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Les prix bas des matières premières agricoles, facteur d’instabilité politique en Afrique

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Les émeutes de la faim observées lors de la crise alimentaire de 2008 tout comme le printemps arabe en 2010 ont resensibilisé l’opinion vis-à-vis de l’impact des hausses de prix des produits alimentaires sur la stabilité politique. Si des prix trop élevés déstabilisent la sécurité alimentaire des populations urbaines, des prix agricoles trop bas mettent également sous tension des régions entières. C’est ce que met en évidence, l’économiste Mathieu Couttenier dans ces travaux sur les déterminants du déclenchement des guerres civiles en Afrique subsaharienne sur la période 1960-2005. Alors que ce dernier a figuré parmi les trois nominés de l’édition 2019 du Prix du meilleur jeune économiste décerné par Le Monde et le cercle des jeunes économistes, il paraît important de porter à connaissance les apports de ses travaux académiques.

Dans ses premiers travaux, Mathieu Couttenier s’est intéressé aux conséquences du changement climatique et en particulier aux épisodes de sécheresse comme facteur déclencheur des guerres civiles en Afrique sub-saharienne. Après avoir regardé l’effet des températures et des précipitations sur l’occurrence de décès imputables à des conflits, il a cherché à tester le pouvoir explicatif d’un indicateur synthétique – l’indice de Palmer (PDSI) – qui permet de représenter plus finement les épisodes de sécheresse que les simples données de températures et de pluviométrie en y intégrant des données sur l’évapotranspiration ou les caractéristiques intrinsèques du sol à retenir l’eau. Il montre ainsi que « la relation entre sécheresse et guerre civile en Afrique subsaharienne est statistiquement faible », selon ces premiers travaux, « 9% des guerres civiles contenues dans l’échantillon peuvent être imputées selon le PDSI à la sécheresse ».

Volatilité des prix agricoles et conséquences politiques

Si l’effet de la sécheresse sur le déclenchement des guerres civiles est généralement surestimé, d’autres facteurs sont à prendre en compte. Dans son article de 2015, External shocks, internal shots : the geography of civil conflicts, Mathieu Couttenier et son co-auteur Nicolas Barman ont cherché à prendre en compte plus directement le revenu des agriculteurs en calculant, pour chaque zone étudiée, la demande extérieure pour les produits agricoles issue de la zone. Le chercheur propose ainsi une approche inédite en découpant le territoire africain en cellule de 2500 km2 et en identifiant la spécialisation agricole de chaque zone à partir de la base de données GAEZ développée par la FAO. De plus, outre les « chocs sur les matières premières agricoles », il intègre également dans son modèle explicatif des « chocs financiers ». Enfin, il prend en compte la distance au port comme approximation du niveau d’intégration économique de la zone.

Les résultats montrent que « les chocs de revenus sont généralement corrélés, négativement et significativement, avec la fréquence, l’intensité et la survenue de conflits au sein des zones ». Dit autrement, les baisses des revenus liées aux activités agricoles augmentent les risques de guerre. Mathieu Couttenier va même plus loin et avance une explication relevant du comportement individuel : pour lui, la baisse des revenus agricoles joue directement sur le coût d’opportunité des agents à s’enrôler dans des rebellions, il écarte ainsi l’hypothèse que ce serait la mise en incapacité de l’Etat qui serait en cause. De plus, il arrive à la conclusion que la survenue de conflit serait plus importante dans les zones les plus intégrées aux échanges internationaux, bien que la corrélation soit plus forte avec les « chocs de matières premières agricoles » qu’avec les « chocs financiers ».

Au-delà des produits agricoles, Mathieu Couttenier s’est également intéressé à l’effet des prix des minerais dans une publication plus récente de 2017. Cette fois-ci l’effet significatif est quand les prix augmentent, il démontre en effet qu’un « doublement des prix des minerais sur la période 1997-2010 explique un accroissement de 25 % de la violence armée dans les régions concernées ».

En définitive, les différents travaux développés par Mathieu Couttenier montrent que la volatilité des prix des matières premières pose problème à la stabilité politique des (fragiles) Etats africains. Les évènements de la fin des années 2000 ont rappelé que les populations urbaines étaient sensibles aux flambées de prix alimentaires. Avec le reflux généralisé des marchés depuis la fin du « super-cycle » des matières premières ce sont maintenant les campagnes qui sont sous pression. Les conséquences d’une déflation généralisée sur la stabilité politique des campagnes ne devraient pas être mésestimées car les tensions politiques qu’elle occasionne affectent le potentiel de développement agricole de ces zones et nourrissent l’exode rural.

 

Willy Olsommer, Etudiant à AgroSup Dijon

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