PAC & Europe

Politique Agricole Commune : l’Europe doit abandonner le découplage des aides

Alors que s’ouvre le débat sur la PAC pour l’après 2020, un devoir d’inventaire s’impose sur le principe cardinal des réformes depuis 25 ans, à savoir le découplage des subventions au revenu agricole.

Rappelons-le, ce principe vise à déconnecter les montants des subventions perçues par les agriculteurs de toute référence à ce qu’ils produisent et au prix auquel ils vendent. L’objectif annoncé était de limiter les distorsions pour laisser les marchés se rééquilibrer. Plus de deux décennies après, les effets pervers des aides découplées ne sont plus à prouver (effet inflationniste sur les facteurs de production, capture par l’aval) et les marchés sont plus que jamais instables laissant les aides découplées injustifiables en période de vaches grasses et insuffisantes au retour des vaches maigres.

La récente tentative de verdir une partie de ces aides a tourné au greenwashing tant le fait de verser des aides indépendamment de la production annihile toute capacité à conduire le secteur agricole vers plus de durabilité. Au final, et pour reprendre les mots du Président Macron, les aides découplées sont devenues un véritable tabou dont il devient impossible d’expliquer pourquoi on les verse. Mais surtout, dans ces conditions, comment défendre politiquement les budgets nécessaires pour des aides qui restent, par ailleurs, indispensables à la survie économique de la plupart des agriculteurs ?

Ingrédient de la défiance croissante des campagnes vis-à-vis du projet européen, l’échec de la PAC dans son objectif premier de stabilisation est une chose, la fragilisation du positionnement de l’Europe dans le concert des Nations en est une autre. En continuant à s’arc-bouter sur le principe de découplage, l’Europe se situe à contre-courant des politiques agricoles des autres grands pays producteurs qui ont abandonné ce type d’aides au profit notamment d’aides contracycliques qui permettent d’amortir les à-coups de la volatilité des prix sur les revenus. De ce fait, la PAC créé un déficit de compétitivité pour l’agriculture européenne par rapport aux autres économies agricoles.

Enfin, drapée dans une fausse vertu l’Europe se targue de respecter la discipline de l’OMC en matière agricole en ayant découplé ses aides, mais elle est totalement isolée dans cette voie, car toute règle illégitime ne peut être respectée ! Pour preuve, comment un pays en développement, qui n’a ni les moyens administratifs ni financiers pour utiliser des aides directes pourraient se satisfaire de règles qui proscrivent en outre les politiques stabilisatrices de stockage ? Il faut donc une bonne dose de cynisme aux négociateurs européens à l’OMC pour continuer de défendre l’idée que les aides découplées qu’elles versent à ses agriculteurs sont sans effet alors qu’elles correspondent à environ 50% de leurs revenus.

Synonyme d’inefficacité pour sa principale politique intégrée et facteur de blocage pour penser sa place dans un monde plus que jamais multipolaire, le principe de découplage est l’une des raisons de la crise de la construction européenne. Il faut le dépasser, et c’est en s’inspirant des autres politiques agricoles que nous trouverons la voie d’une réforme ambitieuse d’une PAC s’inscrivant dans une coopération internationale renouvelée dont la Chine et l’Inde sont aujourd’hui les précurseurs.

 

Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies
Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies

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