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Politique agricole, Etats-Unis VS Europe : la souplesse et l’efficacité face à la rigidité et au repli

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Politique agricole, Etats-Unis VS Europe :
la souplesse et l’efficacité face à la rigidité et au repli

 

Pour cette rentrée de septembre 2022 nous avons choisi d’analyser de manière détaillée la politique agricole et alimentaire des Etats Unis à travers son principal instrument, le Farm Bill, en prenant en compte les décisions du gouvernement américain pour faire face aux crises et déséquilibres du contexte mondial.
Ce travail a permis de mener de manière approfondie des comparaisons avec la PAC afin d’apprécier le gap stratégique, budgétaire et plus largement politique qui sépare l’Europe des Etats-Unis.
Notre étude se décline en trois articles qui décrivent un panorama très contrasté entre ces deux régions, révélant de profondes divergences et une situation de concurrence accrue, les ressorts de la décision politique étant fondamentalement différents. 

Le premier : Explosion des dépenses du Farm Bill pour faire face à trois ans de crise
Alors qu’en Europe, le vote du cadre financier pluriannuel conditionne le budget de la PAC pour 7 ans et que les priorités politiques doivent ensuite s’adapter pour utiliser au mieux ces ressources, le Farm Bill n’a pas de budget contraint. Aux Etats-Unis, des estimations du coût de la politique sont faites en fonction des orientations décidées, et les dépenses effectives peuvent s’écarter des prévisions budgétaires. Le Farm bill a pour objectif principal de soutenir, quelles que soient les circonstances, le revenu des farmers américains, mais aussi les filières agroalimentaires qui en découlent. Les outils d’intervention sont variés et adaptables (assurances, aides contracycliques, aides de crise…) et un socle d’aide alimentaire qui en représente 75% des crédits assure une formidable base de soutien, associée à des objectifs à caractère social, là où l’Union européenne distribue 150 fois moins de crédits. Au total, le Farm bill 2019-2023 aura consacré probablement le double des crédits prévus (plus de 800 milliards de dollars selon la trajectoire 2019-2022 au lieu de 424 Milliards prévus au départ), là où l’Europe est contrainte par des engagements pluriannuels qui ne cessent de diminuer.

Le deuxième : Protéger le chiffre d’affaires des agriculteurs : une priorité américaine
Cet article vise à expliquer comment fonctionnent ces dispositifs d’aides directes américaines qui ont pour objectif d’intervenir en fonction de la production et des rendements pour garantir un niveau de chiffre d’affaires cohérent avec un équilibre économique durable. Entre les dispositifs assurantiels, contracycliques, les aides de crise et d’autres aides spécifiques pour les secteurs laitier et des viandes, c’est un dispositif complet et remarquablement souple qui est accessible aux farmers. Et ce d’autant plus que les prix de référence par secteur sont actualisés régulièrement en fonction des prix de marché. Avec des aides découplées dont le montant reste fixe indépendamment des circonstances, comment l’Europe peut-elle lutter face à cette politique plus que jamais marquée par une volonté d’intervention ? On peut s’interroger sur l’urgence de redimensionner la PAC au risque sinon d’assister à l’étiolement progressif de l’agriculture européenne, et notamment française, soumise à une logique de décroissance par l’application d’une stratégie vertueuse que nous sommes les seuls à entretenir.

Le troisième : Les Etats Unis et leur interprétation flexible des règles de l’OMC
Alors que l’Union Européenne fait du respect des règles de l’OMC la principale justification de son immobilisme politique et de sa préférence aux aides découplées, ce dernier volet porte sur la manière dont les Etats Unis utilisent à leur profit les différentes marges de manœuvre permises lors de la déclaration des soutiens agricoles aux instances mondiales. Cette façon de manipuler les chiffres leur permet d’accroître leur soutien tout en évitant d’être pris en défaut par rapport aux règles d’affectation des outils de soutien à leur agriculture, entre la boîte verte (aides non distorsives des échanges), la boîte orange (aides distorsives) et la boîte bleue (aides avec des conditions limitant les effets distorsifs).

