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Pause Ecophyto : loin d’une régression environnementale, une révision nécessaire

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[article modifié le 22 février 2024]

Cet article s’inscrit dans l’analyse des réponses gouvernementales à la crise agricole, et porte spécifiquement sur l’enjeu le plus clivant des propositions : la mise en pause du plan Ecophyto. Perçue comme un aveu de faiblesse gouvernementale et un recul sur les enjeux environnementaux, cette annonce cause énormément d’inquiétudes pour la société civile et les ONG, qui s’inquiètent d’un possible retour en arrière vis-à-vis de de la protection de l’environnement. Pourtant, les annonces de l’exécutif sont claires : il s’agit d’une pause jusqu’au Salon de l’agriculture, le temps de mettre en place un nouvel indicateur. Dans cet article, nous expliquons pourquoi il était en effet plus que temps d’utiliser un outil de mesure plus approprié pour évaluer l’utilisation des pesticides en France et d’envisager de nouvelles politiques de soutien à la transition agroécologique.

Ecophyto, issu de l’application à la Française d’une directive européenne

Une demande majeure des agriculteurs portait sur un besoin d’harmonisation des conditions de production à l’intérieur de l’Union Européenne. En réponse, le gouvernement a promis que la France cesserait désormais de prendre de l’avance sur l’Union Européenne en matière d’interdiction de molécules, a promis de faire appel sur des chartes concernant des zones de non-traitement aux abords des habitations, et a annoncé une pause du plan Ecophyto le temps d’en rediscuter les indicateurs, jusqu’au Salon de l’agriculture.

Pour comprendre les enjeux de ce plan, plusieurs rappels s’imposent. Le plan Ecophyto est lié à l’adoption du « paquet pesticides » européen de 2009, qui intègre la volonté d’une approche commune au niveau européen afin de limiter les effets nocifs des pesticides, promouvoir la gestion intégrée des parasites et le remplacement progressif des pesticides les plus dangereux par des alternatives à faible risque. Il s’agit d’un cadre global mais flexible pour tous États membres de l’UE, que le règlement SUR (règlement sur l’utilisation durable de produits phytopharmaceutiques) visait à harmoniser autour de nouveaux objectifs.

La directive de 2009 n’a imposé aucun moyen quantifiable d’évaluer les progrès et aucun objectif obligatoire. Au lieu de cela, chaque État membre de l’UE a proposé des objectifs, cibles, mesures et indicateurs mesurables au sein d’un plan d’action national, supposés permettre de vérifier son efficacité. Aucune mesure, indicateur ou processus de planification commun n’a été validé.

Le plan Ecophyto est l’application française de cette directive de 2009, et la France a choisi de miser sur une réduction quantitative des pesticides, sans tenir compte ni du risque des produits utilisés, ni des modalités d’application des pesticides (matériel utilisé, zones de non-traitement). Le plan Écophyto fixe un objectif quantitatif de réduction de 50% de l’usage des pesticides, assorti de deux réserves : le « si possible » et la nécessité « de maintenir le revenu des exploitations agricoles ainsi qu’une production agricole élevée, adaptée aux demandes du marché ».

Encadré : les évolutions d’Ecophyto dans le temps

2007 : Grenelle de l’environnement
2008 : Ecophyto 1 : objectif quantitatif de réduction de 50% de l’usage des pesticides à horizon 2018
2015 : Ecophyto 2 : les objectifs sont repoussés : 25% de réduction d’ici 2020, 50% d’ici 2025
2018 : Ecophyto 2+, maintient les objectifs précédents et intègre un plan de sortie du glyphosate

Ecophyto est complété par le retrait de certaines autorisations de substances dangereuses, à l’échelon européen, et par des mesures réglementaires françaises relatives aux autorisations de mise sur le marché des produits, et sur leurs conditions d’usage. Par exemple, il peut s’agir de délai de rentrée sur la parcelle, ou d’horaires à respecter pour ne pas traiter lorsque les pollinisateurs sont actifs. La réglementation européenne a réduit le nombre de substances actives approuvées de 24% entre 2008 et 2021, et la réglementation nationale française de 46%, d’après un rapport interministériel[1].

