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Relance : une politique américaine toujours plus favorable aux agriculteurs

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Le troisième Plan de relance américain (American Rescue Plan Act) de 1 900 milliards de dollars (1 595 milliards d’euros) a été voté le 10 mars 2021, avec, à la clé, une estimation de 27,7 milliards de dollars supplémentaires pour le secteur agricole et alimentaire. Pour mémoire, le budget exceptionnel («Next Generation Eu ») qui a été voté en Europe est lui de 750 milliards d’euros, dont 7,5 milliards pour le développement rural. Dans la course à la relance post-Covid, les Etats-Unis continuent à prendre de l’avance…

 

Ce plan de relance de 2021 est la 3ème vague de perfusion à l’économie américaine. Après 2 000 milliards décidés en mars 2020, puis 900 milliards fin décembre, cette nouvelle annonce a de quoi faire pâlir le FMI et la Banque Mondiale : les Etats-Unis ont déjà injecté ou prévu d’injecter environ 5 000 milliards de dollars dans l’économie et la relance de la consommation américaine. Au-delà du budget, la relance passe également par l’efficacité de sa mise en œuvre : l’Europe est à nouveau à la traîne. Il nous aura fallu plus de 8 mois pour trouver un accord sur le montant du budget à retenir, la ventilation du budget européen dans des mesures concrètes au sein des Etats Membres reste encore floue, et l’essentiel du budget sera engagé en 2022[1]. Alors qu’outre-Atlantique, ce dernier budget voté par le Congrès le 10 mars (soit moins de deux mois après l’investiture de Joe Biden) est clairement réparti dans les différents programmes et commence déjà à être engagé moins d’un mois plus tard, tandis que les ménages reçoivent leurs nouveaux chèques.

L’aide alimentaire reste une priorité américaine

Parmi les priorités gouvernementales figure notamment la lutte contre l’insécurité alimentaire, qui vient s’ajouter aux chèques faits aux ménages en difficulté à cause de la crise. Le principal programme d’aide alimentaire (Supplemental Nutrition Assistance Program ou SNAP) est boosté depuis avril 2020, via une augmentation des prestations de 15%[2] et un élargissement de la cible, ce qui a permis de fournir une aide moyenne de 125$/mois pour près de 40 millions d’Américains en 2020. Cette augmentation, qui devait s’arrêter initialement en décembre 2020 a été renouvelée une première fois par Donal Trump le 28 décembre 2020 jusqu’en juin 2021, et a été rallongée jusqu’en septembre 2021 grâce à ce plan de relance.

Le budget accordé à l’aide alimentaire aux Etats-Unis, déjà 150 fois plus important qu’en Europe en moyenne, continue d’être largement alimenté. Alors que l’Europe dépense environ 650 millions d’euros par an pour l’aide alimentaire, le budget des différents programmes américains, qui était de 92,6 milliards en 2019 (dont 63,5 milliards pour le seul SNAP) est passé à plus de 114 milliards pour l’année fiscale (qui s’arrête en septembre) 2020 (dont 85,6 milliards pour le SNAP, soit 35% d’augmentation)[3]. L’aide alimentaire américaine a donc bénéficié d’un soutien exceptionnel de plus de 20 milliards supplémentaires sur l’année fiscale 2020, que l’on peut s’attendre à voir renouvelé en 2021 à des niveaux similaires.

En Europe, l’aide alimentaire, un soutien pourtant de plus en plus nécessaire, patine toujours. Pour la période 2014-2020, le budget qui lui est consacré au travers du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) représente un budget de 3,8 milliards d’euros pour sept ans et pour l’ensemble de l’Union européenne, complété par un cofinancement national minimal de 15% (soit 650 millions par an). En réponse à la crise, il sera complété par des fonds issus du plan de relance européen, via le sous-programme REACT-EU, doté de 47,5 milliards d’euros. La part de ces fonds qui sera mobilisée pour doper l’aide alimentaire sera décidée par chaque Etat-Membre au sein de l’enveloppe accordée, sans minimum de cofinancement. L’Europe, pour qui la politique agricole est déjà de moins en moins commune, voit également se confirmer de nouveaux facteurs d’inégalités sociales dans la gestion de la crise. A titre d’exemple, la France a mobilisé 132 millions sur les 3,9 milliards accordées par l’enveloppe nationale REACT-EU pour renforcer l’aide alimentaire, soit 3% de ce budget.

Au-delà de l’aide alimentaire, le secteur agricole largement soutenu durant la pandémie

 

La relance de l’économie par la demande promue par les Etats-Unis bénéficie également au secteur agricole[4]. Le syndicat majoritaire américain, le Farm Bureau, estime que 27,7 milliards issus de l’American Rescue Act bénéficieront au secteur agricole et alimentaire. Parmi les programmes spécifiquement dédiés à l’agriculture, on peut notamment citer celui prévu pour le rachat de produits agricoles à destination de l’aide alimentaire (Farmers to families food box program) à hauteur de 3,6 milliards, et l’aide spécifiquement dirigée aux agriculteurs « socialement désavantagés » pour leur permettre de diminuer leur endettement[5], qui mobilise une enveloppe de 4 milliards.