C’est ainsi qu’ils attribuent la totalité de l’aide alimentaire à la boîte verte alors que plus de 35 milliards de dollars (soit presque le budget d’une année d’aides directes PAC) ont servi en 2020 à acheter directement des produits bruts aux agriculteurs, ce qui constitue un levier croissant de soutien à la production.
C’est ainsi qu’ils affectent une part croissante des aides à la boîte orange, mais en annulant leur valeur en exploitant au maximum la clause de minimis. Cette clause, très peu mobilisée par l’Union Européenne, prévoit que tous les soutiens directs qui représentent moins de 5% de la valeur du produit comptent pour zéro, et ne sont pas comptabilisés en boîte orange. Cette règle est valable pour les soutiens directs ciblés par produits, mais aussi pour l’ensemble des soutiens non ciblés rapportés au total de la valeur des produits du pays.
Et pour parachever ce travail de broderie budgétaire, les Etats Unis jouent sur les dates de campagnes s’autorisant de la sorte à lisser leurs soutiens d’une année à l’autre sans dépasser les seuils qui les mettraient en infraction avec l’OMC.

La comparaison avec l’Union européenne traduit, encore une fois, la naïveté ou faiblesse politique de celle-ci car si les Etats-Unis saturent avec la malice que nous venons de décrire leur potentiel d’affectation, l’Europe met un point d’honneur à faire l’inverse. On mesure là l’ampleur d’un déclassement orgueilleux, ce qui n’est pas la meilleure manière de renforcer une politique dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est plus stratégique

Jacques Carles, Président d’Agriculture Stratégies 

Le 13 septembre 2022


Explosion des dépenses du Farm Bill pour faire face à 3 ans de crises

La préparation du prochain Farm Bill et les plans de relance successifs lancés après la pandémie de Covid 19 confirment que les Etats-Unis considèrent leur secteur agroalimentaire comme stratégique et sont prêts à mettre les moyens nécessaires pour renforcer leur statut de puissance agricole. La conjoncture économique et le contexte international n’y sont pas étrangers, amenant les Etats-Unis à réfléchir, comme à leur habitude sur l’adaptation de leur arsenal pour faire face à la conjoncture actuelle. Ce renforcement de la politique agricole étatsunienne s’effectue au moment même où l’Europe s’entête à faire des aides découplées son principal mode de soutien dans le cadre de la prochaine PAC. Le pragmatisme américain semble donc s’opposer de plus en plus à la doctrine européenne, dernière représentante d’un système qui a échoué à garantir la sécurité alimentaire mondiale tout comme la préservation du revenu des agriculteurs européens. Dans cet article, nous vous proposons un tour d’horizon des éléments qui permettent d’envisager la future politique agricole américaine et l’ampleur des soutiens distribués.

 Le Farm Bill est l’équivalent de la PAC outre-Atlantique, il vise à soutenir le revenu des farmers et apporte un soutien conséquent à la consommation au travers de l’aide alimentaire. Le Farm Safety Net regroupe l’essentiel des paiements directs aux agriculteurs et représente le deuxième poste budgétaire du Farm Bill (16% des dépenses prévues), derrière le budget astronomique de l’aide alimentaire (qui concentre 75% des dépenses). Le dernier poste de dépenses est le budget consacré aux actions environnementales (« Conservation », qui mobilise 7% des dépenses prévues).

Lors de circonstances exceptionnelles, les deux dispositifs qui visent à stabiliser le chiffre d’affaires des agriculteurs américains (l’assurance récolte et les aides contracycliques, regroupées au sein du Farm Safety Net) sont complétées par des aides de crises exceptionnelles. C’est ainsi qu’en 2019, 2020 et 2021, les Etats-Unis ont dépensé sans compter, allant jusqu’à multiplier par 4,5 les aides directes habituellement versées aux producteurs.

Explosion du budget du Farm Bill initial

Le montant initialement prévu du Farm Bill pour la période (2019-2023) s’élevait à 428 milliards de dollars, mais il sera très largement dépassé : nous estimons que les dépenses du Farm Bill sont déjà supérieures à 650 milliards pour la seule période 2019-2022. A l’heure où les Européens réduisent le budget de la PAC 2021-2027 de près de 12% en euros constants par rapport à la période précédente, les Américains se seront eux rapidement adaptés aux besoins en augmentant les dépenses pour l’agriculture de plus de 70% par rapport aux prévisions initiales pour la période 2019-2023.