Des indicateurs mal choisis pour des objectifs mal calibrés

Douze ans après le premier plan, la France n’a pas atteint son objectif chiffré. Faut-il pour autant considérer qu’aucun progrès n’a été accompli ? Ou que les outils de mesure étaient inadaptés ?

Soyons clairs, il était plus que temps de réaliser ce travail de révision du plan : les objectifs Ecophyto sont mal calibrés pour ne pas dire inatteignables. Même les groupes Dephy, ces groupes d’agriculteurs volontaires, à la pointe, qui cherchent à réduire l’usage des produits phytosanitaires grâce à un accompagnement poussé (1/2 ingénieur par groupe de 10 à 12 fermes) ne parviennent pas à atteindre ces objectifs : ils obtiennent bien des réductions, de l’ordre de 14% dans la filière grandes cultures polyculture-élevage, 17% en viticulture, mais on est loin du compte.

Et pour cause : les indicateurs sont mal choisis. On se base sur les quantités de substances vendues et le NODU (nombre de dose unités). Mais :

  • les NODU traduisent une utilisation par rapport à une dose homologuée. Celles-ci ayant tendance à baisser avec l’évolution de la législation, pour une pratique équivalente les NODU augmentent mécaniquement avec le temps. Par exemple pour le glyphosate, en 2020 la dose annuelle maximale autorisée est passée de 2880 à 1080 g /an et /ha, soit une réduction de 60 % par rapport à la dose maximale précédente.
    Apprécier l’évolution du NODU est donc complexe, puisque « chaque année, le NoDU est calculé avec les doses unités de l’année et les NoDU des années précédentes sont recalculés avec ces doses unités pour éviter que les changements réglementaires affectent les tendances observées […] et l’utilisation des maxima des doses homologuées augmente la sensibilité du calcul aux évolutions réglementaires, ainsi qu’aux erreurs potentiellement présentes dans les bases de données«  [3]
  • les produits les plus dangereux étant retirés progressivement, les produits restants sont moins efficaces et nécessitent une augmentation des doses et/ou des passages.

Le rapport évoqué plus haut l’indique clairement : « le plan Écophyto a donné pour les usages agricoles des résultats peu ou mal mesurés par ces deux indicateurs, mais qui réduisent les risques. Il en est ainsi de la suppression des molécules les plus dangereuses, de la création de zones de non-traitement à proximité des lieux abritant des populations vulnérables, du soutien au développement de l’agriculture biologique, et de la substitution de certaines molécules par des produits de biocontrôle. »

Ainsi, les indicateurs Ecophyto ne permettent pas de mettre en avant la baisse sensible de l’utilisation substances les plus nocives pour la santé (CMR), ou la nette augmentation des substances utilisées en bio et/ou biocontrôle, dont les quantités ont été multipliées par 2 en 10 ans, tandis qu’on constate une diminution moyenne de 10 % entre 2009 et 2020 des autres substances. Les progrès existent donc, mais restent très peu connus du grand public.

Figure 1 : Evolution de la part des substances actives classées CMR dans le total des ventes, source Commissariat général au développement durable[2]

Figure 2 : Evolution des ventes de pesticides classée selon leur catégorie, source Commissariat général au développement durable

 

Il est donc impératif de revoir les objectifs fixés et les outils de mesure. La France ne serait ainsi pas la première à modifier son plan : elle suivrait l’exemple du Danemark, qui a modifié sa façon d’évaluer l’utilisation des pesticides sur son territoire en 2013. Constatant que les indicateurs qui portent sur les quantités achetées et/ou épandues peuvent évoluer de façon opposée aux indicateurs de risque et de toxicité pour les les milieux, le Danemark a abandonné l’utilisation de l’indice de fréquence de traitement (IFT), basé sur les quantités utilisées, et mobilise maintenant un indicateur de risques associés à l’utilisation des pesticides (« Pesticide load ») basé sur « trois sous-indicateurs sur la santé humaine, l’écotoxicologie et le devenir environnemental ».