A ces 27,7 milliards s’ajoutent 12 milliards dédiés aux agriculteurs dans le cadre du Pandemic Assistance for Producers, un programme mobilisant des fonds issus des derniers arbitrages du mandat Trump (donc hors plan de relance 2021). Ces fonds permettront notamment d’abonder à nouveau le programme d’aides directes exceptionnelles versées aux producteurs appelés CFAP (Coronavirus Food Assistance Program), à hauteur d’environ 5,6 milliards. Les bénéficiaires de ces programmes initialement ouverts en 2020 verront leur aide exceptionnelle augmentée d’un bonus en 2021, et le programme a également été réouvert en avril pour permettre à de nouveaux bénéficiaires d’y prétendre.

Cette nouvelle vague d’aides directes à l’agriculture montre à nouveau la capacité extraordinaire des Etats-Unis à venir en aide au secteur agricole de façon ciblée, puisque déjà en 2020 plus de 50 milliards ont été engagés sous forme d’aides directes à l’agriculture, multipliant par 5 le budget habituel. En effet, le Farm Bill distribue d’ordinaire entre 8 et 12 milliards d’aides directes, auxquelles se sont ajoutées les aides exceptionnelles en 2018, 2019, 2020 et 2021 pour atteindre plus de 46 milliards d’aides directes effectivement distribuées en 2020 au regard des chiffres provisoires de l’USDA (figure 1).

Figure 1 : Evolution de la distribution des soutiens directs et du revenu agricole aux Etats-Unis – Source USDA, traitement Agriculture Stratégies

Les farmers ont donc bénéficié à la fois des aides exceptionnelles (regroupées dans le Market facilitation Program pour les volets 2018 et 2019, et dans le Supplemental and ad hoc disaster assistance pour les volets 2020 et 2021) et des aides contracycliques classiques (Agriculture Risk Coverage et Price Loss Coverage), leur assurant ainsi un revenu 2020 très largement supérieur à la moyenne 2015-2019 (+30%).  Les estimations de l’USDA pour 2021 prévoient un revenu légèrement inférieur à celui de 2020, mais le nouveau plan Biden et les compléments probables pourraient maintenir le « net cash income » à des niveaux très élevés. Dans ces conditions, ces aides exceptionnelles font plus que compenser les effets de la pandémie pour les producteurs.

Le Farm Bill 2019-2023, d’un montant initial de 428 milliards de dollars (dont 76% dédiés à l’aide alimentaire) a vu son action largement renforcée par les plans de relance successifs mis en œuvre aux Etats-Unis. Une fois de plus, le mépris des Etats-Unis pour les règles de l’OMC se fait criant. Comment ne pas qualifier de mesures de dumping ces aides exceptionnelles qui s’additionnent année après année, dans un contexte de variabilité des prix accrue et où la sécheresse a largement pénalisé les rendements en Europe ?

Les producteurs européens se retrouvent dans une situation défavorable liée à l’augmentation des coûts de production induite par des exigences environnementales accrues par l’avènement du Green Deal, et doivent supporter la concurrence déloyale de produits américains qui bénéficient d’un renforcement conséquent des subventions. Pour leur permettre de rester compétitifs dans ces conditions et d’espérer vendre leur production à des prix rémunérateurs, l’Europe devra nécessairement faire des choix politiques forts.

Alors que la révision de la PAC et de la politique commerciale anticipent sur une hypothétique résurrection de l’OMC pour défendre les préférences environnementales européennes et pénaliser les importations de produits qui ne respectent pas ses normes, la prise en compte des conséquences sociales devra également se traduire par de nouvelles mesures. La mise en place de clauses « miroirs » pour imposer des normes similaires aux produits importés impliquerait une augmentation des prix alimentaires. Si elle était adoptée, elle devrait s’accompagner d’une politique alimentaire renforcée, afin de permettre aux plus démunis d’avoir les moyens de payer cette alimentation plus vertueuse, mais aussi plus chère. Le commissaire européen à l’agriculture l’assure, l’Europe « saura être compétitive face à ses concurrents ». Encore faudra-t-il lui en donner les moyens.

 

Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies

Le 30 avril 2021

[1] https://ec.europa.eu/info/sites/info/files/about_the_european_commission/eu_budget/eafrd_-_ngeu.pdf

[2] Par rapport à leur valeur de juin 2020 https://fns-prod.azureedge.net/sites/default/files/media/file/signed%20SNAP-AmericanRescuePlanAct2021.pdf#page=2

[3] https://fiscal.treasury.gov/files/reports-statements/mts/mts0920.pdf

[4] https://theconversation.com/snap-benefits-cost-a-total-of-85-6b-in-the-2020-fiscal-year-amid-heightened-us-poverty-and-unemployment-148077

[5]Cette aide, qualifiée de raciste, est très critiquée car elle se dirige vers les agriculteurs issus des minorités qui n’auraient pas bénéficié des mêmes conditions d’investissement que les agriculteurs « blancs ».

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