Tableau 1: Les dépenses du Farm Bill hors assurance, source CBO/USDA, traitement Agriculture Stratégies [1], [2]

A budget contraint, toute mesure supplémentaire nécessite, en théorie, une réduction équivalente des financements alloués à un autre programme. Mais le Farm Bill n’a pas de budget contraint ; le Congressional Budget Office (CBO) donne des estimations du coût de la politique en fonction des orientations décidées, et les dépenses effectives peuvent s’écarter des prévisions budgétaires. Alors que le CBO avait estimé pour la période 2019-2023 à 64 milliards de dollars les dépenses en aides directes (qui ne prennent donc pas en compte les subventions aux assurances récolte, estimées à 38 milliards), les dépensent s’élèveront déjà à 107 milliards d’ici fin 2022, d’après les estimations actuelles de l’USDA. En 4 ans, les Etats-Unis auront dépensé près du double des montants d’aides directes budgétisés pour 5 ans.

Les aides de crises ont à elles seules mobilisé durant ces 4 ans un budget de 77 milliards (soit bien plus du total du budget prévu pour les aides directes sur la période), la faute au conflit avec la Chine, puis à la pandémie. Et l’addition aurait pu être encore plus salée : les prix de marché relativement élevés sur la période ont permis de contenir les dépenses initialement envisagées pour les aides contracycliques.

Ces aides ont permis aux farmers américains de conserver un « Net cash income » en constante augmentation. Les prévisions de l’USDA pour 2022 montrent que le revenu agricole sera encore en légère hausse cette année (voir figures ci-dessous).

Figure 1 : Evolution de la distribution des soutiens directs et du revenu agricole aux Etats-Unis – Source USDA, traitement Agriculture Stratégies

L’aide alimentaire, qui représente 76% du budget du Farm Bill, n’est pas en reste. Alors que l’Europe dépense en rechignant environ 650 millions d’euros par an pour l’aide alimentaire, les Etats-Unis ont dépensé entre 2019 et 2022 près de 520 milliards, dépassant allègrement le budget de 326 milliards prévu pour 5 ans. Il est probable que ce budget initial, pourtant impressionnant, sera quasiment doublé à la fin de la période d’application du Farm Bill. Une claque pour les Etats-Membres de l’Union Européenne qui refusent de regarder en face les conséquences de la pandémie et de l’inflation qui mettent en situation d’insécurité alimentaire des milliers de nos concitoyens. Au pays de l’oncle Sam, ce soutien, qui avait décliné sous l’ère Trump, retrouve toute sa place au vu des circonstances actuelles.

Figure 2 : Evolution des dépenses en faveur de l’aide alimentaire en prix réels 2020 , d’après l’USDA

La guerre en Ukraine, une opportunité pour conquérir de nouveaux marchés

Et l’adaptation des Etats-Unis au contexte mondial se poursuit. Dans le cadre d’un paquet d’aides visant à répondre aux problématiques posées par la guerre en Ukraine, l’administration Biden prévoit de mettre 500 millions de dollars sur la table afin de booster la production nationale de certaines denrées en tension sur les marchés comme le blé[3], en parallèle de la mobilisation d’1,7 milliard de dollars d’aide alimentaire externe, visant à fournir des denrées alimentaires américaines aux pays fortement dépendants des importations[4]. Pour ce faire, elle a présenté deux mesures visant à augmenter les surfaces plantées par les farmers : le relèvement des loan rates pour les cultures en tension[5] (chiffrée à 400 millions de dollars) et une augmentation de la prime d’assurance récolte pour les agriculteurs qui optent pour le « double cropping » à savoir la culture du blé et du soja la même année (100 millions de dollars). Un programme censé compenser jusqu’à 60% des exports de blé ukrainien selon l’administration[6].

Ces mesures soulèvent néanmoins un certain scepticisme dans le monde agricole quant à leur réelle efficacité sur l’augmentation des surfaces en blé. En ce qui concerne la première mesure, les prix des marchés étant bien supérieurs aux loan rates (même réhaussés), le dispositif d’indemnisation prévu dans le cadre du Price Loss Coverage (PLC) ne devrait pas se déclencher. La sécurité supplémentaire proposée par ce dispositif ne serait donc pas d’un grand intérêt[7] (sauf en cas de retournement brutal des marchés, une crainte qui pousse justement les agriculteurs à se diversifier plutôt qu’à renforcer leur assolement en blé). Pour certains experts, cette mesure fait en réalité partie de la stratégie de l’USDA pour réduire l’exposition des agriculteurs face à l’augmentation des coûts de production, en particulier des engrais. En effet, le relèvement des taux permettrait aux agriculteurs d’emprunter des montants plus élevés dans le cadre des « Marketing Assistance Loan »[8] (qui couvrent les avances aux cultures) tout en remboursant sur une période plus longue (12 mois au lieu de 9). Si l’effort de l’administration est salué, les experts rappellent qu’avant le prix, c’est la disponibilité même des engrais qui pose question.

