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Au moment de la révision de la loi Egalim, les discussions sur l’étiquetage des ingrédients composant les produits transformés ont eu une place importante. Députés et sénateurs ont été accusés d’être à l’origine d’un recul sur la transparence offerte à un consommateur toujours plus avide d’informations, mais dans les faits, la modification apportée au code de la consommation ne fait que rappeler le droit européen, à la suite de l’affaire Lactalis. Entrainant un retour vers le temps des lasagnes de cheval.
Le socle de la règlementation : obligation de préciser l’origine de l’ingrédient primaire lorsque celle-ci diffère de celle du produit [1].
A la base de la règlementation européenne en matière d’étiquetage des produits transformés figure l’article 26 du règlement INCO (pour « information des consommateurs ») datant de 2011. Celui-ci indique que l’étiquetage de l’origine des ingrédients pour un produit transformé est obligatoire pour le ou les ingrédients primaires, lorsque celle-ci diffère de l’origine indiquée pour le produit transformé.
Deux questionnements découlent de cette obligation :
la précision de l’origine et la définition de l’ingrédient primaire.
Concrètement, le niveau de précision de l’origine affichée dépend de la volonté de l’industriel. Si l’ingrédient primaire a une origine différente de celle du produit transformé, l’industriel n’a pas besoin d’être précis sur l’origine de l’ingrédient : la mention UE/non UE peut suffire s’il le souhaite (il n’est pas obligatoire de préciser le pays de production, ni sa région, même si le produit revendique ou laisse entendre[2] une origine nationale ou régionale), voir simplement de mentionner que l’origine de l’ingrédient primaire diffère de celle de la denrée alimentaire. Et en l’absence d’indication de l’origine du produit transformé…pas d’obligation d’affichage de l’origine des matières premières.
Sur la définition même de l’origine, rappelons qu’un produit transformé prend l’origine du pays dans lequel a été effectuée sa dernière transformation substantielle. Si on prend l’exemple des lasagnes, pour la viande hachée qui la compose, à défaut d’une précision de la règlementation, l’origine affichée pour cet ingrédient primaire peut être celle de la zone de transformation et non d’élevage… Mais étant donné que les lasagnes ou le hachis parmentier revendiquent rarement une origine sur leur packaging, au travers de cette règlementation européenne il n’est nul besoin de préciser l’origine de leurs ingrédients (on le rappelle, l’industriel ne doit indiquer l’origine de l’ingrédient primaire que pour les produits transformés qui revendiquent une origine différente de cet ingrédient).
Mais qu’est-ce qu’un ingrédient primaire ? Il est défini comme : « l’ingrédient entrant pour 50 % ou plus dans la composition d’une denrée ou le ou les ingrédients qui sont habituellement associés à la dénomination de cette denrée par le consommateur ». Il existe donc des produits qui ne comportent aucun ingrédient à plus de 50 % et d’ont aucun ingrédient n’est habituellement associé à la dénomination de la denrée par les consommateurs (sauce crudités par exemple).
Alors que le règlement INCO date de 2011, cette disposition est entrée en vigueur au 1er avril 2020, suite à la parution (tardive !) d’un règlement d’exécution européen en 2018, soulevant bon nombre d’interrogations pour les industriels[3].
Pour aller plus loin, l’article 39 donne des marges de manœuvre aux Etats-Membres…sous conditions.
Le règlement INCO autorise les Etats-Membres à aller plus loin dans leur règlementation nationale, si celle-ci est justifiée pour un des motifs suivants, listés dans l’article 39 :
- protection de la santé publique;
- protection des consommateurs;
- répression des tromperies;
- protection de la propriété industrielle et commerciale, des indications de provenance ou des appellations d’origine enregistrées, et répression de la concurrence déloyale.
Mais, et ce mais est d’une importance capitale, il y a 2 conditions cumulatives à remplir pour pouvoir mettre en place une règlementation plus contraignante : il est nécessaire de prouver « un lien avéré entre certaines propriétés de la denrée et son origine ou sa provenance » et que « la majorité des consommateurs attachent une importance significative à cette information ».
Le décret de 2016, la transparence à la Française
Suite au scandale de la viande de cheval dans les lasagnes de 2013, le gouvernement français a répondu aux attentes croissantes des citoyens en matière de transparence sur l’origine des produits alimentaires. En 2016, il a ainsi obtenu de la Commission Européenne l’autorisation de mettre en place un dispositif d’étiquetage plus contraignant, à titre expérimental.
Cette règlementation française prévoit l’obligation d’indiquer l’origine des viandes ou du lait dans les produits transformés, dès lors que le produit contient plus de 8 % de viande utilisée en tant qu’ingrédient dans un produit transformé ou plus de 50% de lait en tant qu’ingrédient dans un produit laitier[5].
Cette règlementation est précise tant vis-à-vis du niveau géographique (le pays doit être indiqué) que des étapes de transformation :
- Pour le lait (lait, crème, babeurre, yaourt, lactosérum, beurre, fromage…) : lorsqu’il représente plus de 50% des ingrédients mis en œuvre, son origine doit être précisée sous la forme : pays de collecte, pays de conditionnement / transformation (ou origine X si identique à toutes les étapes)
- Pour la viande (bovine, porcine, caprine, ovine, volailles, dont Viandes Séparées Mécaniquement, préparations de viande, à l’exclusion des abats, viscères et sang) : lorsqu’elle représente plus de 8% des ingrédients mis en œuvre, son origine doit être précisée sous la forme : pays de naissance, pays d’élevage, pays d’abattage (ou origine X si identique à toutes les étapes)
Le décret, pris le 19 août 2016, a été renouvelé chaque année depuis, mais il est tombé au mois de mars 2021 pour la partie qui concerne les produits laitiers. Suite au recours formulé par Lactalis, la CJUE a estimé que les conditions exigées par l’article 39 n’étaient pas remplies : le « lien avéré entre certaines propriétés d’une denrée alimentaire et son origine ou sa provenance » n’est pas prouvé pour le lait. Autrement dit, un yaourt fabriqué avec du lait français ou hollandais a les mêmes propriétés. S’appuyant sur ce jugement, le Conseil d’État a tranché et estime « qu’il est illégal d’imposer l’étiquetage géographique du lait car il n’y a pas de lien avéré entre son origine (UE, non UE) et ses propriétés », dans une décision du 10 mars 2021.
