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Le rapport de la commission Schubert sur le CETA, un constat lucide sur des craintes avérées

Vous trouverez ci-dessous un article paru sur le site de Momagri le 02/10/2017



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Suite à un engagement de campagne d’Emmanuel Macron, une commission de 9 experts présidée par Mme Katheline SCHUBERT a été chargée le 5 Juillet 2017 « d’apporter un éclairage objectif, scientifique et quantitatif quant à l’impact du CETA sur l’environnement, le climat et la santé, dans le cas d’une mise en œuvre de l’intégralité des dispositions de l’accord ». Rédigé en un temps record pour être remis au gouvernement français le 8 septembre, ce rapport mérite d’être lu attentivement tant il propose une analyse fine des enjeux et des craintes identifiés par les diverses parties prenants ayant travaillé sur le sujet1.

Les trois premiers chapitres présentent les différentes interrogations légitimes autour du concept d’accord de libre-échange dit de « nouvelle génération » ainsi que les institutions créées à l’occasion dont notamment l’instance de règlement des différends investisseurs-Etats (ICS, Investment Court System) et le Forum de coopération réglementaire (FCR). En effet, cet accord se veut d’un genre nouveau car « intégrant non seulement une suppression des droits de douanes, mais surtout une réduction des barrières réglementaires aux échanges de biens et de services et un accord sur l’investissement ». Surtout cet accord serait « vivant [car] qui ne fige pas les engagements des Parties contractantes » mais permet au contraire une harmonisation progressive des normes.

Le quatrième et dernier chapitre propose une analyse des risques traitant des impacts sanitaires (section 1), des impacts environnementaux liés à l’agriculture (section 2), des enjeux du changement climatiques (section 3), des services (section 4). Il est donc souvent question d’agriculture.

Qu’en retenir ?

Se voulant peut-être rassurants, les rapporteurs de la commission indiquent que les 2300 pages de l’accord évoquent à de multiples reprises les principes qui doivent éviter tout nivellement par le bas des normes sanitaires, sociales et environnementales : « la capacité des Etats à réglementer dans le domaine de l’environnement et de la santé est préservée par principe » et les « Etats ne peuvent pas être tenus responsables des conséquences économiques préjudiciables qui pourraient découler d’une mesure d’intérêt général dont la légitimité est indiscutable ». A l’inverse, il est constaté que pour l’essentiel « le CETA n’impose pas d’engagement supplémentaire aux Parties contractantes » et que la charge de la preuve incombe à la Partie contractante à l’origine de la mesure [de protection de l’environnement ou de la santé ».

L’appréciation, au cas par cas, de l’instance de règlement des différends investisseurs-Etats pourra alors être cruciale pour distinguer entre ce qui relève de « l’instrumentalisation protectionniste des politiques environnementales et sanitaires d’une part, et le risque que les intérêts privés ne remettent en cause les régulations publiques existantes et ne bloquent leur renforcement d’autre part ». Au final, les rapporteurs soulignent que « l’accord CETA ne donne pas la priorité aux préoccupations liées à la protection de l’environnement et de la santé » et proposent d’adjoindre à l’accord un autre accord pour instaurer un « véto climatique » car le « grand absent de l’accord est le climat ». Certains tentant d’expliquer cet « oubli » par l’antériorité des négociations par rapport à l’accord de Paris, qui faut-il le rappeler a été réalisé lors de la COP21, c’est-à-dire la 21ème conférence des parties depuis le sommet de la Terre de Rio en 1992.

Verre à moitié vide ou à moitié plein

Comme souvent la lecture d’un rapport de ce type amène à des sentiments ambivalents. D’un côté, on peut penser que la pression politique des ONG et des organisations professionnelles agricoles comme Interbev très présente sur ce dossier nourrit une prise de conscience salutaire sur les limites du libre-échange. On perçoit en effet une prise de distance conséquente avec le discours encore dominant qui prône la « théorie du soutien mutuel » selon laquelle le développement du commerce international devait primer sur toute autre considération dans la mesure où l’on partait du principe que c’était « l’augmentation des revenus liés à l’essor du commerce international [qui] donnerait aux sociétés riches la possibilité d’exiger des normes environnementales plus strictes »2.

De l’autre, pour prendre l’exemple de la viande, on ne voit pas comment l’approche européenne en matière sanitaire pourra résister face à celle en cours au Canada ou ailleurs. En Europe la maîtrise sanitaire porte sur toutes les étapes de la chaîne alimentaire, là où la conception nord-américaine privilégie le traitement de décontamination à un stade donné de la production. La première étant nettement plus coûteuse pour l’ensemble de la filière, il sera facile au sein même de l’Europe d’arguer de ce différentiel pour faire reculer nos normes, car la principale concurrence réglementaire à craindre est celle qui sévit entre les États membres.

L’agriculture toujours une monnaie d’échange pour les autres secteurs ?

A regarder le seul chapitre des concessions en matière agricole, il apparaît clairement que l’Union Européenne est perdante. L’UE va accorder des quotas d’importation pour la viande bovine, pour la viande de porc. Pour les produits laitiers, des quotas sont à l’inverse octroyé par les Canadiens pour l’importation de fromages européens mais en contre-partie l’UE éliminera tous les droits de douane sur les produits laitiers dès l’entrée en vigueur de l’accord.

Considéré comme un sujet « offensif » par les Européens, nous ne sommes peut-être pas au bout de nos surprises quand le rapport indique dans sa dernière page que le Canada a décidé d’attribuer 50% des licences d’importations de fromages à des producteurs locaux ce qui « risque d’entraîner une sous-utilisation du contingent obtenu par l’Union européenne » et que les « autorités canadiennes ont annoncé la hausse des quotas de production de lait alloués de 5% au 1er juillet ». L’avenir dira si les Européens n’ont pas été présomptueux quand on sait que via les quotas et surtout la commercialisation collective des producteurs (les fameux plans conjoints), les producteurs laitiers canadiens disposent, eux, des moyens de se baser sur la bonne rémunération des produits frais vendus localement pour être agressif sur les produits industriels, notamment à l’export.

Et pour conclure, face à ces concessions en matières agricoles, qu’est-ce que nos négociateurs de la DG Trade ont obtenu ? Des facilités d’investissement et un accès aux marchés publics canadiens nous dit-on … alors que l’on sait que le Canada est plutôt un pays favorable aux investissements directs à l’étranger et qu’il suffisait déjà sûrement d’ouvrir (ou de racheter) une filiale de droit canadien pour concourir aux marchés publics. L’agriculture européenne est donc peut-être surtout une monnaie d’échange pour permettre à la DG Trade de poursuivre dans cette fuite en avant dans le bilatéralisme qui lui permet d’occuper l’espace et de ne pas avoir à dresser le constat lucide de l’échec actuel du multilatéralisme sur les bases de 1995. De la sorte, l’Europe continue sa marginalisation d’un concert des Nations en pleine recomposition, au risque de nourrir encore davantage les facteurs susceptibles de la conduire à sa propre implosion.

1 http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2017/09/rapport_de_la_commission_devaluation_du_ceta_-_08.09.2017.pdf

2 Voir les travaux de Maxime Combes à ce sujet https://france.attac.org/IMG/pdf/impacts_du_ceta.pdf

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