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La Cour des comptes européenne évalue la proposition de la Commission sur la PAC post 2020 : Requiem pour une réforme avortée ?

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Les travaux de la Cour des Comptes Européenne (CCE) sont très souvent riches d’enseignements et les conclusions de leurs précédents rapports sur les paiements découplées et les paiements verts avaient été particulièrement critiques. Alors que la proposition de la Commission s’inscrit dans la continuité des précédentes réformes, il n’est pas surprenant que la CCE reprenne dans ce nouveau rapport sur la réforme en cours, les appréciations quant à l’efficacité limitée des aides aux revenus et du verdissement du 1er pilier. En revanche, elle identifie une objection – peut-être fatale – à la proposition de renationalisation de la PAC : au regard du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, c’est la Commission qui doit rester responsable de la bonne mise en œuvre du budget ce qui condamne les plans stratégiques confiés, selon la proposition de la Commission, aux Etats. En attendant la réponse de la Commission sur ce point, il est permis de penser que le « new delivery mechanism » au cœur de la proposition du Commissaire Hogan, soit ne verra jamais le jour, soit sera un habillage purement factice.     

La Cour des comptes européenne (CCE) est un acteur important des réformes communautaires. Très impliquée dans le suivi et l’évaluation des politiques communautaires, elle produit des éclairages d’autant plus attendus qu’ils arrivent bien souvent à point nommé pour alimenter le débat préalable aux arbitrages politiques. Dans le nouveau rapport qu’elle consacre aux propositions de la Commission sur la PAC post 20201, elle offre une lecture intéressante relevant essentiellement du registre de l’étude de la cohérence entre les objectifs politiques et les moyens affichés pour y parvenir.

Cette note s’organise en deux parties : la première rassemble les éléments de jugement que la CCE a réitéré dans ce nouveau rapport quant à l’inefficacité des aides découplées pour soutenir le revenu des agriculteurs et aux limites du verdissement pour accompagner les agriculteurs dans la transition environnementale. La seconde partie traite spécifiquement du « new delivery mechanism » ou nouveau modèle de mise en œuvre, par lequel la Commission voudrait renvoyer aux Etats membres la responsabilité de la mise en œuvre des aides directes via les plans stratégiques nationaux.

Ne pas courir deux lièvres à la fois 

Les rapports que la CCE avait consacré aux paiements de base et aux paiements verts (respectivement en décembre 2017 et mars 2018) mettaient déjà en évidence un principe bien connu en économie publique, à savoir le principe de Tinbergen qui veut qu’il faille autant d’instruments que d’objectifs car vouloir donner plusieurs objectifs à un même instrument est le meilleur moyen de le vouer à l’échec (pour une analyse détaillée2).

Ainsi, dans ce nouveau rapport, la Cour relève que si l’objectif est de transférer plus de responsabilités aux Etats membres, la proposition de la Commission limite largement les possibilités quant aux types d’instruments : « la plus grande part du [premier pilier] restera distribuée sous forme d’aides au revenu découplées, payées à l’hectare ». Or, pour elle, « cet instrument n’est ni pertinent pour résoudre la plupart des défis environnementaux et climatiques, ni le moyen le plus efficace de soutenir un revenu agricole viable ». De plus, la CCE renouvelle son appréciation quant à la détérioration de la qualité des statistiques relatives au revenu des agriculteurs et indique que dans ces conditions « il est difficile de percevoir comment les objectifs et les cibles spécifiques [au revenu des agriculteurs] pourraient être formulés et suivis »3.

Une absence de vision stratégique pour l’agriculture européenne

Sur le volet environnemental, la CCE considère que la proposition « ne reflète pas une augmentation claire de son ambition environnementale et climatique ». Elle est pour le moins réservée quand la Commission propose de comptabiliser 40% du paiement découplé de base comme relevant de la lutte contre le changement climatique. Elle ne semble pas non plus emballée par « l’eco-dispositif » qui « pourrait être moins ambitieux que les mesures agro-environnementales [du deuxième pilier] ». Surtout, sur les objectifs environnementaux et climatiques, elle s’interroge sur le fait que la Commission n’ait indiqué aucune cible à atteindre au niveau européen. Dans ces conditions, la CCE s’interroge : sur quels référentiels la Commission pourra-t-elle se baser pour juger des choix nationaux4 ?

Rappelant certaines données fortes de l’agriculture européenne, comme le vieillissement de la population agricole « pour 100 exploitants de plus de 55 ans, le nombre d’exploitants de moins de 35 ans est passé de 14 en 2010 à 11 en 2013 », la Cour s’interroge sur l’orientation que la Commission souhaite donner à l’agriculture européenne : « sa [la Commission] vision à long terme pour l’agriculture européenne (prenant en compte les tendances de long terme des changements technologiques, climatiques, sociétaux, démographiques, etc.) n’est pas visible ».

