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L’écart entre les intentions et la réalité des comportements de consommation responsable

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L’Observatoire de la consommation responsable (l’ObSoCo) associé à CITEO[1] a publié en janvier 2021 les résultats d’une enquête qui vise à décrypter les comportements réels du consommateur vis-à-vis de ses intentions[2]. Faisant écho à une étude commanditée par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, FranceAgriMer et l’ADEME illustrant les décalages entre les comportements déclarés et les comportements réels des consommateurs, cette enquête démontre que, en dépit d’une prise de conscience des enjeux environnementaux et d’une volonté de consommer de façon responsable, dans la pratique, les Français ont du mal à associer l’acte aux intentions.

 

Alors que le recours à la consommation locale et aux circuit courts donnait le sentiment d’avoir explosé durant la crise sanitaire, accompagné d’une certaine volonté politique comme en témoigne le lancement de la plateforme gouvernementale « fraisetlocal.fr », les chiffres de la Fédération du commerce et de la distribution posent une autre réalité. La croissance des ventes des primeurs (+14,5%) est sans commune mesure comparée à celle du e-commerce (+42%, notamment lié au développement du recours au drive).

Pour le consommateur, consommer « responsable » signifie généralement consommer local, car les circuits courts sont assimilés à une meilleure empreinte environnementale, de meilleures normes en matière de production, un soutien de l’économie locale. Toujours selon cette étude de l’ObSoCo, les Français ont conscience de l’impact que leurs choix de consommation ont sur l’environnement : 86% des sondés estiment que « leur manière de consommer est nuisible à l’environnement ». « Invités à donner une note allant de 0 à 10 selon la mesure dans laquelle les comportements individuels peuvent contribuer positivement à faire changer les choses, 85 % des répondants ont donné une note supérieure ou égale à 7, dont 60 % 9 ou 10 ».

Et pourtant, lorsqu’il s’agit de passer à la pratique, l’enquête met en lumière un important décalage entre les grandes intentions et la réalité. Malgré les biais existant dans ce type d’enquête déclaratives (les enquêtés ayant généralement tendance à minorer leurs comportements négatifs), 60% des enquêtés considèrent qu’il est difficile de consommer de façon responsable, le coût arrivant en premier facteur limitant.

Alors que le poste « alimentation » est en constante diminution pour les ménages depuis les années 1960 (ce qui correspond à la mise en place de la PAC), le coût de production des agriculteurs est lui, en augmentation en lien avec l’augmentation du prix des matières premières et des intrants, et des exigences environnementales. En effet, bien que le volume annuel de consommation par personne soit désormais quatre fois plus élevé qu’en 1960, la part du budget des ménages consacrée à l’alimentation est passée de 34,6% à 13,4%. Alors qu’en parallèle, l’IPAMPA, l’indice qui traduit l’évolution du prix d’achat des moyens de production pour les agriculteurs, a augmenté de près de 40 points entre 1990 et 2020. Et cet indice ne reflète que l’évolution du prix des consommations intermédiaires, ce qui, d’après l’Idèle, ne représente que 70% des charges des exploitations laitières, (ce qui a d’ailleurs poussé le CNIEL à formuler des indicateurs de coût de production pour aider les agriculteurs dans les négociations commerciales). Les cours jouent bien entendu un rôle dans la formation du prix payé au producteur, mais les prix agricoles à la production et les prix alimentaires à la consommation sont complètement déconnectés.

Figure 1 : Comparaison de l’évolution d la part de l’alimentation dans les dépenses des ménages et des prix à la production. Sources Insee et Agreste, Graphagri 2020

 Le consommateur final n’a donc aucune idée des charges qui pèsent sur la production et de la volatilité des cours subie par le producteur, dont les effets sont amplifiés par les aléas sanitaires et climatiques qui impactent la production. Il ne subit que les effets de l’inflation, qui le conduisent à considérer que le prix de l’alimentation augmente, alors que celle-ci n’a relativement jamais coûté si peu cher.

Cette étude prouve donc que le consommateur veut un produit de meilleure qualité, qui a couté plus cher à produire, mais que le consentement à payer n’évolue pas en conséquence. Comme le rappelle Bertrand Valiorgue dans son livre (Refonder l’agriculture à l’heure de l’anthropocène), la condition de développement d’une économie moderne réside dans la maîtrise du coût de l’alimentation d’une population, afin que les ménages puissent dépenser l’essentiel de leur budget dans d’autres secteurs de l’économie. L’action politique n’a donc aucun intérêt à faire évoluer à la hausse le budget consacré à l’alimentation.

A qui revient donc la charge de payer le surcoût de cette alimentation responsable que les consommateurs recherchent, sans être prêts à en assumer le coût ? On peut souligner que la déconnexion entre les paroles et les actes n’est pas uniquement le propre du consommateur français. A l’échelle politique européenne, l’écart est encore plus aberrant, entre une Commission Européenne qui promeut les objectifs du Green Deal et fait de l’arrêt de la déforestation importée un cheval de bataille, et qui de l’autre côté encourage la ratification des accords bilatéraux avec le Mercosur…

 

Alessandra Kirsch, directrice des études d’Agriculture Stratégies

Le 4 janvier 2021

[1] Citeo est une entreprise à mission créée par les entreprises du secteur de la grande consommation et de la distribution pour réduire l’impact environnemental de leurs emballages et papiers,

[2] https://lobsoco.com/lobservatoire-de-la-consommation-responsable-citeo-lobsoco/

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