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L’OMC est morte, vive le multilatéralisme agricole !

Ce 11 décembre 2019 restera comme une date importante pour le multilatéralisme commercial : l’organe d’appel au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a cessé de fonctionner suite au blocage du renouvellement de ses membres par les Etats-Unis. Vingt-cinq ans après sa création, vingt ans après le sommet de Seattle, l’OMC est dans une situation plus que délicate.

Parmi les raisons de cette déconvenue pour les libre-échangistes figurent l’agriculture et la sécurité alimentaire qui n’auront pu se plier à la seule logique de l’ouverture commerciale promue via la GATT aux autres secteurs depuis l’après-guerre. Pour paraphraser le titre d’un des ouvrages de l’économiste Jacques Berthelot, l’agriculture aura été le talon d’Achille de la mondialisation néolibérale. Faute d’avoir pris la mesure de l’instabilité structurelle des marchés agricoles, le logiciel construit lors du cycle de l’Uruguay se sera fracassé sur la crise alimentaire de 2007/08 rappelant que la sécurité alimentaire est à la base de la stabilité de tous les régimes politiques.

Doit-on en rester là ? Non, certainement pas et Agriculture Stratégies s’est emparée du sujet en publiant notamment la note « Pour une réforme du multilatéralisme : un défi pour les institutions européennes et une solution pour la PAC » en février 2019.

Pour dépasser cet échec un constat lucide s’impose afin de ne pas tomber dans les travers habituels et éviter que de mauvaises fées viennent se pencher sur les tentatives de renouveau du multilatéralisme. C’est pour cela que nous nous inscrivons en faux vis-à-vis de l’article « L’agriculture peut-elle l’OMC de la mort cérébrale ? »  récemment signé par Stefan Tangermann, économiste agricole très influent dans les années 1990 et ancien directeur de la division Commerce et Agriculture à l’OCDE. Certes, il appelle à un nouveau départ dans la prise en considération des sujets agricoles à l’OMC, avec la perspective de la prochaine ministérielle de l’OMC au Kazakhstan en juin 2020. Mais, ses propositions n’offrent aucune nouveauté et perpétuent des injonctions que de nombreux pays ont abandonné en renforçant leurs politiques agricoles : pour lui, « ce que nous avons besoin ce n’est pas d’une révolution en matière de commerce agricole, mais plutôt de progresser dans la réduction des subventions et l’accès aux marchés ». Bis repetita placent.

Sur les seuls aspects économiques, aucune mention n’est faite de la sécurité alimentaire, du coût de l’instabilité des marchés agricoles, du dumping institutionnalisé des prix agricoles ou encore de la monopolisation croissante des secteurs de l’agro-fourniture, de l’agro-alimentaire et de la distribution. Le changement climatique est juste évoqué pour parler des difficultés que rencontrent les gouvernements … qui seront remis dans la bonne voie via une réforme du commerce, c’est-à-dire pour lui grâce à davantage d’ouverture commerciale ! Quand va-t-on prendre la mesure des limites agronomiques à la spécialisation productive des régions agricoles ? La « division internationale du travail » appliquée à l’agriculture et aux ressources naturelles est nocive pour notre planète. Et les théories du commerce international sont caduques avec deux facteurs de production fixes : c’est le cas de l’agriculture avec les terres agricoles et la main d’œuvre agricole.

Dans le même article, Stefan Tangermann indique que le cycle de Doha était en bonne de voie d’être conclu en 2008, mais il ne fait pas mention de la flambée des prix agricoles intervenue à la mi-2007 et des épisodes de crises alimentaires qu’elle a engendrés ! De fait, l’absence de réaction depuis plus d’une décennie face à la resensibilisation majeure aux questions alimentaires que l’on a observé depuis tend à considérer que l’OMC est déjà en état de mort cérébrale. L’agriculture est multidimensionnelle, la seule approche par le commerce est trop restrictive. C’est l’ensemble des organisations internationales qui doivent être impliquées dans l’aggiornamento du multilatéralisme en matière d’agriculture et de sécurité alimentaire.

Car il faut parfois savoir repartir d’une page blanche : l’OMC est morte, vive le multilatéralisme agricole !

 

Frédéric Courleux, Directeur des études d’Agriculture Stratégies

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