Une proposition contraire aux Traités ?

En outre, la CCE apporte dans ce rapport des éléments nouveaux sur ce qui est présenté comme la mesure phare de cette nouvelle réforme, le « new delivery model » ou nouveau modèle de mise en oeuvre, qui consiste à confier aux Etats-membres les enveloppes budgétaires à répartir. Mais surtout il vise à leur donner la responsabilité d’atteindre les objectifs co-définis avec la Commission moyennant, le cas échéant, versement d’un bonus de performance ou suspension de crédits selon que les objectifs soient ou non atteints.

Certes, la subsidiarité était déjà forte et les Etats pouvaient choisir entre différentes options dans la répartition des aides directes, mais c’est la Commission qui restait responsable de la conformité et pénalisait les irrégularités qui pouvaient se traduire par des refus d’apurement.

Avec le nouveau modèle de mise en œuvre, la Commission ne verserait plus les subventions aux bénéficiaires ultimes (en majorité les agriculteurs) mais aux Etats membres, et ce serait ces derniers qui seraient tenus responsables de la non-atteinte des objectifs. La CCE souligne deux limites importantes à cette nouvelle conception : les Etats-membres seront fortement incités à ne pas définir des indicateurs et des cibles relatifs à des impacts car trop dangereux pour eux, et la Commission ne pourrait plus s’appuyer ni sur les statistiques des agences de paiement ni sur les garanties apportées par les organes de certifications. Pour la CCE « la proposition [de réforme] est considérée comme ayant l’impact d’affaiblir la capacité de la Commission à rendre des comptes ».

Or, d’après la CCE, le Traité sur le fonctionnement de l’UE (TFUE) en ses articles 317-319 établit que c’est bel et bien la Commission qui est responsable de la mise en œuvre du budget. Et de conclure « nous ne considérons pas le modèle proposé comme étant un système de gestion de la performance valable (en anglais « effective ») ». On pourrait même ajouter que si la Commission persistait dans cette voie, elle aurait à mettre en place un système de suivi parallèle qui hypothèquerait l’objectif de simplification pourtant également affiché.

A ce stade, il n’y a pas eu de communiqué publié sur le site de la Commission. La principale réaction du Commissaire Hogan semble être l’interview qu’il a donné au site irlandais Agriland où il parle de mauvaise compréhension et de mauvaise interprétation de la part de la CCE mais n’apporte pas d’éléments de réponse sur le nouveau modèle de mise en œuvre5. Il faudra donc attendre la réponse de la DG Agri sur la compatibilité de cette proposition avec les traités européens, mais on peut tout de même accorder un certain crédit à la CCE sur les questions relatives à la supervision dans l’emploi des ressources budgétaires communautaires : c’est sa principale fonction.

 

Au final le rapport de la CCE nous conforte dans l’analyse que cette proposition de réforme est dénuée d’ambition politique où, sous couvert de simplification et de renationalisation, il s’agit surtout pour le Commissaire Hogan de trouver le plus petit commun dénominateur pour espérer ficeler une réforme avant la fin de la mandature au risque de la bâcler (voir notre analyse complète6).

La reconduction, en début d’année, des dérogations à la directive nitrates pour l’Irlande et les Pays-Bas – cette dernière étant suspectée d’une vaste fraude7 – avait déjà pu donner le pouls de la réelle ambition environnementale du Commissaire Hogan. La CCE le confirme donc, il s’agit de voir dans les propositions de réforme de la Commission une nouvelle opération de greenwashing des aides découplées car l’objectif est surtout de conserver l’orientation actuelle de la PAC, alors même qu’accompagner les agriculteurs dans la transition environnementale supposerait d’opter pour une PAC plus protectrice pour les agriculteurs et qui retrouverait sa capacité d’orientation des systèmes de production. De toute évidence, il reviendra au prochain Commissaire à l’agriculture de repartir sur d’autres bases pour mener à bien une véritable réforme en profondeur de la PAC.

 

Frédéric Courleux, Directeur des étude d’Agriculture Stratégies

 

https://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/OP18_07/OP18_07_EN.pdf

https://www.agriculture-strategies.eu/2018/03/la-cour-des-comptes-europeenne-juge-severement-lefficacite-des-aides-decouplees-et-du-verdissement/

3 Cf paragraphe 33

4 Cf paragraphe 40

5 https://www.agriland.ie/farming-news/hogan-rebuffs-eu-auditors-cap-reform-evaluation/

6 Voir notre analyse de la proposition de réforme https://www.agriculture-strategies.eu/2018/06/propositions-pac-2020-hogan-propose-le-plus-petit-denominateur-commun-enterrer-la-pac/

7 https://www.ouest-france.fr/economie/agriculture/fraude-massive-des-milliers-de-vaches-fantomes-aux-pays-bas-5551095

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