La seconde mesure proposée par l’administration Biden n’est pas exempte de critiques. Pour commencer, certains jugent le montant de la prime trop faible pour constituer une réelle incitation à la production alors que certaines cultures ont vu leur prix de marché exploser. De plus, la proposition ne concerne en réalité que peu d’agriculteurs. En effet, les zones géographiques où il est possible de pratiquer du double cropping sont restreintes. Elles se situent principalement dans les Etats bénéficiant de conditions d’humidité favorables même l’été, c’est à dire à l’est du fleuve Mississipi[9]. Or, ces Etats ne sont pas des gros producteurs de blé (contrairement au Texas par exemple). Les effets de cette mesure devraient donc être limités et ne se feraient sentir que l’année prochaine (le programme arrivant trop tard cette année par rapport au calendrier cultural). Par ailleurs, la proposition exclut certaines cultures en tension comme le maïs alors même que l’Ukraine représentait 18% des exportations mondiales lors de la dernière campagne. A l’inverse, le riz est éligible mais l’Ukraine n’en exporte presque pas, sans compter que les farmers américains ne pourraient pas facilement étendre les zones de production sans investissements lourds.

Mais surtout, des doutes sont émis quant à l’utilisation du programme d’assurance récolte pour des objectifs qui ne sont pas liés à des risques climatiques et/ou agricoles. Le débat sur l’utilisation de l’assurance récolte en tant qu’outil de distorsion des marchés est donc lancé.

Rénovation du Farm bill : comment va évoluer la politique agricole américaine ?

Le Farm Bill voté en 2018 expire à la fin de l’année fiscale 2023, le prochain Farm Bill couvrira la période 2024-2028. Au contraire de l’Europe qui définit un cadre financier pluriannuel et adapte ensuite ses politiques aux enveloppes prévues, les Etats-Unis définissent leur politique agricole pour 5 ans, et le budget s’adapte. Alors que les parlementaires entrent cet été dans la phase de consultation des parties prenantes, le Bureau du Congrès a réalisé des estimations sur les différents postes de dépenses, si le Farm Bill était reconduit dans ses orientations politiques sans changement.

Les projections réalisées estiment l’ensemble des dépenses à 648 milliards de dollars pour la période 2023-2027[10], une augmentation de plus de 50% par rapport au budget initialement prévu pour la période précédente (2019-2023), qui sera donc largement dépassé comme nous l’avons vu. Dans ces estimations, le programme d’aide alimentaire resterait donc le principal budget de la politique agricole américaine. Son poids dans le total des dépenses augmenterait sur les dix prochaines années pour atteindre, selon les prévisions, 1095 milliards de dollars soit 85 % du total des dépenses. A court terme cependant, la fin des aides spécifiques liées à la pandémie fait baisser de manière assez conséquente les dépenses du programme SNAP jusqu’en 2024, pour atteindre un niveau de soutien qui reste toutefois supérieur à la période d’avant-crise.

Figure 3 : Evolution prévue des dépenses du Farm Bill, source Congressional Research Service d’après données CBO

Selon le CBO, la mobilisation des deux principaux programmes d’aides contracycliques devrait largement diminuer jusqu’en 2024, misant sur un maintien de prix agricoles élevés. Le Price Loss Covergae (PLC), qui indemnise l’agriculteur en cas de baisse de prix par rapport à un prix de référence, et l’Agriculture Risk Coverage (ARC), qui se déclenche à partir d’un certain niveau de perte de chiffre d’affaires[11] devraient être peu mis à contribution pour soutenir le revenu des agriculteurs sur les prochaines années. Une situation dont se préoccupe le Farmer Bureau, principal syndicat agricole des Etats unis, qui s’alarme de l’inflation et de la hausse conséquente des coûts de production[12]. En effet, le coût des engrais aux USA a augmenté jusqu’à 120% par rapport à 2021[13] mettant en péril la préservation du « Net cash farm income ». L’ARC et le PLC, conçus pour protéger les agriculteurs face à des baisses de rendements ou de prix sur les marchés mondiaux, ne sont pas d’un grand secours pour les farmers face à des marges qui s’érodent. Dans le cadre du prochain Farm Bill, les principaux représentants des grandes cultures défendent donc une adaptation des aides contracycliques pour prendre en compte les effets de l’inflation[14].