Quelle forme prendra le nouvel indicateur ?

Plusieurs pistes sont sur la table, qui pourront intégrer une combinaison des indicateurs existants en France en différenciant l’utilisation des substances les plus nocives et des autres, ou la France pourrait simplement se référer à un indicateur de risque harmonisé qui existe déjà au niveau européen. Le HRI1 (Harmonized risk indicator) correspond à la somme des quantités de substances actives vendues pondérée par des coefficients liés à leur niveau de dangerosité [4]. La France collecte et fourni chaque année les données nécessaires au calcul de cet indicateur pour la Commission Européenne, et observe une tendance baissière de cet indicateur depuis 2014.

Figure 3 : Evolution de l’indicateur de risque harmonisé au niveau européen pour la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’UE, source Commission Européenne, traitement Agriculture Stratégies

La réduction de l’utilisation des phytos est conditionnée par de multiples enjeux

Mais la révision du plan Ecophyto ne doit pas se limiter à celle de ses objectifs et indicateurs. Elle doit intégrer que l’utilisation des pesticides est liée à un contexte économique, règlementaire, qui peut notamment souffrir d’injonctions contradictoires.

Le rapport en donne un bon exemple, lié au prix du gasoil non routier : « Autre élément, le prix du gazole non routier, élément important du désherbage mécanique, connaît de fortes variations : il est passé de 0,88€/l en 2014 à 0,66 en 2016, pour revenir à 0,93 en 2019 : cette augmentation de près de 50% ces trois dernières années a pu motiver certains agriculteurs à opter pour le sans labour, et à répandre ainsi davantage d’herbicides et, c’est un effet favorable, à réduire leurs émissions de carbone ». Les techniques de réduction voire de suppression du labour ont en effet des effets favorables pour l’environnement, qui permettent de limiter l’érosion, de favoriser l’activité microbienne dans les sols, et visent à améliorer leur fertilité et leur capacité de stockage de carbone et d’eau. Mais le labour permet de lutter contre les mauvaises herbes ou de détruire des couverts une fois passées les périodes automnales où le sol doit être couvert. Aujourd’hui, le moyen le plus efficace de le remplacer reste le glyphosate, et si des alternatives existent, elles sont particulièrement complexes à mettre en œuvre, nécessitent un haut degré de technicité, et impliquent une prise de risque pour l’exploitant.

Ainsi, en cherchant à protéger le climat et à mettre en œuvre des systèmes plus résilients, qui présentent de nombreux intérêts environnementaux, certaines pratiques peuvent nécessiter un usage différent des pesticides et un recours parfois accru aux herbicides. De même, le passage vers des systèmes à couvert permanent nécessite les premières années des apports d’azote conséquents, qui vont dans un premier temps augmenter la dépendance aux intrants extérieurs et être pénalisés par les restrictions liées à la directive nitrate.

Passer d’un système simplifié, sécurisé, et rentable économiquement basé sur le labour, les engrais et pesticides de synthèse à des systèmes qui combinent couverture permanente des sols, associations culturales et moindre recours aux intrants de synthèse prend du temps : on parle de 15 ans de transition, d’expérimentations sur la ferme, de formations. Pour parvenir à cet idéal agronomique qui repose sur une autonomie accrue et des interactions biologiques, il faut arriver à acquérir de nouvelles compétences techniques et à les adapter à chaque ferme. En effet, à la différence des solutions chimiques mobilisées en agriculture dite conventionnelle, où à chaque menace sanitaire répond une molécule efficace quasiment dans toute les situations, l’efficacité des régulations biologiques est plus aléatoire. Une solution qui a parfaitement marché une année donnée peut tout à fait avoir des résultats nettement plus décevants l’année suivante, selon la météo, les conditions de semis qui vont avoir un impact sur l’état de santé de la plante lors de l’arrivée des ravageurs, la capacité du sol à minéraliser des engrais organiques, etc. Il s’agit d’une prise de risque conséquente qui ne repose que sur l’agriculteur, puisqu’en cas d’échec, c’est son rendement et donc son revenu qui est directement impacté.

