La Cour des comptes européenne vient de publier deux rapports1 qui ne manqueront pas de nourrir les débats sur la prochaine PAC. Les aides découplées issues de la réforme de 2013 – les paiements de base et les paiements verts – ont été passées au crible, et les auditeurs ne mâchent pas leurs mots.
Que faut-il en retenir ?
Pour les droits à paiement de base, les auditeurs estiment que « le système fonctionne, mais qu’il a eu un impact limité sur la simplification, le ciblage et la convergence des niveaux d’aide ». On relèvera en particulier que la France et l’Angleterre sont retenus comme les deux pays ayant connu les difficultés de mise en œuvre les plus préjudiciables : « En France, en mai 2017, l’organisme payeur n’avait toujours pas fini de calculer la valeur définitive des DPB pour 2015 ni formellement affecté ces derniers aux agriculteurs » et en Angleterre « un nouveau système informatique de traitement des demandes n’a pas été aussi performant que prévu et l’organisme payeur a dû revenir aux demandes au format papier ».
En outre, les auditeurs estiment que le recours à la définition « d’agriculteur actif » pour opérer un meilleur ciblage des bénéficiaires a permis à plusieurs pays comme l’Espagne et l’Italie d’obtenir de bons résultats via la mobilisation de données administratives. Inversement, ils relèvent que si la convergence du niveau des aides était un objectif à part entière, celle-ci a pu conduire à accroitre les montants d’aides de certains agriculteurs sans que cela paraisse justifiable.
Mais surtout la Cour des comptes insiste sur la contradiction majeure inhérente aux aides découplées : ce sont des aides au revenu dont le versement « ne tient pas compte des caractéristiques particulières de l’exploitation telles que le coût de production, les recettes générées, la rentabilité de l’exploitation ou la nécessité de soutien au revenu de la part de l’UE ».
Aussi les auditeurs estiment ne pas pouvoir « évaluer tous les effets de la réforme de la PAC de 2013 sur les revenus des agriculteurs et la viabilité de leurs exploitations » car « l’objectif du TFUE qui consiste à garantir un niveau de vie équitable aux agriculteurs […] n’(a)pas été clairement défini ni traduit en valeurs cibles mesurables, et il n’existe pas de points de référence à l’aune desquels mesurer l’efficacité et l’efficience du soutien concernant les revenus des agriculteurs ».
« Peu probable que le verdissement […] induise des effets bénéfiques considérables pour l’environnement et le climat »
L’examen du verdissement du premier pilier, qui a consisté en la création de paiement verts d’un montant fixe d’environ 80€ par hectare, conditionnés au respect de 3 critères (maintien des prairies, diversité des assolements et mise en place de surfaces d’intérêt écologique) débouche également sur des conclusions plus que mitigées.
Sans y faire directement référence, la Cour des comptes met clairement en évidence un principe de base de politiques économiques selon lequel vouloir donner deux objectifs à un instrument est le meilleur moyen de le rendre inefficace2. Pour les auditeurs, le verdissement suit deux objectifs : « améliorer les performances environnementales et climatiques » et « soutenir le revenu des agriculteurs », même si « seul le premier de ces deux objectifs est expressément formulé dans la législation ».
Recroisant plusieurs études et estimations, la Cour évalue qu’entre 2% et 4.5% des surfaces agricoles ont changé d’affectation du fait des critères de verdissement. Elle cite également deux études basées sur des travaux de modélisation qui chiffrent respectivement à +1% et -1% l’effet du verdissement sur le revenu des agriculteurs à l’échelle de l’Europe. De plus, le ratio des prairies permanentes a légèrement augmenté pour passer de 28.6% à 30.1% de la surface agricole déclarée pour recevoir des aides. Cette hausse résulterait toutefois de la baisse de la surface déclarée et d’une définition plus large des prairies permanentes que par le passé : la surface réelle des prairies permanentes a continué de baisser pour passer de 47 Mha à 44 Mha entre la période de référence 2007-2014 et l’année 2016.
Les auditeurs relèvent que « le budget dévolu au verdissement ne repose pas sur une estimation de la valeur économique des effets bénéfiques escomptés pour l’environnement et le climat » tout en reconnaissant que « traduire en montants monétaires les effets bénéfiques pour l’environnement comporte des difficultés considérables » et ce d’autant plus qu’aucun objectif quantifié n’avait été établi.
Au final, on retiendra que la concurrence entre les deux objectifs ne pouvait pas conduire à un niveau élevé d’exigence en matière environnementale. Si la Cour avance que l’ambition initiale portée par la Commission était plus forte, le fait est que les choix des Etats ont souvent été dirigés dans l’optique « d’alléger la charge pesant sur les agriculteurs » plutôt que « pour maximiser les effets bénéfiques pour l’environnement et le climat ». Aussi, la Cour reconnait le quasi-doublon entre le paiement vert et les règles préexistantes dites de la conditionnalité environnementale : « le verdissement s’apparente aux normes BCAE [Bonnes Conditions Agricoles et Environnementales] dans la mesure où il repose essentiellement sur un ensemble de conditions environnementales de base applicables à l’aide au revenu. Il s’en distingue par les sanctions potentielles plus lourdes attachées à son non-respect ».
Stop ou encore ?
Ce bilan dépeint le verdissement introduit en 2013 non comme une véritable politique agro-environnementale mais comme une tentative de « greenwashing » d’aides au revenu distribuées à l’aveugle, dans une logique de consommation budgétaire annuelle. L’argument du verdissement du 1er pilier a sûrement été très utile pour limiter la baisse du budget de la PAC dans les débats budgétaires entre 2011 et 2013, période inédite de prix agricoles élevés. Mais tout comme il ne vaut mieux pas courir deux lièvres à la fois, donner à un même instrument deux objectifs – le soutien au revenu et la protection des ressources – tout aussi importants l’un que l’autre est gage d’inefficacité. Espérons que l’on retienne ces leçons de la Cour des comptes pour améliorer la PAC en recherchant l’efficacité de la dépense publique et une vraie plus-value communautaire en cherchant véritablement à atteindre ces objectifs par les outils appropriés, toute autre évolution ne pourra alors être vue comme un habillage du statu quo.
Au final, l’analyse des auditeurs de la Cour des comptes européenne conforte Agriculture Stratégies dans son analyse : on ne saura faire l’économie d’un renforcement des outils permettant aux agriculteurs d’être rémunérer équitablement pour leurs productions car sans une plus grande sécurisation de leur activité principale ils ne pourront être en mesure de prendre les risques liés au changement vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Autrement dit, si la PAC ne se redonne pas les moyens d’assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs, elle sera condamnée à l’échec en matière de protection des ressources naturelles. Des propositions en ce sens seront prochainement présentées par Agriculture Stratégies.
Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies
Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies
1 https://www.eca.europa.eu/fr/Pages/DocItem.aspx?did=44179 et https://www.eca.europa.eu/fr/Pages/DocItem.aspx?did=45158
2 Cf règle de cohérence de Tinbergen qui veut le nombre d’instruments doit être égal au nombre d’objectifs visés.