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Rapport OCDE-FAO sur les perspectives agricoles 2016-2025 : la fin du discours sur « les 9 milliards de bouches à nourrir » ?

Vous trouverez ci-dessous un article paru sur le site de Momagri le 11/07/2016


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« La période des prix agricoles élevés touche probablement à sa fin mais la vigilance reste de mise » tel est le message que l’OCDE et la FAO ont mis en avant lors de la publication début juillet du rapport annuel, « Perspectives agricoles 2016-2025 », consacré à l’évolution des marchés agricoles. Pour les deux institutions, les prix des produits agricoles de base devraient rester « relativement stables » au cours de la décennie à venir : « Les principaux facteurs qui expliquent cette tendance sont la forte croissance de l’offre plusieurs années durant, le fléchissement de la progression de la demande dû à la crise économique globale, la baisse des prix du pétrole et la poursuite de l’accumulation des stocks déjà abondants »1.

Que retenir de ce nouveau rapport ?

En premier lieu, il apparaît que l’OCDE et la FAO n’ont toujours pas réellement fait évoluer leur référentiel analytique. Alors qu’il montre chaque année son incapacité à représenter la dynamique des prix agricoles et donc à prévoir quoique ce soit, la place centrale du modèle d’équilibre général AGLINK n’est toujours pas remise en cause. Plus encore, le rapport se fait fort cette année de prévoir des prix stables, alors que ce type de modèle, basé sur l’hypothèse de l’équilibre des marchés, ne peut que prévoir des évolutions de prix stables ! Et pour cause : aucune des principales sources d’instabilité des marchés agricoles ne sont représentées dans ce type de modèle : les anticipations sont rationnelles (les producteurs connaissent le prix de leur récolte au moment du semis), tout s’ajuste immédiatement (il n’y a pas de coûts fixes) et le niveau des stocks ne jouent pas dans la formation des prix ! Le graphique ci-dessous représente la plupart des prévisions de prix du blé établies par l’OCDE depuis 1999. C’est ainsi qu’il apparaît que les prévisions faites chaque année par l’OCDE sont quasiment linéaires sur dix ans alors que la réalité de l’évolution des prix (courbe noire) est chaotique. La seule confrontation des prévisions passées et des prix réellement observés devrait amener à davantage de retenue dans la promotion des résultats d’un modèle aux hypothèses trop éloignées de la réalité de marchés agricoles structurellement volatils. Tout ceci explique pourquoi l’OCDE persiste à annoncer, année après année, des prix stables. Que l’organisation du Château de la Muette continue d’utiliser ce type de modélisation et de porter des résultats aussi peu robustes qui font pourtant référence dans la plupart des instances internationales et y compris à la Commission européenne est une incongruité Institutionnelle qu’il faudra bien un jour traiter.

Rappelons à ce sujet que Momagri a développé un modèle de simulation visant explicitement à représenter les principales sources d’instabilité comme les aléas climatiques, les délais entre la mise en production et la récolte, différentes formes de stockage et même une représentation de la financiarisation des marchés agricoles2. Ce modèle fournit depuis plusieurs années des simulations beaucoup plus proches de la réalité et est une base autrement sérieuse pour représenter la volatilité structurelle des marchés agricoles.


Source : données OCDE. Mise en forme Momagri à partir de J. Ramanantsoa

Le second enseignement de ce rapport est qu’il marque une rupture importante avec le discours largement répandu qui consiste à considérer que la perspective des 9 milliards de bouches à nourrir à l’horizon 2050 est le facteur majeur d’évolution des marchés agricoles pour les années à venir. Les implications directes de ce considérant sont que les prix seront tirés vers le haut par une demande croissante, que la production n’arrivera pas à satisfaire faute de terres disponibles notamment. De surcroit, professant une demande insatiable, le discours « des 9 milliards de bouches à nourrir en 2050 » s’accompagne bien souvent de propositions radicales visant à la suppression des principales mesures de politiques agricoles, que ce soient celles qui tentent de maitriser l’offre agricole ou celles qui sont nécessaires pour protéger les agriculteurs contre les prix bas.

Bien entendu, on ne peut que se satisfaire d’un tel revirement : le potentiel de production est important, pour preuve les études identifiant de nombreuses terres cultivables non cultivées3 ou celles basées sur de simples comparaisons de rendements des cultures. Il n’en reste pas moins que l’aggiornamento sur les recommandations en termes de politiques agricoles reste, lui, à faire !

