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Le Green Deal européen est une opportunité majeure pour l’agriculture européenne. En plaçant les défis climatiques et environnementaux au centre de son action, la nouvelle Commission propose un nouveau logiciel à la construction européenne. L’important capital politique mobilisé sur le Green Deal devra se traduire par des évolutions substantielles et des résultats tangibles s’agissant de la Politique Agricole Commune (PAC), de la politique commerciale européenne et de la position de l’Union européenne dans un multilatéralisme en crise. A défaut, la perpétuation de l’impuissance politique risque d’être fatale à l’Europe politique.
Le Green Deal européen porte en lui la promesse d’une meilleure mise en cohérence de politiques communautaires gérées aujourd’hui sans véritable cap commun. La référence au New Deal de Roosevelt est synonyme d’une réhabilitation de l’intervention publique pour améliorer le fonctionnement des marchés défaillants et orienter l’économie européenne dans un nouveau modèle de croissance. Enfin, le Green Deal se situe dans une vision internationaliste en cherchant à tirer vers le haut nos partenaires commerciaux en matière de standards de production, via la promotion d’un mécanisme de compensation carbone aux frontières.
L’agriculture étant une compétence communautaire mais surtout la base de notre subsistance quotidienne et le mode d’occupation de 40% du territoire européen, nul ne sera surpris de constater que la liste des différentes stratégies qui auront à décliner le Green Deal laisse une place importante aux questions agricoles et alimentaires. Engager l’agriculture européenne dans les transitions nécessaires à l’atteinte des objectifs du Green Deal représente un défi important pour la PAC et une chance pour l’agriculture européenne.
En effet, la PAC a été réduite à la distribution d’enveloppes budgétaires, sans capacité d’orientation des modes de production. Et, l’agriculture européenne se trouve ainsi piégée par une trajectoire de réformes de la PAC qui, à vouloir suivre trop à la lettre les règles agricoles de l’OMC, a surestimé les capacités auto-régulatrices de marchés laissés à eux-mêmes. A l’inverse des grands pays producteurs qui renforcent leurs politiques agricoles depuis la crise alimentaire de 2007/08, l’agriculture européenne se retrouve entre le marteau de standards de production les plus élevés au monde et l’enclume de la course à la compétitivité sur des marchés internationaux de dumping.
La dynamique du Green Deal est ainsi de nature à redonner à l’UE une capacité de proposition dans un multilatéralisme en crise. Rappelons que le cycle de Doha est bloqué depuis 2008 quand l’Inde et la plupart des pays en développement ont dénoncé une discipline qui rend illicite les politiques de stockage. A l’heure où le changement climatique fait craindre la multiplication d’évènements extrêmes, il serait opportun de réhabiliter les coopérations internationales autour des stocks publics. Pour l’UE, il est nécessaire de sortir d’une ambiguïté majeure : d’un côté, elle se veut le chantre du multilatéralisme mais, de l’autre, elle défend le statu quo de règles incompatibles avec la sécurité alimentaire mondiale.
L’une des propositions phare du Green Deal européen est la mise en place d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières pour certains secteurs. Si l’Union européenne utilise massivement l’accès à son marché intérieur comme contrepartie afin de tirer vers le haut les standards de production chez nos partenaires commerciaux, cela constituera un tournant majeur pour le commerce international.
La lutte contre le dumping pourra ainsi être au cœur d’un multilatéralisme renouvelé. Cela s’appliquera très directement à l’agriculture et à l’alimentation tant les règles actuelles de l’OMC et notamment les aides découplées constituent une forme d’institutionnalisation d’un dumping généralisé. Il est d’autant plus nécessaire de sortir de cette logique que la réussite de la transition environnementale dépendra en premier lieu de notre capacité à redonner toute leur valeur aux ressources naturelles et aux produits agricoles qui en sont issus.
Sortir les marchés internationaux de produits agricoles du dumping constitue également l’opportunité de limiter l’exposition de l’économie mondial à des chocs de prix et de disposer d’un nouveau levier face aux risques de la déflation. De surcroit, redonner aux prix agricoles leur niveau d’équilibre rendrait solvables les 500 millions de familles paysannes, avec à la clé des perspectives de développement colossales en particulier en Afrique où les prévisions démographiques imposent de tenir compte des causes profondes des phénomènes migratoires.