Plusieurs options s’offrent alors aux Etats-Unis : ils peuvent choisir d’abaisser le plancher de déclenchement de l’ARC ou du PLC en augmentant les seuils de référence, ou, au contraire, de rester aux niveaux actuels tout en prolongeant certaines aides exceptionnelles dont l’effet sur le revenu des agriculteurs a été plus fort que la couverture combinée de l’ARC et du PLC [15]. Mais au vu de la capacité d’adaptation propre à ce pays, on peut également aller jusqu’à imaginer un développement d’un type d’aide contracyclique déjà existant pour les éleveurs laitiers (le Dairy Margin Coverage), qui garantit la marge et non pas le chiffre d’affaires, vers les autres secteurs.

A noter que la réponse à ces questions dépendra également de la volonté des parlementaires (surtout des démocrates) de rééquilibrer les aides vers des cultures moins favorisées. De nombreuses incertitudes persistent encore dans le cadre du prochain Farm Bill (notamment en ce qui concerne le plan environnemental). Avec les élections de mi-mandat, les démocrates pourraient perdre leur majorité au congrès. Les républicains, qui dominent déjà le Sénat, ne sont donc pas pressés d’entériner le nouveau Farm Bill, convaincus qu’ils pourront en réécrire le contenu dès l’année prochaine[16]. Certaines priorités du président Biden, comme l’enveloppe dédiée à l’adaptation au changement climatique et à la séquestration du carbone dans les sols, pourraient donc se voir attribuer moins de financement que prévu.

La structuration des filières, nouvelle priorité américaine

Les déséquilibres des chaines d’approvisionnement et logistiques initiés par la pandémie ont, comme en Europe, révélé certaines fragilités du système alimentaire américain, en particulier son extrême concentration géographique ou l’allongement des circuits alimentaires jusqu’au consommateur. Dans le cadre du colossal plan de relance américain de 1900 milliards de dollars, l’administration Biden a récemment présenté un plan visant à transformer le système alimentaire américain pour le rendre plus « résilient »[17]. Les programmes d’investissement concernent l’ensemble des étapes des filières alimentaires avec des soutiens à la production, des investissements visant à démultiplier les capacités de transformation, ou la mise en place de soutien ciblé à la consommation.

L’effort est notamment porté sur la filière viande, particulièrement perturbée pendant la pandémie car souffrant de problématiques structurelles (abattage irréguliers, concentration accrue des opérateurs ou problématiques de main d’œuvre). Les mesures décidées pour cette filière visent principalement à réduire les goulots d’étranglement des marchés en favorisant des circuits de transformation plus courts (le plan soutien notamment les farmers lorsque ces derniers investissent dans l’aval de la filière). A terme, cela doit permettre une diversification de la production et un meilleur retour de la valeur ajoutée pour les producteurs.

On l’aura compris, les objectifs de ce plan, notamment pour la filière viande, sont ambitieux. 4 milliards de dollars sont consacrés à ce plan dont environ 1 milliard se destine à la filière viande. Un budget important mais qui nécessite d’être remis en perspective avec les 1900 milliards du plan de relance ou même avec le montant d’aide de crise distribué aux farmers durant la période 2019-2022. De plus, si l’initiative de l’USDA est saluée, certaines organisations agricoles font remarquer que le plan ne permet pas de s’attaquer véritablement aux déséquilibres de marché qui persistent dans certaines filières comme c’est le cas pour le lait (avec des producteurs qui n’arrivent pas à écouler leur production ou des compagnies qui possèdent une position ultra-dominante sur les marchés, même de détail). La portée de ce plan devra donc être évaluée par la suite, mais il apparait bien qu’à l’instar de l’UE, la structuration des filières et la diversification des approvisionnements continueront donc d’être des thèmes politiques récurrents aux Etats-Unis.

