement, 15%. Quel que soit le résultat final, ce n’est pas tant le taux qui peut s’avérer problématique que les règles administratives permettant de valider qu’une action peut bien être considérée comme environnementale. C’est particulièrement compliqué pour les cultures qui sont en rotation avec d’autres « familles » de productions.

La prévention et gestion des crises est le dernier objectif ajouté aux Programmes Opérationnels. Il ouvre droit à une majoration du plafond d’aide : 4,6% de la VPC(6) au lieu de 4,1%. Tout est très encadré pour éviter les dérives mais plusieurs outils sont disponibles : l’assurance récolte (y compris en mono-risque), la non-récolte (qui semble transposable en « non-production » pour les laitiers, par exemple, des tarissements anticipés), la récolte en vert (transposition en élevage ??), le retrait par destruction et le retrait pour distribution gratuite.

Ce dernier a les faveurs de l’Union Européenne et c’est d’ailleurs la seule ligne à 100% d’aide, il n’y a aucun cofinancement professionnel.

 

Encadré 2 : Le retrait par distribution gratuite, une action du PO finançable à 100% : l’exemple de l’échalion

L’échalion est très majoritairement vendu à la Restauration Hors Domicile, de la cantine au restaurant. A l‘annonce du 1er confinement, ce légume a perdu la majorité de ses débouchés alors qu’il restait encore des volumes significatifs de ce produit stockable. Les OP qui produisent significativement de l’échalion ont remonté ce problème début avril 2020, en signalant que sans solution, elles devraient détruire des quantités importantes parfaitement consommables.
Grâce à la réactivité des services de l’Etat suite à la demande des OP portée via les structures collectives, l’échalion a rapidement été ajouté dans la liste des produits éligible au retrait pour distribution gratuite, puisque le 10 avril 2020 FranceAgriMer validait l’éligibilité et le montant de l’indemnité de retrait pour distribution gratuite.
Quelques jours plus tard, avec des procédures administratives accélérées ET dématérialisées, les premiers camions d’échalions partaient soit directement vers les plateformes des Restos du Coeur soit via SOLAAL vers l’ensemble des associations. Un mois après, c’était 140 tonnes qui étaient allées approvisionner les associations caritatives et au final, ce sont près de 400 tonnes qui, sans le Programme Opérationnel, seraient passées à la poubelle puisqu’il fallait libérer la place pour la nouvelle récolte (et que le produit ne se garde pas non plus des années) .

Un Programme Opérationnel (et chacun des Fonds) doit obligatoirement inclure 2 thématiques : a minima l’environnement et une autre. Par ailleurs, aucune thématique ne peut « consommer » plus de 2/3 d’un Fond Opérationnel (33% pour la prévention/ gestion des crises). C’est la notion « d’équilibre » du PO.

Selon les actions, on peut avoir des dépenses ponctuelles, notamment sur des investissements ou des dépenses plus pérennes, appui technique, analyses, démarches qualité, …

Le Programme Opérationnel est le seul outil qui peut financer un investissement de façon étalée en le lissant sur plusieurs années (ce qui permet d’inclure quelque chose de gros et ponctuel dans le plafond annuel) grâce à la prise en charge de l’amortissement OU de l’annuité de remboursement du capital d’un prêt dédié OU de l’annuité principale d’un crédit-bail.

 

Le PO est donc l’outil financier mis à disposition des OP pour les aider à planifier la production, à l’adapter aux marchés en volumes et qualités et, d’une façon générale à répondre autant que possibles aux demandes des marchés, dans l’objectif 1er de la rémunération des producteurs. Au contraire d’une aide directe, cet outil n’est pas ciblé sur la production ou le revenu mais sur la valorisation et l’adaptation.

Ce changement de logiciel, qui peut sembler complexe au premier abord, peut aider à fédérer les agriculteurs autour des enjeux de marchés et de commercialisation de la production, pour lesquels l’OP est alors la négociatrice. Le PO est un réel projet de l’entreprise qu’est l’OP, qui, une fois les lourdeurs administratives maitrisées, peut être un facilitateur pour s’adapter auX marchéS. Ce n’est pas un outil de gestion de marché MAIS c’est quand même un pare-feu car il peut inclure un volet minoritaire de prévention et gestion des crises. En résumé : ce n’est pas facile mais c’est très utile.

 

Karine OSWALD-POULET
Conseillère OP/ PO
SAS Hexavalor

Le 20 mai 2021

 

[1] Voir le premier article de Karine Oswald-Poulet sur les organisations de producteurs : https://www.agriculture-strategies.eu/2018/10/mais-quest-ce-cest-une-op-fruits-et-legumes/

[2] Règlement CE 1308/2013

[3] Règlement CE 1308/2013

[4] Plantes à Parfum Aromatiques et Médicinales

[5] Sur le sujet, voir également : https://www.linkedin.com/pulse/pour-une-fili%C3%A8re-avant-de-pouvoir-faire-des-po-il-oswald-poulet/

[6] Rappelons ici le 7ème considérant du règlement CE 2200/96 qui a créé les OP et les PO fruits et légumes (tel que ça existe encore aujourd’hui) : « Considérant que les organisations de producteurs représentent les éléments de base de l’organisation commune des marchés dont elles assurent, à leur niveau, le fonctionnement décentralisé; que, face à une demande sans cesse plus concentrée, le regroupement de l’offre au sein de ces organisations apparaît plus que jamais comme une nécessité économique pour renforcer la position des producteurs sur le marché; que ce regroupement doit se réaliser sur une base volontaire et utile grâce à l’ampleur et à l’efficacité des services que peut rendre une organisation de producteurs à ses associés »

[7] VPC = Valeur de Production Commercialisée = le chiffre d’affaires HT issu des produits membres ET pour lesquels l’OP est reconnue au stade « sortie OP/ départ vers le client » donc après, stockage, conditionnement

[8] https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/agriculture-avec-les-programmes-operationnels-la-future-pac-va-valoriser-le-travail-collectif-7155422

[9] Pour le détail de l’exemple de l’échalion, voir https://www.linkedin.com/pulse/covid-19-le-po-%C3%A0-la-rescousse-de-l%C3%A9chalion-karine-oswald-poulet/

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