Ce risque, c’est aussi celui que va prendre un conseiller qui préconise de ne pas traiter. S’il s’est trompé, l’agriculteur s’en rendra compte et la confiance (et l’envie de faire autrement) seront rompues, alors qu’un conseiller qui préconise de traiter ne pourra pas être pris en défaut.

Il est donc indispensable d’envisager au sein de ce nouveau plan Ecophyto une nouvelle forme de soutien public, qui s’apparenterait à une forme d’assurance à la prise de risque. Couplée à un accompagnement technique, il pourrait alors s’agir de proposer une indemnisation en cas d’échec de la mise en œuvre d’une pratique agroécologique qui aurait un impact réel sur la marge brute, constaté via la comparaison avec une parcelle témoin. Cette « assurance » pourra permettre d’oser des choix techniques, de remettre en question la nécessité de certains traitements, sans mettre en péril la viabilité économique de l’exploitation, et de motiver davantage d’agriculteurs à essayer de nouvelles pratiques.

 

Enfin, l’enjeu se situe également en aval des exploitations, avec notamment la question des débouchés des cultures de diversification, nécessaires dans le cadre de la transition agroécologique, qui n’ont pas le même intérêt économique que les cultures de vente classique. Ces cultures aux rendements plus faibles, plus aléatoires, impliquent des coûts de collecte plus élevés, ainsi que des coûts liés au tri, au stockage et au conditionnement pour des volumes restreints qui limitent les possibilités de bénéficier d’économie d’échelle liées à la massification. Le développement des filières de ces cultures bas-intrants nécessite un accompagnement spécifique.

 

Conclusion

Il ne s’agit donc pas d’un retour en arrière sur les normes établies, et les molécules interdites ne seront pas à nouveau autorisées. Il s’agit simplement d’intégrer le fait que la suppression des molécules les plus à risque pour l’environnement et la santé du consommateur conduit les agriculteurs à utiliser des produits moins agressifs, mais également moins efficaces, qui nécessitent davantage de passages et des quantités épandues plus importantes, à l’image des substances utilisées en agriculture biologique ou pour le biocontrôle.

La réussite de ce nouveau plan Ecophyto à venir passera par une large adoption de pratiques qui représentent un risque pour les agriculteurs, et par de développement de filières pour des cultures qui sont soumise à davantage de variabilité des rendements, et moins intéressantes économiquement. Il faudra donc créer les conditions pour que le risque ne repose plus sur les seuls agriculteurs, et qu’ils puissent disposer de débouchés rémunérateurs pour de nouvelles cultures, moins gourmandes en intrants, et créer également les conditions d’un marché équitable face aux cultures importées.

Enfin, cette transition nécessitera un accompagnement technique, qui suppose également d’avoir suffisamment de conseillers formés, alors que l’application de la séparation vente/conseil a montré un déficit d’offre en matière d’accompagnement à la réduction de l’utilisation des pesticides de synthèse.

 

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies
Le 13 février 2024

[1] https://agriculture.gouv.fr/evaluation-des-actions-financieres-du-programme-ecophyto

[2] https://www.notre-environnement.gouv.fr/actualites/breves/article/ventes-de-pesticides-en-agriculture-quelles-evolutions-sur-les-10-dernieres

[3] https://theconversation.com/plan-ecophyto-tout-comprendre-aux-annonces-du-gouvernement-223571

[4] https://agriculture.gouv.fr/les-indicateurs-de-risque-harmonises-etablis-au-niveau-europeen

 

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