 

Les investissements réalisés pour transformer le système alimentaire américain tout comme les discussions concernant le prochain Farm Bill laissent envisager un niveau de soutien à la production qui va continuer à se renforcer et à s’adapter à la situation des marchés. A ce sujet, le possible rehaussement des aides contracycliques américaines alors même que les marchés agricoles sont au plus hauts ne laisse plus de place aux doutes : les USA ont définitivement fini d’enterrer les règles de l’OMC et comptent bien profiter de l’évolution du contexte international pour gagner des parts de marché grâce à leur politique de dumping. En sécurisant la production des agriculteurs, Joe Biden compte ainsi faire coup double : remplacer en partie le rôle préalablement occupé par les Ukrainiens ou les Russes sur les marchés internationaux tout en permettant aux farmers d’amortir l’envolée des coûts de production. Les dernières mesures annoncées (notamment la prime supplémentaire pour les Farmers cultivant des denrées en tension ou l’augmentation des fonds destinés aux programmes d’aides alimentaires) vont dans ce sens[18]. Face à cette machine de guerre américaine, l’Europe, elle, continue toujours de croire en l’efficacité de son aide fixe au revenu dans le cadre d’un budget en déclin constant sous le regard satisfait d’une classe politique qui s’interdit toute analyse stratégique comparative.

 

Alessandra Kirsch, Directrice des études d’Agriculture Stratégies
Willy Olsommer, Chargé d’études d’Agriculture Stratégies

 

Le 13 septembre 2022

 

[1] D’après les données USDA/RMA “Federal Crop Insurance Corp Summary of Business Report for 2020 thru 2023” au 25 juillet 2022

[2] D’après les rapports USDA, le montant dépensé pour 2019-2021 est de 397,8 milliards de dollars, les estimations CBO de juillet 2021 envisagent environ 120 milliards de dépenses pour 2022.

[3] https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/04/28/fact-sheet-white-house-calls-on-congress-to-provide-additional-support-for-ukraine/

[4] https://www.usaid.gov/news-information/press-releases/may-18-2022-united-states-announces-additional-funding-respond-global-food

[5] Les loan rates permettent de couvrir les avances en culture, il s’agit d’un montant prêté par l’Etat en fonction du volume prévu, et dépend donc de la culture et du rendement de l’agriculteur, qui sert également de seuil de déclanchement d’aides contracycliques. Selon cette proposition, les montants prêtés pour la culture du blé augmenteraient de 63 %, des oléagineux de 40 % et du riz et des légumineuses de 21 %.

[6] https://www.agweb.com/news/policy/politics/everything-you-need-know-about-proposed-500m-ag-bidens-ukraine-aid-program

[7] https://farmdocdaily.illinois.edu/2022/05/administration-efforts-to-incentivize-production-due-to-ukraine-russia-conflict.html

[8]Les prêts d’aide à la commercialisation (MAL) offrent aux producteurs un financement provisoire au moment de la récolte pour répondre à leurs besoins de trésorerie. Cela leur évite de vendre immédiatement leur production au prix du marché, souvent au plus bas à cette période de l’année.

[9] https://eu.usatoday.com/story/news/politics/2022/06/25/us-wheat-farmers-face-hurdles-help-fill-ukraines-void/7628525001/

 

[10]https://crsreports.congress.gov/product/pdf/IF/IF12047

[11] Calculé au niveau de l’exploitation ou du comté selon le choix de l’exploitant concernant l’ARC

[12] https://www.agri-pulse.com/articles/17872-senate-ag-urged-to-seek-more-farm-bill-funding

[13] https://www.eesi.org/articles/view/congressional-hearings-leading-up-to-the-2023-farm-bill

[14] https://markettalkag.com/2022/03/02/commodity-groups-link-arc-plc-title-i-improvements-in-next-farm-bill-to-input-inflation-ukraine-war/

[15]https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwiorofpmNf4AhUV0YUKHaZYA4kQFnoECAYQAQ&url=https%3A%2F%2Fcrsreports.congress.gov%2Fproduct%2Fpdf%2FIF%2FIF12114&usg=AOvVaw1qm4Kod4WYejv9MTW3Mtm5

[16] https://www.hklaw.com/en/insights/publications/2022/03/farm-bill-101-what-you-need-to-know-about-its-reauthorization

[17] Initiative « Build back better »

[18] https://www.politico.com/newsletters/weekly-agriculture/2022/05/02/behind-bidens-plan-to-bump-up-farm-subsidies-00029242

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