Les décrets français relatifs à l’indication de l’origine du lait et du lait et des viandes utilisés en tant qu’ingrédient sont depuis annulés « en tant qu’ils portent sur le lait et le lait utilisé en tant qu’ingrédient ». Ils restent donc applicables pour la viande… Mais pour combien de temps ?
Conséquence de l’annulation du décret français
Députés et sénateurs ont profité de la révision de la loi Egalim pour tenter de mettre à jour le Code de la consommation sur cette question. L’article L412-4 imposait jusqu’alors que « l’indication du pays d’origine est obligatoire pour les produits agricoles et alimentaires et les produits de la mer, à l’état brut ou transformé », mais uniquement pour une liste de produits fixée par décret après approbation de la Commission. Cet article a été créé en 2016, et son décret publié la même année concerne l’étiquetage de la viande et du lait, comme nous venons de le détailler.
Suite à l’affaire Lactalis, les députés ont voulu modifier l’article, indiquant que l’origine devrait désormais être précisée pour tout produit dont il existe un lien entre l’origine et les propriétés, le décret ne servant qu’à lister les produits exemptés de cette obligation. Le Sénat a retoqué cette proposition en argumentant avec justesse sur les risques juridiques liés à l’application d’une telle règle : comment prouver le lien entre les propriétés d’un aliment et son origine géographique ?
Cette question est amenée à se répéter sans cesse, et pourrait même remettre en question l’application du décret de 2016 vis-à-vis de la viande. Le Conseil d’Etat n’ayant été saisi que sur la question du lait, les obligations d’étiquetage relatives à la viande restent en effet pour le moment applicables, mais paraissent fragiles.
Et pour le lait ? Assemblée et Sénat se sont entendus en Commission mixte paritaire pour valider l’ajout d’un alinéa supplémentaire à cet article du Code de la consommation, qui ne fait que répéter ce qui est contenu dans le règlement européen (et s’applique donc de facto), vis-à-vis de l’ingrédient primaire. Une façon de rappeler ses obligations à Lactalis… Le lait étant l’ingrédient primaire des produits laitiers vendus par le groupe, la règlementation « de base » européenne s’applique donc. Et permet à Lactalis de vendre des produits se revendiquant de la gastronomie française en indiquant une matière première « origine UE », au lieu de devoir distinguer pays de collecte, pays de conditionnement / transformation sur chaque étiquette.
Si les associations de consommateurs ont raison de s’émouvoir de ce retour en arrière vers un manque de transparence sur l’origine des ingrédients des produits transformés, la faute n’est pas à mettre sur le compte des députés ou des sénateurs, qui n’ont fait qu’ajuster la règlementation française au droit européen. C’est bien au niveau de l’Europe que les lignes doivent bouger, afin d’exiger davantage de transparence sur la composition des produits alimentaires, ou, à tout le moins, de permettre aux Etats-Membres qui le souhaitent d’avancer sur ce sujet sans remise en cause européenne. La non-négociabilité de la matière première agricole ayant été actée par cette nouvelle loi Egalim, les industriels auront besoin de valoriser l’origine de leur matière première. Si l’étiquetage volontaire[6] reste possible pour mettre en valeur les aliments dont la totalité de la production a eu lieu en France, l’obligation de la mention du pays d’origine pour l’ensemble des ingrédients principaux de tous les produits alimentaires serait nécessaire pour guider les clients vers un acte de consommation responsable… et contribuer à la souveraineté alimentaire.
Alessandra Kirsch, directrice des études d’Agriculture Stratégies
Le 7 octobre 2021
[1] Le texte exact étant « dans les cas où son omission serait susceptible d’induire en erreur les consommateurs sur le pays d’origine ou le lieu de provenance réel de la denrée alimentaire, en particulier si les informations jointes à la denrée ou l’étiquette dans son ensemble peuvent laisser penser que la denrée a un pays d’origine ou un lieu de provenance différent » ;
[2] https://www.senat.fr/europe/textes_europeens/ue0120.pdf
[3] Voir le guide de l’Ania pour se rendre compte du casse-tête des industriels http://www.fcd.fr/media/filer_public/be/e3/bee3170c-aaf7-486e-9487-1fa4a1530f1a/guide_ania_fcd_-_origine_ingredient_primaire_-_2020-0914_-_vf1.pdf
[4] Voir l’analyse de Claudine Yedikardachian de la revue Lamy droit alimentaire sur la différence entre les textes européens et français et leurs objectifs disponible sur https://www.actualitesdudroit.fr/browse/environnement-qualite/qualite/14852/indication-de-l-origine-des-ingredients-informer-sans-tromper
[5] Sont exemptés de cette obligation les denrées alimentaires bénéficiant d’une appellation d’origine protégée (AOP) ou les denrées issues de l’agriculture biologique qui font l’objet d’une règlementation spécifique.
[6] Différentes initiatives existent, voir notamment https://www.agriculture-strategies.eu/2020/11/etiquetage-un-nouveau-pas-pour-limiter-la-tromperie-sur-lorigine-en-france/