Dès lors, un examen critique des aides découplées, considérées comme le Graal lors de la création de l’OMC, est nécessaire. Leur neutralité sur la production et les échanges est plus que discutable comme l’a montrée la mise en place en 2018 de mesures anti-dumping par les Américains sur les importations d’olives de table espagnoles. Pour l’UE, il est temps de tourner la page du découplage des soutiens à l’agriculture qui représente la principale raison de l’inefficacité de la PAC face aux crises de marché, mais aussi dans l’accompagnement vers la transition environnementale.
Pour renforcer sa crédibilité dans les enceintes internationales, l’UE devra donner des gages par des mesures de court terme en ajustant ses politiques dans le sens qu’elle souhaitera donner au multilatéralisme vert dans le sillon de l’Accord de Paris. Les principaux signaux attendus sont de deux ordres. En premier lieu, il s’agira de montrer que l’UE cesse de considérer que ses décisions politiques n’ont pas d’effet sur les marchés internationaux comme cela a été le cas avec la fin des quotas laitiers et sucriers mais aussi avec l’écoulement absurde des derniers stocks européens de céréales les quatre années précédant la crise alimentaire de 2007/08.
La volonté de rééquilibrer progressivement les productions de céréales et d’oléo-protéagineux sur le sol européen, au profit des secondes, s’intègrera dans cette logique. L’amorce d’un dialogue entre grands pays producteurs de biocarburants pour flexibiliser et coordonner les politiques nationales de développement de cette énergie renouvelable constituerait une voie complémentaire. De la sorte, on utiliserait ce débouché pour stabiliser les marchés internationaux tout en sécurisant la nouvelle stratégie européenne en matière d’économie circulaire et de bioéconomie annoncée dans le Green Deal européen.
En second lieu, il s’agira pour l’UE de montrer qu’elle est prête à se donner les moyens d’œuvrer à la transition environnementale de l’agriculture européenne. La réduction des émissions de méthane et de protoxyde d’azote devra s’opérer dans le souci d’arbitrages complexes avec d’autres objectifs environnementaux mais aussi en tenant compte de la sécurité alimentaire et de l’économie des filières.
Afin de faciliter l’acceptabilité de telles évolutions auprès des agriculteurs, la question de la rupture avec la trajectoire actuelle de la PAC se pose en ces termes : le démantèlement des outils d’orientation et de régulation de la PAC ainsi que l’érosion progressive des transferts budgétaires sont des évolutions contradictoires avec l’objectif de transition environnementale de l’agriculture. Sans capacité à maintenir suffisamment de valeur ajoutée dans les fermes et sans soutiens spécifiques conséquents, les agriculteurs sont dans l’incapacité de prendre les risques du changement de pratiques plus vertueuses pour l’environnement.
Ainsi, il convient d’établir un nouveau contrat politique entre la société et ses agriculteurs sur la base d’une réhabilitation de l’intervention publique en agriculture. Intégrer pleinement la logique du Green Deal dans la PAC amène à considérer que l’on ne peut pas poursuivre à la fois les trois objectifs politiques du paradigme dominant actuellement, à savoir assurer la durabilité environnementale, déréguler les marchés et baisser les ressources budgétaires.
Compte tenu du capital politique que mobilise la nouvelle Commission dans le Green Deal, il n’est pas envisageable que le projet de réforme de la PAC lancé par le précédent Commissaire suive son cours comme si de rien n’était. Et ce, d’autant plus si le budget dédié à la PAC stagne voire régresse. Les propositions de réforme de juin 2018 ont été analysées à juste titre comme une volonté de statu quo où le recours accru à la subsidiarité était surtout le moyen de faire passer au plus vite une réforme avant la fin du mandat. Ce dévoiement du principe de subsidiarité porte en lui le risque de pousser un peu plus loin la PAC dans une renationalisation synonyme de fragmentation politique au sein de l’UE. En dépit des améliorations significatives qu’il avait apportées à la copie de la Commission, le Parlement ne s’y est pas trompé et n’a pas donné son feu vert pour le lancement des négociations en trilogue avant les élections européennes.
Aussi se dessine une ligne de crête pour conduire une véritable réforme de la PAC qui porterait pleinement l’ambition du Green Deal. Les « interventions sectorielles » pour inciter les producteurs à mieux s’organiser doivent être mises en œuvre au plus vite. Il en est de même du nouveau cadre de prévention et de gestion des crises établi par le Parlement européen afin que la Commission puisse assurer pleinement son rôle de régulateur sectoriel tel que défini dans les directives de régulation financière.