On s’attendrait toutefois à une analyse rétrospective sur les raisons de la révision. La version 2013 du même rapport statuait en effet ainsi : « Les Perspectives agricoles de l’OCDE et de la FAO 2013-2022 prévoient que les prix des produits végétaux et des produits animaux resteront supérieurs aux moyennes antérieures historiques à moyen terme, sous l’effet combiné du ralentissement de la croissance de la production et de la hausse de la demande, biocarburants compris.4»

Malheureusement, le nouveau rapport ne dit mot sur la fin du « super cycle » des matières premières, de cette période d’exubérance irrationnelle où la faim de matières premières avait dépassé les fondements rationnels de l’économie réelle pour se muer en croyance mimétique spéculative auto-entretenue. C’est dommageable tant les causes de la crise de surproduction qui s’ouvre prend ses racines de la décennie de prix hauts qui ont, de manière excessive, stimulés des investissements dans des capacités de production dans un contexte de liquidités abondantes.

Le troisième enseignement de ce rapport apparait explicitement dans les propos rapportés d’Angel Gurria, Secrétaire général de l’OCDE, dans le communiqué de presse officiel5 : « Nous entrons dans une période où les prix agricoles seront plus bas, mais nous devons nous tenir en alerte, car des changements peuvent se produire rapidement sur les marchés. Dans le contexte actuel, la principale priorité des gouvernements est de mettre en œuvre des mesures qui accroitront la productivité agricole de façon cohérente et durable. Mettre nos politiques agricoles sur la bonne voie est déterminant pour en finir avec la faim et la sous-alimentation dans les prochaines décennies ».

Il en ressort en effet que les prix bas ne seraient pas un problème et qu’il s’agirait de continuer à stimuler la production … alors qu’on entre dans une période de surproduction ! Ces propos marquent une méconnaissance de la définition de la sécurité alimentaire pourtant officiellement établie par la FAO en 1996 : en aucun cas, le niveau de prix est un bon indicateur des problèmes de sécurité alimentaire et surtout, rappelant que 70% des malnutris sont des ménages ruraux, des prix trop bas affectent directement les conditions de vie d’une grande partie de l’humanité, tout comme des prix trop hauts excluent également une bonne part de la population mondiale de l’accès à la nourriture. Ceci montre bien en quoi la volatilité excessive des prix est un problème majeur pour l’avenir d’une humanité.

Au-delà de la sécurité alimentaire, le rapport semble se satisfaire de prix bas, mais à aucun moment on n’envisage que ces prix soient ou puissent devenir trop bas. Comme nous l’avons déjà mis en avant6, alors que de nombreuses productions s’enfoncent dans la crise en Europe et dans le monde, le mot crise ne figure plus dans le lexique de l’OCDE, et ce rapport le confirme.

En définitive, ce rapport montre l’incapacité de ces organisations à penser les évolutions possibles des marchés agricoles et donc à formuler des recommandations adaptées en termes de politiques agricoles. En sous-estimant l’instabilité structurelle des marchés agricoles et ses conséquences nocives, elles se montrent incapables d’esquisser un scénario aujourd’hui possible, celui d’un repli généralisé des cours internationaux des produits agricoles et par ricochet l’augmentation des mesures protectionnistes. Car il est de plus en plus évident que, nombre de gouvernements prendront ce type de décisions pour éviter de faire subir un choc trop brutal à un secteur agricole bien souvent clé pour leur développement et leur stabilité économique, sociale et politique. Et comment les en blâmer si les institutions sensées penser la coopération entre les Etats ne leur offrent aucune perspective nouvelle en termes de gouvernance mondiale pour remédier à ce problème ? De la sorte, par excès de foi dans les vertus stabilisatrices des marchés, ces institutions créent les conditions d’un repli de l’ouverture commerciale et de la coopération entre les pays, objectifs auxquels elles doivent statutairement s’attacher.

1 http://www.agri-outlook.org/fr/
2 Pour une présentation du modèle dans la revue Risk and Decision Analysis
http://content.iospress.com/articles/risk-and-decision-analysis/rda22
3 Voir notamment l’étude conduite par Laurence Roudart
http://agriculture.gouv.fr/sites/minagri/files/documents/pdf/10-09_Article_Roudart_Terres_cultivables_cultivees-2.pdf
4 http://www.fao.org/news/story/fr/item/177481/icode/
5 http://www.fao.org/news/story/fr/item/422695/icode/
6 Lire à ce propos l’article de Momagri «Conférence ministérielle de l’OCDE sur l’agriculture : Le château de la Muette reste sourd à la crise mondiale agricole »
http://www.momagri.org/FR/articles/Conference-ministerielle-de-l-OCDE-sur-l-agriculture-(…)-crise-mondiale-(…).html

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