Si la révision du règlement OCM nous parait atteignable à court terme, ce n’est pas le cas du règlement « Plans stratégiques nationaux » qui traite pour l’essentiel des aides directes. L’éco-dispositif n’est qu’une variante des paiements verts dont l’inefficacité en matière environnementale tient principalement au fait que l’on en resterait à des aides à l’hectare découplées et annuelles, soit des instruments intrinsèquement inférieurs aux mesures agro-environnementales et climatiques du second pilier. Par conséquent, même si le Parlement a encore la possibilité d’améliorer la copie des « Plans stratégiques nationaux », la probabilité n’est pas mince que la révision de ce règlement soit bloquée et que l’on renvoie à la Commission la responsabilité d’une nouvelle proposition à la hauteur de l’ambition du Green Deal. Mieux vaut en effet prendre le temps d’une réelle réorientation de la PAC plutôt que de bâcler une réforme mal engagée qui hypothèquerait le succès du Green Deal en matière d’agriculture et d’alimentation.
Par ailleurs, au regard des succès de la Politique Commune des Pêches dans la reconstitution des ressources halieutiques en Atlantique, il serait opportun de réhabiliter les quotas de production, notamment pour des productions animales, car ce type d’instruments dispose du meilleur potentiel pour gérer à la fois les ressources naturelles mais également l’équilibre des marchés. Face aux tendances à la baisse de consommation de produits animaux, l’acceptabilité du Green Deal dans les campagnes suppose une meilleure régulation des revenus. Pour les productions végétales, la flexibilisation des politiques de biocarburants et des aides contracycliques – c’est-à-dire qui varient en fonction des prix – constituent les leviers d’un pilotage des marchés et de stabilisation des revenus bien plus efficaces que des aides découplées versées chaque année dans une logique de consommation budgétaire.
Le Green Deal est indéniablement l’occasion de lancer une nouvelle trajectoire de réformes de la PAC qui redonnera à l’UE sa souveraineté en matière alimentaire, agricole et environnementale. Après la PAC des origines et celle issue de la réforme de 1992, cette troisième PAC pourrait s’organiser autour de 4 piliers.
- Le premier serait dévolu à l’organisation économique des producteurs et devrait notamment permettre aux organisations de producteurs et associations d’organisations de producteurs d’être en capacité d’ajuster leur offre pour ne pas déstabiliser leurs marchés. Cette responsabilisation des producteurs face aux marchés peut pour autant ne pas s’avérer suffisante et nécessite un pilotage des marchés par le niveau communautaire, seul garant de l’intégrité du marché unique.
- Dans le deuxième pilier se situeraient les mesures de gestion de crise à l’instar de l’aide à la réduction volontaire de la production laitière expérimentée avec succès en 2016 mais aussi la possibilité d’utiliser les biocarburants comme un stabilisateur des marchés grâce à une priorisation des usages alimentaires sur les usages non alimentaires. Pour les produits soumis aux aléas des prix internationaux, des aides contracycliques pourront permettre une stabilisation des revenus dans une optique d’efficience dans l’emploi des fonds publics et de plus-value communautaire en association avec les mesures de pilotage de marché.
- Le troisième pilier serait celui de la transition environnementale et énergétique en recourant à des approches contractuelles qui sont bien plus efficaces que les démarches fondées sur le verdissement basées sur le verdissement d’aides découplées. Pour les agricultures des zones à handicaps naturels notamment, disposer d’aides couplées à la production nous semble nécessaire car les services rendus dans ces territoires dépendent directement de la production. De plus, il est important que le niveau communautaire reste le garant de la politique environnementale car, à défaut, renvoyer cette responsabilité aux Etats-membres se traduira par un nivellement par le bas.
- Le quatrième nouveau pilier doit permettre d’assurer le renouvellement des générations et de soutenir l’investissement. La pyramide des âges des agriculteurs est plus que préoccupante et la décennie à venir sera décisive car sans assez d’hommes et de femmes dans l’agriculture, la valeur ajoutée et les capacités de transition des systèmes s’étioleront. Outre l’aide à l’installation, une meilleure articulation entre la PAC et les politiques foncières des Etats membres – dont certaines sont à remettre à niveau – est indispensable car l’accès au foncier est le passage obligé pour assurer le renouvellement des générations et c’est lors de l’installation que les investissements offrent le plus grand levier possible pour orienter les exploitations vers la durabilité qu’elle soit environnementale, économique ou sociale.
Cette nouvelle PAC s’inscrirait dans les limites des perspectives financières pluriannuelles, maintenues à un niveau équivalent à celles dévolues à la période 2014-2020 et respecterait pleinement les traités et le règlement financier en vigueur.
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